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Zighcult
23 septembre 2005

Tunis et Alger XVIIème et XVIIIème siècles

LA VISION IDÉOLOGIQUE DE L'URBANISME MILITAIRE : TUNIS ET ALGER, VILLES BARBARESQUES AUX FORTIFICATIONS IMPRENABLES ?

Tunis et Alger sont perçues comme des cités barbaresques, particulièrement dans les récits du XVIIème siècle. Cette idée d'une ville guerrière se présente sous un double aspect : la course constituant le versant offensif, la muraille incarnant le versant défensif. Alors que la " muraille " constituait jusqu'alors un lieu commun du discours habituel sur la ville contribuant à son " enracinement spatial " (pour reprendre l'expression de Bernard Lepetit), nous passons à la " muraille " comme lieu commun relevant d'une idéologie belliciste. Une portée politique insoupçonnée au départ apparaît dans ce transfert de sens.

Les fortifications : un intérêt surprenant, une explication insuffisante
Deux textes datant du XVIIème siècle offrent une description précise des fortifications de Tunis, c'est-à-dire de l'enceinte mais aussi des forteresses. Le premier est l'œuvre de Dan : " quant au circuit de cette ville, il est d'environ une lieue et quoi que les murailles en soient assez bonnes, si est-ce qu'elle n'est pas beaucoup forte, comme n'ayant aucuns fossé ny point d'autre forteresse que l'Alcasse "24. Le second extrait, plus long, provient de l'œuvre de Coppin : " l'ayant bien observé d'une éminence, j'ai remarqué qu'elle est quasi deux fois plus longue que large, et que la place qu'elle remplit de ses bâtiments n'est pas de niveau et se baisse en pente d'Occident en Orient. A l'égard de la fortification elle est environnée de murailles qui sont assez hautes, principalement du côté du lac, mais qui n'ont point d'autres défenses que quelques tours d'espace en espace, et il n'y a ni fort ni bastion dans tout son circuit, dont la plus grande partie est même sans fossé ". Dans ces deux passages, comme dans d'autres longues descriptions, les auteurs procèdent à une analyse minutieuse des murailles tunisoises à travers les critères de la hauteur, de l'épaisseur, de la continuité. Ils recherchent souvent une position surplombante, comme le fait Coppin, afin d'avoir une meilleure vue d'ensemble. Ils s'intéressent plus spécialement à la présence d'éléments défensifs tels que les bastions, les fossés, les forts, les batteries d'artillerie comme celle du port de la Goulette qui est " disposée de telle sorte qu'elle ne pourrait servir contre ceux qui viendraient du côté de la terre "25.
Par la comparaison explicite avec le cas algérois, les deux religieux parviennent à un constat commun : le système défensif de Tunis est loin d'être négligeable mais reste nettement inférieur aux fortifications d'Alger. En effet, " la redoutable Alger (…)surpasse de bien loin toutes les places de la Barbarie, tant par l'avantage de son assiette, que par la force de ses remparts [avec] une enceinte de hautes murailles de pierres d'une extraordinaire épaisseur "26. Coppin vante l'efficacité des fortifications algéroises en utilisant un vocabulaire approprié et technique, acquis durant une expérience antérieure comme soldat du roi de France ; il insiste sur la véracité de ses informations en accumulant les déclarations de bonne foi (" je dressais des mémoires fort exacts de l'état de ses places, de la faiblesse dans l'étendue de sa monarchie, et des moyens de la détruire ", " je raconte en ingénieur quelles sont les fortifications de ses places "). Les termes de l'architecture militaire fleurissent sous sa plume (" parapet ", " beau glacis ", " contrescarpe "…). Il tient cependant à souligner que la fortification du site est inachevée pour l'instant ce qui rend encore la ville prenable jusqu'à ce que les Barbaresques la mettent " enfin en état qu'il ne restera plus que la seule voye de la famine pour la prendre".
Cet intérêt marqué pour les remparts tunisois et algérois mérite une explication. L'argumentation de l'approche historique classique - nous disposons d'un bon exemple pour Alger, fort révélateur de la démarche méthodologique - semble nettement insuffisante. Pierre Boyer note qu'" Alger la bien gardée a, aux yeux des musulmans, et aussi de beaucoup d'Européens, la réputation d'être invincible, imprenable "27. Cette lecture traditionnelle constate bien l'intérêt anormal pour les fortifications ; de plus, elle note la surévaluation de leur valeur militaire par les récits de voyage. Ainsi, le fort de l'Empereur, en référence à l'expédition de Charles Quint contre Alger en 1541, ne serait qu'" un ensemble trompeur (dont la) valeur militaire est en réalité surfaite (...) un appareil fait de mauvaises briques ". Elle nous livre un renseignement important : il n'y a pas eu, dans les relations européennes, de descriptions réalistes des murailles maghrébines. Si l'intérêt des voyageurs pour l'urbanisme militaire est certain (comme en témoignent les réalisations françaises de l'époque), la surestimation de son efficacité reste surprenante par le peu d'explications qu'elle nous livre. Pour la lecture traditionnelle, ces descriptions sont fausses par manque d'attention et de connaissances techniques des témoins, en somme par accident. Elle parvient à identifier ce lieu commun des récits de voyage mais se révélant impuissante à le constituer en objet d'histoire, elle le prend pour " argent comptant " comme un fait de l'histoire. Ces descriptions ne sont pas simplement imprécises, elles sont surtout biaisées par une intention polémique bien orientée.


Source et intégrale de cet article: http://www.tamurth.net/article.php3?id_article=374

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