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Zighcult
12 septembre 2005

Imazighen : La religion populaire

Gabriel CAMPS
(Les berbères mémoire et identité)

Les Pères de l'Eglise d'Afrique, les grands réformateurs musulmans du Moyen Age atteignirent les sommets de la pensée religieuse, mais la religion populaire, surtout dans les campagnes, s'est toujours accommodée de compromissions avec d'autres croyances non orthodoxes, si profondément, ancrées dans les âmes qu'elles ne disparaissent Jamais totalement.

Alors que le degré supérieur de la vie religieuse et de la spéculation théologique conduisait à un monothéisme de plus en plus strict dont la doctrine almohade peut être considérée comme l'aboutissement, la religiosité populaire continua à peupler le monde d'entités subalternes.

L'Islam admet l'existence de génies (djennoun) qui, sous, divers noms, connaissent une vie parallèle à celle des hommes. Ils constituent à vrai dire un monde d'une autre dimension, celui qui, de l'autre côté du miroir, est organisé semblablement au nôtre mais en diffère de nature. Ils ont des chefs et des rois, ils se marient, engendrent des enfants et partagent, semble-t-il, nos sentiments. Les uns sont indifférents, certains bienveillants ou amoureux, d'autres méchants ou tout au moins très susceptibles, rouant de coups ou frappant d'un mal mystérieux le malheureux qui les dérange dans leur sommeil ou leur activité.

Nombre de ces djennouns dérivent, comme leur nom le laisse deviner, des génies de l'Antiquité et comme eux ils reçoivent, sinon un culte véritable, du moins de nombreuses marques de déférence de la part des humains. Ainsi dans les campagnes sont élevés de modestes sanctuaires (haouita, mzara) dans lesquels les femmes déposent des poteries votives, elles-mêmes héritières des micro céramiques protohistoriques, des brûle-parfums ou de simples bougies qu'on ne prend pas toujours le soin d'allumer, encore que le feu et la lumière jouent un rôle prépondérant dans ce culte qui n'ose dire son nom. Sur la côte du Sahel, en Tunisie, on invoque les " Radjel el Bahr " (les "hommes " de la mer) en déposant dans une anfractuosité de falaise des bougies ou en creusant tout simplement un trou dans le sable. Plus souvent un trou de rocher, une niche naturelle; le creux d'un tronc d'arbre deviennent des autels rustiques, parfois signalés par le blanchiment des parois à la chaux, pratique déjà connue dans l'Antiquité. Plus simplement encore, on se contente d'attacher des nouets aux rameaux d'un buisson ou aux basses branches d'un arbre hanté par les génies.

Je n'insisterai guère sur cette forme primitive de la religiosité populaire car elle est quasi-universelle et ne peut être considérée comme spécifiquement berbère sinon par son archaïque vigueur. Elle s'est maintenue en Afrique du Nord avec plus de constance que dans les autres pays méditerranéens, bien que les lettrés affectent d'ignorer son existence ou estiment qu'il ne s'agit que d'une forme féminine et méprisable de superstitions anciennes.

Le culte des Saints, avatar supérieur du culte des ancêtres, s'est maintenu à travers le Christianisme et l'Islam. C'est à lui que l'on doit la multiplication des kouba blanches -que les Européens ont appelées marabouts en confondant, si j'ose dire, le contenu et le contenant- qui paraissent inséparables du paysage maghrébin. De structure très simple, non dépourvue d'élégance, elles superposent une coupole à une construction carrée renfermant la tombe d'un personnage vénérable. Généralement il est possible de retrouver les traces historiques de ce Saint dans les traditions orales et parfois dans les textes. A ces kouba est annexée une salle de prière quand il s'agit d'un créateur de confrérie ou d'un Saint particulièrement vénéré.

Mais d'autres marabouts paraissent plus légendaires; certains possèdent deux ou plusieurs tombeaux (Sidi Abderrhamane bou Ghobrine). Certains sont des Saints guérisseurs, d'autres plus spécialisés, comme Lalla Taforalt (Chenoua), sont les garants de la chasteté et de la fidelité des femmes : d'ou l'abondante collection de cadenas déposés sur son tombeau, ex-voto laissés par les émigrants.

D'autres marabouts, et ils sont légion, sont de puissants intervenants contre la stérilité féminine.. .

Mais il est d'autres sanctuaires ruraux dont on n'ose affirmer qu'ils recouvrent réellement une tombe. Ils jouxtent des ruines jugées mystérieuses ou sont construits sur des tumulus protohistoriques qui sont islamisés comme furent christianisés certains menhirs de Bretagne, Dans certains cas la prudence populaire, soucieuse de ne pas déplaire au personnage, réel ou supposé, dont elle ignore le nom, lui décerne le titre de Sidi El Mokhfi (Mon seigneur l'In connu).

Il est enfin des hommes qui, de leur vivant, sont l'objet d'une profonde vénération. Il s'agit de pieux personnages dont la vie est exemplaire. Cette vénération, qui a parfois quelques relents d'anthropolâtrie est condamnée par les Ulémas mais elle n'est pas spécifique de l'Islam maghrébin. D'autres ont tout simplement acquis cette vénération par droit d'héritage, soit parce qu'ils se prétendent chérifs, descendants du Prophète, soit parce qu'ils descendent d'un marabout célèbre dont ils partagent la baraka. La notion de baraka a été galvaudée par la littérature orientaliste et l'argot militaire au point de signifier simplement une chance continue. Elle est, en réalité, comme son nom l'indique une véritable bénédiction qui marque d'une aura particulière un individu et parfois ses descendants. Cet homme, ainsi marqué et distingué du commun des mortels, peut être thaumaturge, conseiller, protecteur, car la dilection dont il jouit lui crée de grave obligations; dans les temps troublés il est l'arbitre naturel et malheur à ceux qui vont à l'encontre de son jugement! Sa baraka peut rester attachée à son corps après sa mort, et donc à son tombeau qui devient lieu d'asile ou centre de pèlerinage parfois important. Ces moussem (pèlerinages, dans l'Atlas marocain) ont les plus grandes analogies avec les pardons bretons et jouent le même rôle régulateur dans la cohésion sociale de la région.

Ainsi tout au long des siècles la terre berbère baigne dans une profonde religiosité. Le Sacré diffus dans la nature se concrétise tantôt sur un rocher tantôt sur un arbre, ou frappe de son sceau un homme, oint du Seigneur. Mais ces manifestations ne sont que de faibles reflets de la toute puissance du Dieu unique, les Djennouns, lointains héritiers des génies et des petits dieux antiques, lui sont aussi étroitement assujettis que les humains : Dieu est Dieu.

Source: http://www.amazighworld.org/studies/spirituality/religion.php

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