Kahina (encore)
Khoukha Rhioua Aït-Boudjenit (L’Aurassienne du verbe)
Dans l’histoire des Aurès se découpent des destins, parfois liés entre eux spirituellement. Ainsi la poétesse Rhioua, chanta une autre femme, une reine, pas La Kahina, mais Fatma Tazoughert, qui a régné à son tour sur ces monts ancestraux des Aurès.
Unique femme dit-on qui a su régner justement, après La Kahina, avec majesté sur les Aurès et perpétuer le matriarcat, rendant grâce à la femme et la hissant au rang de guerrière intrépide. Qui était donc cette femme qu’honorent les “Rahabas”, chanteurs chaouis exclusivement virils ? Les contes aussi la disent cette femme à la chevelure flamboyante ayant vécu plus de cent ans, rejoignant ainsi dans la légende Dihya, disait-on, morte aussi à plus de cent ans. Fatma Tazoughert était née en 1544 dans la montagne de Hitaouine à Merouana, dans les Aurès inférieures. Les chants chaouis préservés oralement, glorifient aujourd’hui encore cette femme qui est passée d’un siècle à un autre grâce à eux :
“Tazoughert reine des Aurès
L’aphrodite, l’autre déesse
Se baigne dans le lit envoûté de Tifouress
Dans un insolite corsage liquide faiseur
De l’historique copulation”
L’histoire ne dit pas d’où lui vient le royaume à la belle rousse. Était-elle la femme d’un roi devenue reine après son veuvage ? Avait-elle hérité du royaume de son père ? Dans les vallées et les plaines qu’elle avait parcourues, guerrière farouche sur son cheval intrépide, la reine Fatma unifia sur son passage tribus arabes et berbères, amies et ennemies… Sa confiance alla plus aux femmes avec lesquelles elle constitua, et exclusivement, le conseil des sages. Pourtant, la trahison allait couper sa route… La mort allait guider sa main même si celui qui périra par son épée n’est autre que son frère Zoltan, celui qui a osé contester en public ses décisions. Plus tendre à l’égard du frère cadet, elle le poussa à l’exil… Sellam, peut-être l’image du père… fort qui l’éleva au rang de reine.
“Hommage à vous, Fatma Tazoughert
Hommage à vous, maîtresse de la fécondité
Hommage à vous, reine des cieux et des terres.”
Celle qui composa ces vers n’est autre que la compatriote de Fatma Tazoughert, beaucoup plus contemporaine, l’une de ces poétesses chaouies oubliées qui a su, par la parole et le geste, lui rendre hommage à sa manière, Lalla Khoukha Rhioua Aït-Boudjenit, née en 1904 à Thleth (Senia Pasteur), 67 km au nord-est de la ville de Batna, dans une famille de riches terriens. Rhioua apprit très tôt à monter à cheval, à chasser, à sculpter, mais c’est surtout la poésie qu’elle affectionna au point de ne plus dire un mot sans vers, sans proses, se constituant, au fil du temps, un riche répertoire. La petite fille, blonde aux yeux verts, alla à l’école à Batna, dans un internat, vœu insistant de son père, Belkacem, qui tenait à ce qu’elle s’instruise, mais après la mort de celui-ci, la fillette dut s’accrocher terriblement pour pouvoir continuer et aller au collège de Constantine. D’un tempérament rebelle, Rhioua avait toutes les caractéristiques d’une pure Chaouia : dignité, entêtement, originalité mais surtout hospitalité et humanisme. Elle épousa un cousin, ne dérogeant point aux coutumes, même s’il était de vingt ans son aîné. Elle écrivit en français, en berbère, racontant souvent avec courage et sobriété la vie des siens à travers sa propre existence, mais surtout un pays sous le joug colonial, un pays enchaîné depuis des siècles, une colonisation sans cesse renouvelée, Romains, Byzantins, Arabes, Turcs, Français…
Révoltée, elle écrit en 1954 :
“Je suis orpheline sur ma propre terre
L’air que je respire sent le vin et le sang
Partout, il y a des cris, des chaînes et des fers
Soumise, Je ne puis demeurer plus longtemps
Pardon amies d’enfance”
(…)
“Mais mon pays c’est mon drame
Car mon pays c’est mon âme”
La douleur, la souffrance, la séparation, la colonisation… ont constitué l’essentiel des muses dans cette poésie terriblement sensible et parfois proche de la litanie ; des vers sauvages, beaux, indomptables transmis oralement surtout :
“Restez en paix
Habitants de Merouana
Nous vous quittons
Notre terre nous attend
Restez en paix
Nous sommes fiers colporteurs
Étrangers sur une terre étrangère”
La muse des Aurès écrivait en français, en arabe et en berbère chaoui.
Nassira Belloula Culture ( LIBERTÉ -Edition du 8/9/2004)
9/8/2004
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