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Zighcult
19 août 2005

Interview du poète et peintre Atanane ayt Oulahyane

(Le refuge)

Agadir Blues, de Atanane Ayt Oulahyane

L'Abattoire, le quartier où tu es né
Familles berbères, enfants affamés
Années de misère, partout la pauvreté
Prison sans barrières, tu rêvais de liberté
T'en aller un jour, devenir immigré
Pour t'en sortir, il fallait t'exiler
De toutes façons tu vis comme un étranger
Dans le pays où tu es né

L'Abattoire, cité des tendres années
Quartier industriel, réservoir d'immigrés
Au cinéma Salam parfois tu t'évadais
Des films indiens, westernes et karaté
A l'école coranique le taleb t'assomait
A l'école publique le makhzen te programmait
De toutes façons tu vis comme un étranger
Dans le pays où tu es né

L'été à la plage, faire semblant de bronzer
Espérant qu'un jour un touriste allait t'emmener
L'Europe ou l'Amérique, loin de ta vie de damné
Tu faisais n'importe quoi dans l'espoir de t'en aller
Tu en avais marre de ton existence de paumé
Tu en avais assez d'être toujours baillonné
Maintenant que tu es loin tu rêves d'y retourner
Revoir le quartier que tu as abandonné

A l'Abattoire, cité des tendres années
Rien n'a changé, les jeunes sont dealers ou camés
Tu es devenu étranger, presque personne ne te connaît
Ici ou ailleurs tu seras toujours étranger
Tu es né Berbère, l'exil est ta destinée
Tes frères et tes soeurs mènent une vie d'alliénés
On efface la mémoire, la langue est enchaînée
On méprise leur Histoire, leur identité est gommée

A l'Abattoire, le quartier où tu es né
Tu sais bien qu'un jour il faudra y retourner
Tu ne seras jamais étranger au pays où tu es né
Là où sont tes racines, ta langue et tes aînés
Résiste et combats pour ton peuple opprimé
Ton jour jour viendra, Tamazgha bien aimée
Nation amazighe, tu ne plieras jamais
Plutôt briser qu'être soumis et condamné!

normal_2291

Souss.com: Les internautes vous connaissent comme étant l’artiste peintre et le
Poète de la culture Amazigh du souss, Pouvez vous vous présenter ?



Je suis natif de la ville d'Agadir; mon père était originaire de Idaw Tanane, où j'ai encore de la famille, ainsi que dans la région de Tamanar.

J'ai fait mes études primaires et secondaires à Agadir, ensuite la faculté de lettres à Rabat, car à l'époque (1984) il n' y avait pas encore d'université à Agadir. Après une maîtrise de français à Rabat on m'a conseillé de pousser plus loin, donc je suis venu en France, dans la région parisienne, pour faire des études supérieures.

Je désirais rentrer le plus vite possible au Maroc, une fois mes études terminées car les conditions de vie étaient assez difficiles pour moi et je n'avais pas de famille en France. Mais une fois au Maroc j'ai trouvé les portes professionnelles fermées pour moi. Retour donc en France, où j'ai pu facilement trouver un emploi en tant que professeur de lettres modernes, à l'Education nationale. J'en garde un profond regret pour mon pays et parfois de la tristesse, mais je me plais bien en France, maintenant!



Sc : Cet exil a donc était difficile pour vous ! Comment avez-vous fait pour compenser ce manque du pays ?


Rien ne peut effacer la nostalgie du pays, ni compenser l'absence de la famille, des amis, des lieux que l'on aime. C'est vrai, l'éloignement nous fait ressentir davantage le désir d'un retour aux sources, de revivre plus intensément notre identité et nos traditions; on remarque souvent ce phénomène de repli et d'exaltation identitaire parmi les populations immigrées, ce qui cause souvent des conflits par rapport à ce que l'on appelle " l'intégration", l'insertion dans la société d'accueil...

Mais " l'exil", comme vous dites peut- être un facteur très positif, une chance pour l'amazighité: je pense sincèrement que lorsqu'on est séparé de sa culture on désire la retrouver et la revivre de façon plus forte, la défendre et l'aider à s'épanouir: c'est le sentiment qui anime la plupart d'entre nous.

En ce qui me concerne, l'écriture et la peinture ne sont pas une façon de compenser cette séparation du pays. Déjà quand j'étais au Maroc j'aimais peindre, écrire, mais je n'étais pas intéressé alors par les éléments de ma propre culture.

L'expression littéraire et artistique sont pour moi des façons d'exprimer une conscience identitaire que je ressens en danger, une façon détournée d'exprimer mes convictions politiques, toujours au service d'une cause que je trouve noble et juste, l'amazighité.

L'écriture et tout autre moyen d'expression, que ce soit la chanson ou la peinture sont des armes de combat, pour défendre notre identité opprimée et menacée d'extinction, et non un moyen de divertissement personnel, pour pallier la nostalgie et l'ennui de l'"exil".



Sc : Vous passez des messages d'amour, d'espoir, de patience et de courage à travers vos peintures et poèmes, pensez vous que la situation de la cause Amazigh s'améliore t'elle?


Je dirai que j'essaye modestement, à ma façon, d'exprimer un cri amazighe, l'espoir de ma nation, l'idéal de justice et de liberté désiré par des millions d'Imazighens d'où qu'ils soient de Tamazgha, avides de dignité et de reconnaissance.

Malgré nos espoirs déçus après les indépendances des années soixante et les promesses non tenues, malgré la marginalisation économique et culturelle que subit de nos jours notre peuple, la misère intellectuelle et spirituelle, les mensonges et la désinformation que nous subissons et qui persistent encore, je reste optimiste quand je constate la vitalité du mouvement amazighe et les progrès que réalise notre cause, le débat politique, social et culturel qu'elle suscite, l'espoir de tout notre peuple.

Nous sommes privilégiés car nous assistons à la Renaissance d'un mouvement identitaire très fort et nous accompagnons un tournant décisif dans notre Histoire contemporaine.

L'IRCAM est un bon début, un signal fort pour tous les Imazighens, comme le fut le Printemps berbère kabyle; c'est une étape récente qui a été nécessaire dans la reconnaissance , pas encore complète, des revendications du Mouvement amazighe.

Nous ne sommes pas naïfs, nous voyons bien que l'action de cet Institut dont la mission est culturelle, rappelons le, est constamment entravée, que ce soit dans l'application du calendrier de la diffusion de l'enseignement de la langue tamazighte, la formation pédagogique des maîtres, la publication et la diffusion des manuels scolaires, les mascarades quant à l'octroi d'une chaîne nationale tamazighte, etc...

N'étant pas un politicien ni un militant, un "ameghnas" comme on dit ! je tiens à exprimer toute mon admiration et reconnaissance à tous ces jeunes et moins jeunes des associations présentes sur le terrain qui luttent pour faire avancer les choses concrètement malgré les obstructions et les intimidations policières et administratives.

Exprimer l'amazighité, sa richesse, sa beauté, ses aspirations, ses légendes et ses histoires belles et tragiques, c'est ce que j'essaye d'exprimer à ma manière. Mon travail est un acte de gratitude et de résistance. Je voudrai dire tout ce que je dois à cette culture fabuleuse, un trésor, notre vrai héritage dont nous avons été spoliés.

Quand je dessine ou quand j'écris c'est ce cri amazighe que je veux exprimer: justice et vérité!
Je ne suis ni un vrai artiste ni un poète inspiré par les muses, je ne dis que la réalité que je vois et que je vis, de la manière la plus réaliste qui soit. C'est un devoir citoyen, une revendication légitime.

Notre peuple ne connaît pas encore parfaitement ni son Histoire, ni sa richesse culturelle. Les générations amazighes futures seront encore plus fécondes et plus progressistes que nous. Il faut leur transmettre le message: "Yaddli, ass d- azeka, Tamazgha ra- tili bedda!"

Le monde n'a pas encore entendu parler de nous, de notre identité et de notre drame: il reste encore beaucoup de choses à faire !


Sc : Un dernier message pour nos jeunes Imazighens ?


Pour la dernière question, j'estime que je n'ai pas de conseils à donner à nos jeunes Imazighens. Ils sont responsables, conscients de leur identité profonde, très attachés à leur culture, encore plus que les générations précédentes, je crois. J'ai eu le plaisir de m'en rendre compte personnellement à Agadir, mais aussi en France, lors de manifestations culturelles où j'étais présent.

On assiste vraiment à un " Réveil" sans précédent de la fierté amazighe, surtout parmi les jeunes, et c'est tant mieux! Au contraire, ce sont nous, les " anciens", nés dans les années soixante, qui regardons avec étonnement, admiration et envie ces jeunes qui n'ont plus de complexes à dire qui ils sont et à exprimer haut et fort leur identité: on le constate par exemple sur Internet, le nombre impressionnant de sites web créés par les jeunes, leur participation active au sein des forums où ils montrent leur intérêt pour tout ce qui touche notre langue et notre culture, ainsi que la maturité de leur engagement politique, les revendications légitimes qu'ils expriment haut et fort lors des manifestations pacifiques et citoyennes; lycéens, étudiants se retrouvent en masse, malgré l'opposition bornée des autorités makhzéniennes et policières, comme ce fut le cas en avril 2004 à Agadir.

Nos jeunes ce sont nos héros, nos porte- flambeau amazighe, car le sentiment de l'amazighité est resté chez eux intacte et aigüe, encore plus vivace que chez les générations précédentes qui avaient subi la chape de plomb des années d'oppression 1960 / 1990.

Pour ma part je souhaite que cette renaissance identitaire se renforce et se propage encore davantage, car c'est l'espoir de tout notre peuple et de notre nation amazighe pour plus de liberté d'expression, de liberté, de démocratie et de progrès.

Que les jeunes Imazighens continuent donc d'exprimer comme ils le font leur amazighitude, de revendiquer nos Droits dans tous les domaines, culturel, politique, sportif, etc... par des réalisations positives et concrètes, qu'ils amplifient leur action, car ce sont eux qui ont raison et qui montrent aux " Anciens" la bonne voie à suivre.

Si j'ai un seul conseil pourtant à donner aux jeunes Imazighens, c'est de rester solidaires et unis dans l'idée de " Tanekra n- Imazighens", comme l'a si bien exprimé Yuba dans sa magnifique chanson " Awsi gmak a yughlid":

Car ce qui nous désole, malheureusement, ce sont ceux de nos compatriotes qui se plaisent à critiquer.

Que la famille amazighe reste unie face à nos adversaires, quelques soient nos différences, que l'on soit du Rif, du Moyen Atlas, du Souss ou du Sud Est, de Kabylie ou des Aures, Canarien ou Touareg: nous sommes une seule et grande communauté riche culturellement et diverse, avec un seul et même combat, le même idéal, l'amazighité qui est notre force: Unité dans la diversité!

TUDERT I IMAZIGHENS!

sources et intégrale de l'interview:

http://www.souss.com/modules/newbb/viewtopic.php?topic_id=5501&forum=3

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