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Zighcult
13 août 2005

Hawad, poète touareg

Hawad, poète né dans l’Aïr, pays touareg qui se situe au centre du Grand Désert (Sahara), " poète du détournement des métaphores et des situations"... il nous parle de son travail graphique, de sa « furigraphie », "tout un dédale de gestes et d’états psychiques qui n’ont rien de commun sauf une corde ou un fil qui les relie" et de son écriture, avec les consonnes et les voyelles des tifinagh [écriture des Touaregs].


SAHARA, Visions atomiques, Chapitre 5
Écho de l’envers
Traduit du touareg (tamajaght) par Hélène Claudot-Hawad

Allo allo
arghem alpha éba arghem éba.
Je vous annonce que les rayons X
viennent de dévoiler une amulette
nouée dans les plis
de la cervelle d’un homme,
homme du nom de X,
homme clandestin,
homme vagabondant dans sa cervelle,
homme errant dans toutes les zones de pénombre
de son propre moi.
Allo allo, est-ce que vous m’entendez ?
Ou bien n’ai-je plus d’ombre moi aussi
sur cette terre qui glisse et dérape avec nous ?
Oui ! béta alpha beta, vous m’entendez ?
Si oui, alors moi aussi
je ne suis plus moi,
moi qui suis au service de votre sécurité,
mais plutôt un autre, un moi à part,
un moi à l'envers…

Bon, je vais essayer de lire l’amulette
que les rayons X ont dévoilée
à l’agent Y de nos services
pour que toutes les nations du bien
puissent l'entendre,
je vais réciter, à haute voix,
l’amulette écrite à l’envers
l'amulette aux formules diaboliques
des sept vents du néant
qui disent :

– Au nom des sans ombres,
les sept vents sans ombres,
eux qui refusent toute autorité
et ne reconnaissent pas les ordres établis
en pyramide Etat poids carcan
miséricordieux sur leurs épaules.
Argham, ébjad, éhwaz, ékhtay
éklman esghaf éDad éqershat
étcha eZa édj éga,
a i o é et le a défunt.
Le monde est une pyramide
étagée en cinq blocs :
Premier bloc
où habitent le zéro et neuf lions,
Deuxième bloc
où demeurent douze combattant
Troisième bloc
abritant quatre vipères
Quatrième bloc
emmagasinant cinq détonateurs
et cinquième bloc
qui détient les cinq codes
des cinq extinctions de l'imaginaire :
a1, i2, o3, é4,
et je dessine au centre du carré
le a de l'absence
qui campe le 5.
En donnant de l'importance
seulement aux consonnes,
le cabalisme a négligé la force noire
des cinq baguettes en deçà du sens,
les voyelles
qui détournent le pouvoir
de toute autorité
Etat et pharaonnerie bétonnés.
Voici l'art de recycler
l'énergie des chutes et déchets
que la raison a exclues.
Vent rouge, vent jaune, vent roux,
vent noir, vent gris, vent rayé,
vent albinos,
les anges ont bien un sexe
et quatre vingt dix neuf pour cent
de belles femmes,
le prêtre reçoit la révélation de l'ange,
le scribe accueille la charge électrique du vautour,
les sept vents sont dans nos filets.
A présent, tressons les nerfs du cyclone .

J'ajoute la puissance du neuf
à la puissance du huit,
la puissance du huit à la puissance du sept,
la valeur du sept s'additionne à celle du six
la valeur du six à la puissance du cinq.
Et je plonge les cinq puissances
dans la puissance du quatre
et transfère la puissance du quatre
dans la puissance du trois.
Je baratte la puissance du trois
dans la puissance du deux
et les deux puissances dans le Un.
Alors je verse la puissance du un
dans l’impuissance
et je transvase l’impuissance
de trois éclairs atomiques
dans la planche de mon thorax,
et je crie la puissance du nombre renversé
glissant et fuyant toutes les pesanteurs
des valeurs du monde établi
et par le timbre sourd
du cinquième cri de combat,
hors des tripes de la terre,
j’arrache la destruction
des six derniers tonnerres atomiques
que le mont Ahaggar a noués
dans les boyaux de l’ombre
fantôme du Touareg,
ombre à quatre pattes
sous les ténèbres de son pays culbuté
qui lui aussi rampe
sur les vertèbres de son dos.

Impuissance des trois tonnerres
à laquelle se rajoutent les destructions
des six tonnerres qui ont semé
à coup de mépris
les neuf fardeaux atomiques
en direction de l’astre
à la puissance neuf
et neuf jusqu’à l’infini neuf,
neuf bras et branches de haine
puissance de neuf milliards
voyage de la lumière errante
pondant sans cesse neuf soleils,
qui chacun explose à tout instant
de neuf milliards de cosmos soleils
de nouveau épanchant leurs menstrues
jets d'arcs-en-ciel
des neuf voies lactées
qui crachent d’autres ouragans fous
d’étincelles…

Je dévie,
je dévie toutes les puissances des neuf chaos
et à hauteur des sept forces terrestres
rajoutées aux grimaces des sept fronts célestes,
je détourne,
je détourne tous les aimants
des voies et des autoroutes
de satellites voitures avions et trains
fibres et réseaux ferroviaires et électroniques
des terres, des airs, de l’imaginaire et des océans.

Ne craignez pas la métamorphose,
déjà nous sommes neuf milliards de fusées,
neuf milliards d’insectes
soleils en révolte
s’affranchissant des cervelles d'ordinateurs,
libérés de leurs lanceurs,
pour un élan de fronde tourbillonnant
danses révoltes marches rejoignant les vertiges
courses de météorites cabalistiques
du détournement des sens,
des ordres et des règles.

Geste du scribe

Ewa égale six,
alpha égale un,
eha égale cinq.
Ceci est la formule
de la bombe à retardement
de nos regards,
nos regards ponceurs de vos soleils.
Et déjà les fronts de vos satellites sont scalpés
et cent champignons du tartre de notre salive
continuent leur œuvre
dans la cervelle et les moelles nues
de vos espions et de vos ordinateurs…
Le vieux vautour,
gardien des campements abandonnés,
ne disait-il pas :
– Attachez la terre à la cheville du vent,
liez la terre par le fouet de vos langues,
liez le serpent terre,
et mettez l’unité du cinq
dans l’angle gauche du triangle
et le chiffre un dans l’angle droit.
Et sur la tête de votre triangle,
logez encore un cinq
et ensuite, renversez la pyramide des pharaons
sur le souple triangle, trépied nomade
et entourez le double triangle
par le nom des hommes de sept,
hommes de sept, piliers des ténèbres
et l'être humain jaillira des ténèbres,
Homme, porteur de l’univers.
Des ténèbres, surgira l’homme taureau,
taureau homme
qui n’a nul besoin
de la planche de l’espace
ni d’un faux ruban du temps,
l'homme taureau indomptable,
homme rebelle taureau,
Homme jailli du cosmos
homme fauve
se portant lui-même
et l'autre face du monde.

Renforcez l’homme rebelle
par le sexe de Satan,
et naîtra le démon de la passion
de vos insurrections.
Le six de la gauche
versé dans le un de la droite
égale sept.
Et sept fois le cinq de la tête du triangle
égale trente cinq.
Et trente cinq fois trois
égale cent cinq.
Alors, en soustrayant les deux zéro du cent,
vous trouverez le Un,
et un auquel s’ajoute cinq fait six.
Six axes et au centre dressez le un
de leur silhouette debout.
Un au centre de vos six pôles d'orientation
égale sept,
voilà le Sept, l’homme,
l'homme dressé,
l'homme formé de deux triangles,
l'un tête en bas rencontrant
l'autre, tête en haut.
Et maintenant soufflez sur le vent,
et tomberont dans le vent
les coques poids pyramides
de vos pharaons.
A présent le vent, la terre et le temps
sont entre vos mains.
Buvez le mirage et le soleil.
Qu’attend la révolution ?
Buvez la lie de vos nuits,
déjà vous êtes affranchis,
déjà vous marchez et êtes libérés,
vous marchez au-delà de l’état d’homme
vers la nature du vent.

Rouille du cinq
sur venin du sept
égale douze.
Trente jours frissonnant sous la fureur
de quatre triangles, sceau carré
socle de l’alchimie des mirages,
urine de soleil noir,
encre sperme de scorpion en rut,
redressez-vous,
nous avons métamorphosé la fortune
des nouveaux Crésus et des tyrans
en tornades de sauterelles dévastatrices
fondant sur le lard des coffres-forts.

Charançons,
pâturez dans les casques et les blockhaus,
mangez-les,
la conscience de leur diadème d’argent s’effiloche,
leur monde est devenu un vieux mouton
traînant le postérieur
vers le sillage de vos rêves.
Détournez leur vent sans atermoiement,
égarez-les sur votre terre.
Les lichens déjà rongent
le phallus de leur haine
sous vos sabots.
Emoussez leurs cils,
il ne reste plus sous leurs paupières
la moindre étincelle
hormis les cendres de leurs rêves.

http://www.canal-u.fr/canalu/affiche_programme.php?sequence_id=1621533187&programme_id=1560806280&num_sequence=2&format_id=11085

Commentaires par l'auteur de "SAHARA, Visions atomiques"
Traduit du touareg par Hélène Claudot-Hawad

"Le 2e poème qu¹on a entendu vient d¹un travail à part tiré d¹un livre qui s¹intitule : "Sahara. Visions atomiques ". Le texte de cet ouvrage expose la magie moderne d¹une guérilla de détournement des chiffres, des situations et des encerclements, afin de construire et de redresser et de démonter l¹homme, l¹homme ennemi. Et le reconstruire pour qu¹il devienne un proche.

Tout ceci est un clin d¹¦il pour chercher un côté où il pourrait y avoir une issue, soit en dessous, soit au dessus, soit au détour de ce qui étouffe, bref il y a toujours une issue ! "

http://www.canal-u.fr/canalu/affiche_programme.php?sequence_id=1771848002&programme_id=1560806280&num_sequence=3&format_id=11085

Poésie d’embuscade (extrait)
Traduit du touareg (tamajaght) par Hélène Claudot-Hawad

Les airs et les sables
s'enduisent d'huile de coco
gélatine graisse fondue
haut-le-coeur
pour amadouer
les rayons du soleil.

Ô monde,
jusqu'à combien de rives,
âmes et corps
sens-tu le pet global
du tourisme ?

Là-bas comme ici
je vois la veuve Temoust,
Temoust la Touarègue,
elle dont la crevasse des yeux
ou la rocaille des pieds nus
sont nourris
des griffes du sirocco
et des dards du soleil.
L'ocre mat de l'épiderme
de ses enfants l'a cuirassée
pour affronter les scies et les faux
de ses tortionnaires.

Griffes du sirocco,
brasiers du soleil
sur les dards du sable,
rabots de basalte,
gueule d'un canon
bouchant l'horizon
pour coaguler le rêve
comme un obus coincé
entre le diaphragme et la luette.
Tous les outils et toutes les semences
de cette vie de grossiers faux-semblants
ont taillé le visage de Temoust.

Et toi, tu veux encore rêver ?

Armés de scies électroniques
et de poignards laser,
ils sont revenus
dans le sillage de leurs crimes.
D'une seule voix,
ils ont hurlé :
- "A la racine de la luette,
il faut couper toutes les langues harpons,
de celle du poète à celle de la chèvre
et du gecko de leurs ravins.

Et au-dessus du col,
gecko, chèvre
et râle du choucas
perpétuent les résonances
des cordes vocales rompues.
Fouets de tornade,
les nerfs de la langue continuent
à percuter le silence.
L'écho aux accents de silex amorce
le borborygme des galets.

Ô terre complainte de barbare
à la langue tranchée.
Ô langue des salives de Satan,
mijotée dans la vapeur du palais
aux timbres de piment.

Au pays des cris de la pénombre,
pays du génie qui appelle à la montagne,
nous tous comme les rocailles de nos plateaux,
nous grommelons et griffonnons
à l'oreille de la pierre
un mélange de sons et de signes
fourchus et branchus
comme les griffes des vautours,
nos ancêtres
qui nous mangent la langue.

Et nous parlons
avec des langues remuantes
tels les sabots des chèvres de nos mères
que nous trayons dans les chambres d'échos
de nos bouches.
Nos bouches emplies de lames de verre
et de mots munitions
des révoltes à venir.

Et à minuit quand la lune
n'est plus penchée sur la margelle,
miroir ouverture d'un puits tari,
par nos moignons de langues
nous jappons,
fracas de poésie aiguisée
comme la crête du silex.

Lame de verre
et sa lime de mots
balles braquées
à bout portant sur les tempes,
poésie silex crête affûtée
des voix se croisant et s'entrecroisant ,
et encore un nouveau heurt,
voix sourde de l'entre deux chocs
comme la météorite du cœur percutant
la pierre de la détermination.

Au pays des langues fendues,
pays à la parole
qui va droit
vers l'axe noir,
virage rapide
et soudain demi tour,
et la flèche revient
à l'arc de la langue.
Flèche et arc repartent
en un seul tir foudre
en quête d'un butoir,
cible niant
sa déflagration.

Soixante-dix ombres tombent
en vomissant leurs entrailles
et un homme court à leur secours
et mord sa langue,
renversé dans le tourbillon d'une rafale
et droit il se redresse,
les reins en fumée.
Il avale sa langue,
un caillot de sang
et d'un coup il part
vers le cap du non retour.

A l'autre bord du malheur,
sa femme rumine son placenta.
Son fils est fauché de son ventre
par le tonnerre de l'obus,
le ligotant au cordon ombilical
qui le relie jusqu'ici
aux entrailles de sa mère,
mère prise dans l'art révolte
de recycler la mort
en butin,
arme pillée à l'ennemi.

Ceci est la jolie face
du bas du pays
aux langues fourchues.
Quant à ses hauteurs,
c'est un autre cliché.

Horizon et ciel à l'infini
de la teinture laide
de l'azur
et toujours le noir du choucas
et son double, la tâche grisâtre
du vautour
qui ponctue l'absolue stridence,
notre silence.
Tout un pays de paix
écologique et hygiénique
avec son paradis minéral,
n'est-ce pas touriste ?

Va-t-en rapace
Ici, rien à visiter ni à raconter
Tout est nettoyé,
ethniquement correct.
Ouste ! journaliste.
Tout est propre et technologique.
Les corps sont découpés et brûlés,
les cadavres sont en cendres,
avec la coopération des Nations unies.

Désert basalte
pierraille avalanche
lave de nos crânes
et rocaille
grincement des os
ricochant sur les balles.

Vers la décharge,
les camions ont tout pelleté,
même le vent,
et depuis avant-hier
des fumées âpres,
sueurs de l'homme,
dessinent sur le poitrail du firmament
d'énormes navires remplis de scories
au regard de pierre ponce,
traversés par le cuivre d'une roquette .

Navires de fumée
chargés du marc de l'alphabet,
nos ombres,
ombres présence de l'absence
de nos corps
face à la peste silence,
la gale complice
qui suce notre existence
jusqu'à la moelle.

Nous sommes les fourmis
ombres divagantes d'une gangrène
qui se nourrit du vagabondage
de ses molaires.

Maintenant sur mon épaule
la nuit défèque le jour,
et je vais percer
les testicules enflés
du hibou blême,
l'hypocrisie.

source:

http://www.canal-u.fr/canalu/affiche_programme.php?sequence_id=218715887&programme_id=1560806280&num_sequence=0&format_id=11085

extraits en tifinagh cursifs et vocalisés
http://www.mondeberbere.com/poesie/img/200204hawad1.jpg
http://www.mondeberbere.com/poesie/img/200204hawad2.jpg

Commentaires par l'auteur de "Poésie d’embuscade"
Traduit du touareg par Hélène Claudot-Hawad

- "Bon, le texte que je viens de lire s¹appelle "Poésie d¹embuscade ". Il ne faut pas l¹entendre comme une personne en embuscade ! C¹est la poésie ici qui tend un guêt apens à la métaphore pour la détourner et trafiquer les situations et les encerclements de l¹envahisseur et de l¹adversaire. Voilà !
C¹est tout un travail que j¹ai commencé depuis des années, un travail qui consiste à replacer la personne au centre de sa situation, au centre de son temps, pour qu¹elle soit non pas soumise à eux, mais pour que ceux-ci émanent d¹elle. Et en même temps, on capte tous les tirs adverses, on les recycle et on les renvoie à leur batterie d¹origine, et en toutes directions et tous temps. C¹est ceci la poésie d¹embuscade, pas à pas, coup par coup, mais jamais interrompue. "

source:

http://www.canal-u.fr/canalu/affiche_programme.php?sequence_id=462545418&programme_id=1560806280&num_sequence=1&format_id=11085

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