Recycler les horizons poésie et « furigraphie »
L’obus frappe
le visage de l’aube.
Toi, mon témoin,
ne me parle pas
du tremblement du ciel.
Le disque de la galette,
le disque du pain
est devenu soleil.
Ténèbres,
ténèbres,
corne du vent
aiguillonnant le monde.
Nous connaissons les ténèbres
et savons remonter le crépuscule.
Et nous aimons naviguer
dans les tempêtes de la nuit
et ramper sur la poussière
fin du temps.
Ramper sur la fin
au-dessus du temps.
En ce qui concerne le dessin, je fais de la « furigraphie », tout un dédale de gestes et d’états psychiques qui n’ont rien de commun sauf une corde ou un fil qui les relie. C’est la même chose que mon écriture, avec les consonnes et les voyelles des tifinagh [écriture des Touaregs].
Donc, à partir de là, j’ai deux gestes. J’ai le geste net, tranché et en même temps généreux, comme une rafale de sabre. Et j’ai ceux qui sont chargés de couleur ocre, où tout est comme une litanie de signes tifinagh et de voix en marche jusqu’à l’infini. Cela signifie ce que je cherche à montrer et à exprimer : la cavale au galop des gestes, des images et des imaginations, qui s’emballent.
Ici j’ai écrit la lettre Z qui navigue et vacille entre les rafales de l’adversité. Et le Z, vous le savez, c’est la résistance en personne.
Et ceux-là [les signes] également ont été faits d’une rafale, ce qui renvoie ici à la tentative de relier, de baratter, de fusionner toutes les choses qui sont lovées au fond de mon âme, par le geste, par la couleur et le renouvellement de la couleur, et la diversité des choses et des voix.
Ceci n’est pas différent de mon travail d’écriture par le langage ou par le geste. Toutes ces choses n’en sont qu’une seule.
Et dans tout ce que je fais, il y a ce qui a de la couleur. La couleur signifie le renouvellement du geste et de la teinte. Là aussi, cela évoque ce que je recherche, c’est-à-dire remplir le lieu où il y a du vide. Ainsi, les lieux écopés, je les remplis.
Ce que je recherche en faisant cela, c’est toucher le fond du fond de mon être, mon être de l’être touareg que je suis, et de les écoper pour qu’apparaissent d’autres imaginaires, d’autres eaux, d’autres points d’eau, les points d’eau d’autres images et d’autres couleurs, et encore d’autres situations et d’autres états nouveaux, qui n’ont encore jamais existé, sauf dans ce qui est à venir.
Ainsi, sans fin, je marche, ainsi je montre qu’il y a d’autres voix, d’autres images, formes, états, mémoires qui sont en nous et dont certains n’ont pas encore vu le jour.
C’est tout un travail de « furigraphie », de ressassement, de monologue obsessionnel et de choses par lesquelles l’être humain baratte la douleur qui est en lui…
Moi, j’ai ma douleur, je me sens haché. Les difficultés et l’angoisse où vivent les Touaregs, spoliés de leur pays, me rongent les intestins.
Alors je prends les tifinagh comme des balles avec lesquelles je tire, je frappe, je trie, je retiens, je ramasse pièce après pièce, je réunis les fragments, je les sépare, je construis et je déconstruis pour bâtir une maison et un espace et un tout et un pays et un désert et un être humain, un Touareg à part, et autre.
Et de même que j’appelle les tifinagh lointains, je fais venir aussi ceux à venir et ceux qui sont présents, je les réunis tous. Je fais de même pour les images et de même pour les couleurs. Et aussi pour le langage.
Cela veut dire que je tente d’animer un théâtre qui ne s’est jamais joué, et qui pourtant s’est joué, car c’est le théâtre des maux que nous vivons.
Suivant la même démarche, j’ai trouvé cet aspect dans le langage en écrivant tout ce travail : même s’il est écrit en langue touarègue, j’entends le murmure et le bourdon de la langue française, je l’entends derrière mon dos, derrière ma nuque. Cela ne veut pas dire du tout que je copie le français, ni que je l’écris ni que je le griffonne sur les feuillets, ni que je le vois quand je travaille, visuellement.
Mais il m’oriente et me situe comme l’ombre d’un homme dressée au-dessus de vous, une ombre qui me contrarie et qui m’oriente, bref face à laquelle j’adopte une posture, une attitude autre et nouvelle parce qu’il s’agit d’une opposition et d’une existence dressée au-dessus de mon existence au moment où je travaille.
Et de même, comme s‘il n’y avait aucune rupture, tout geste qui m’arrive d’ailleurs est le mien.
Tous, je les réunis, tous je les mets en fusion dans un seul volcan. Je les rassemble et je les amalgame, je les retire et je les propulse hors du lieu de tout à l’heure où je les avais réunis pour qu’ils partent d’eux-mêmes en étant concassés, fragmentés.
C’est de la même façon que, derrière ma nuque, j’entends la langue française. Elle aussi, je m’en empare, j’extirpe son murmure et son bourdonnement et je les jette dans les sables mouvants ou dans la vase de la langue touarègue de tout à l’heure, le champ où je travaille.
Dans tout ceci, ce que je cherche à esquisser, c’est un Touareg nouveau debout, à sa place, mais autrement, apte et capable de résister et de se redresser seul entre les tempêtes, les incendies et les oppressions.