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Zighcult
23 septembre 2005

Tifinagh et question amazighe

Prof. M. CHAFIK :

Un poème paru dans Al Ittihad en 1986, disait ceci : "Nous avons fait de l'arabisme notre religion". Cette idéologie, il en est resté des choses dans les esprits, d'inspecteurs, de fonctionnaires de l'état civil, et bien d'autres autorités locales. Imaginez qu'un Marocain peut appeler son fils Azz al arab mais il suffit qu'il traduise ce prénom en tamazight (Aburz Imazighen) pour que sa demande soit rejetée. C'est amusant et dramatique. Concernant, les militants de la cause, je pense que les plus jeunes sont impatients parce qu'ils n'ont pas connu les années de plomb.

L'adoption du tifinagh s'est faite dans un but pédagogique. A l'époque, j'ai fait un exposé de 2 heures qui n'avait pas convaincu les défenseurs de la graphie latine. Aujourd'hui, ils reconnaissent que je n'avais pas tort. L'argument est clair. D'abord, le tifinagh s'écrit, comme le latin, de gauche à droite. Contrairement à l'arabe, cela nous évite d'inverser les claviers et de devoir régler des complications sans fin lorsqu'il s'agit d'algèbre. Il est vrai que l'hébreu, par exemple, s'écrit, comme l'arabe, de droite à gauche, mais j'ai posé la question aux spécialistes israéliens. Ils m'ont assuré que la vraie langue de travail chez eux est l'anglais. Idem pour les Japonais. Tout le monde cherche donc à rattacher la modernité & agrave; des langues fortes, standardisées, sauf les Arabes. Voilà ce qui ramène le tifinagh à sa vraie dimension, matérialiser l'identité berbère. Moi, je demanderais à chaque enseignant qui reçoit des enfants en pré-primaire, de partager le tableau en trois parties et écrire sur chaque cadran un texte en lettres latines, arabes et tifinagh. Ainsi, l'élève comprendra comment l'occident écrit, comment les arabes écrivent et comment les amazighes écrivent. Sans cette distinction, il y aurait confusion. Il ne faut pas oublier que le tifinagh est plus ancien que le Phénicien. Il y a dedans une dimension sentimentale.


Source: extraits de l'article:
http://www.amazighworld.org/news/press/index_show.php?article=282


6*Mr. S. KHOTTOUR : Est ce que ces partis politiques ont changé de comportement (d'attitude) envers la question Amazighe ?

**Prof. M. CHAFIK : En apparence, même ceux qui ont été les plus virulents à l'égard du mouvement revendicatif amazighe ont mis de l'eau dans leur vinaigre. Opportunisme oblige ! Attendons donc qu'ils aient donné quelques gages, et qu'ils se sentent plus marocains que baâthistes ou « islamistes ». Ensemble, nous défendrons alors et l'Islam, et l'arabité, et l'amazighité, sans crispation ni véhémence.

7*Mr. S. KHOTTOUR : Vu la situation politique marocaine actuelle et l'attitude des différents partis politiques, peut-on croire à une délivrance probable de l'identité Amazighe? Autrement dit, croyez-vous que tous les éléments sont réunis pour une reconnaissance officielle (constitution, lois) de l'Amazighité ?

**Prof. M. CHAFIK : Seul l'ensemble des Imazighen motivés peut répondre à cette question. Or, je crois pouvoir dire que tous les Imazighen un tant soit peu dégagés des soucis de la vie matérielle au quotidien, sentent le poids de toutes les injustices et les exactions subies par « timmuzgha » en tant qu'identité culturelle et ethnique. À l'école, au tribunal, à l'hôpital, dans des réunions publiques officielles, dans les bureaux des différentes administrations … Tentez de donner à votre enfant le prénom « Aburz Imazighen » !… Et pourtant vous pouvez le prénommer « ‘Azz-el-Arab », à la grande joie de l'autorité d'Etat-civil, soucieuse d'être bien vue par sa hiérarchie…L'ensemble donc des Imazighen est seul habilité à répondre pertinemment à votre question. Mais attention ! La fougue est exclusive de la justesse du raisonnement; la modération, par contre, ne s'exclut nullement avec la fermeté et la persévérance. Tenez, puisque nous y sommes, et puisque l'on s'entête à nommer « Al-Maghrib al ‘Arabi » l'Afrique du Nord, notre unique patrie à nous, nommons-la, nous, désormais et en toute circonstance, « Tamazgha », en quelque langue que nous parlions, car c'est dans les mots que commencent les choses. Et, dans le même ordre d'idées, disons que, sans une reconnaissance constitutionnalisée de l'amazighité du Maroc (et des autres pays concernés), nous aurons la certitude que toute notre action n'a été que coup d'épée dans l'eau. Mettons donc en synergie toutes nos forces pour agir dans ce sens.

14*Mr. S. KHOTTOUR : Alors que certaines élites pensantes avaient opté pour le caractère latin, quelles sont les raisons qui ont poussé au choix du Tifinagh comme forme d'écriture et d'enseignement de l'Amazigh? Pensez-vous que ce choix a été judicieux et pourquoi ?

**Prof. M. CHAFIK : «Tifinaghe» matérialise l'identité culturelle amazighe. Que penserait un touriste européen visitant le Maroc s'il voyait «Ifrane», ainsi écrit en caractères latins, sur un panneau kilométrique? Il penserait simplement que c'était fait à son intention à lui. Pourquoi occulter l'existence d'un alphabet amazighe complet et modernisé? dans les classes où l'on enseigne «tamazight» les enfants s'enthousiasment à découvrir que la langue qu'ils parlent avec leurs parents a son écriture propre, qui prend place au tableau noir à côté des écritures arabe et française. Quelle confusion aurait régné dans leurs esprits s'ils constataient que «tamazight» s'écrit avec les mêmes lettres que le français ! le constat ne pourrait être que frustrant pour eux, d'une manière profondément sentie mais difficilement exprimable.

15*Mr. S. KHOTTOUR : Hormis certains orientalistes, tous les linguistes s'accordent à reconnaître l'Amazigh comme une et une seule langue. Seulement, on remarque qu'à travers les pays où l'on enseigne l'Amazigh, on n'enseigne pas une mais plusieurs formes d'Amazigh. Est-ce que cela ne corroborerait pas l'idée de ces orientalistes qui sont convaincus de l'idée que l'Amazigh subira les mêmes développements et aura les mêmes sous-langues qu'aura subi et eu la langue latine ?

**Prof. M. CHAFIK : Quand le latin a commencé a être abandonné, au XVI et au XVII-ièmes siècles, les langues qui en ont dérivé étaient déjà formées, chacune à sa manière. Nous comptons sur les moyens modernes de la linguistique et de la pédagogie pour que la langue amazighe soit concomitamment standardisée et «divulguée» en tant que langue «normalisée». C'est un travail assez complexe de recherche, d'action pédagogique, et de «vulgarisation» par les médias, qui est entrepris. Il sera mené à bien si les Imazighen travaillent sérieusement, et si leurs adversaires n'entravent pas leur démarche. L'on oublie que la langue arabe elle-même n'est pas encore standardisée, pour des raisons autres que techniques, et que son alphabet pose problème.

16*Mr. S. KHOTTOUR : L'appel à la déclaration de l'Amazigh comme langue officielle semble s'estomper. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

**Prof. M. CHAFIK : Au contraire, l'appel devient de plus en plus pressant, puisque de partout on crie qu'il faut constitutionaliser l'identité amazighe du Maroc, pour que la situation soit clarifiée.

17*Mr. S. KHOTTOUR : Le mouvement Amazigh n'arrive jamais à concrétiser ce dont à quoi il aspire, pensez-vous que cela est dû au fait que l'Amazighité a toujours été dans une position de défense contre les divers attaques dirigées contre elle et n'a jamais été plutôt dans une position d'avant-garde et de créer un événement socio-politico-culturel?

**Prof. M. CHAFIK : C'est assez tardivement que l'amazighité a pris nettement conscience de sa spécificité. Elle l'a fait par réaction aux velléités racistes de l'arabisme. Jusqu'aux années cinquante du siècle dernier, la référence, et pour les Arabes et pour les Amazighes, était l'Islam. Mais la superbe arabe a toujours été une réalité qui s'abritait derrière le fait religieux. Les Arabes avaient l'air de dire aux autres ethnies musulmanes :  «Hè vous ! là, c'est à nous que vous devez votre qualité de musulmans !», et les autres musulmans trouvaient anodine cette attitude et la jugeaient sans conséquence, jusqu'au moment où le concept de «Nation arabe» s'est mis à squatter dans les esprits la place du concept «Nation musulmane». Les choses en sont aujourd'hui au fait que les Arabes tentent de faire coïncider les deux concepts. Y arriveront-ils? Je ne le pense pas, car, de l'Indonésie au Maghreb les peuples ont pris conscience de leurs identités de base, et dénient tout leadership aux Arabes, largement discrédités par leurs excès, leurs frasques, et surtout leur hypocrisie, celle de leurs «guides» tout au moins.

18*Mr. S. KHOTTOUR : Quelle est la contribution que pourrait attendre le mouvement Amazigh des Imazighen vivant à l'étranger ?

**Prof. M. CHAFIK : Le mouvement culturel amazighe attend d'abord des Imazighen de l'Etranger qu'ils prennent conscience du fait qu'à l'origine de leur exil volontaire se trouve la marginalisation systématique de l'amazighité. Ils sont bien placés pour faire connaître dans le détail, au monde entier, les réalités de l'histoire et de la géographie de Tamazgha, et aussi les valeurs défendues par l'humanisme amazighe. Sans avoir à renier leur foi islamique, ils se doivent de prendre leurs distances avec le fanatisme obscurantiste, et de faire valoir l'idée que la notion de laïcité est inscrite dans le texte coranique même : «Lâ ikrâha fi ddîn !» . C'est la laïcité qui débarrassera l'Islam des scories qui l'ont souillé à travers son histoire, tout comme cela a été le cas pour le catholicisme par exemple. Voici, là, quelques tâches pour notre diaspora; il y en a d'autres, qu'elle s'imposera elle-même, selon ses moyens matériels et moraux.

19*Mr. S. KHOTTOUR : Après votre long engagement pour la défense de la culture Amazighe, êtes-vous satisfait de la situation dans laquelle se trouve l'Amazighité actuellement ?

**Prof. M. CHAFIK : Je ne suis pas pleinement satisfait, et c'est normal, car, lorsqu'on défend une cause juste, on croit, au départ, que tout irait de soi. Mais il y a assez longtemps que j'ai compris que, en toute situation d'iniquité, les privilégiés mettent plus d'ardeur à défendre leurs priviléges que n'en mettent les dépossédés à défendre leurs droits. Je reste optimiste malgré tout, car les Marocains commencent à s'écouter les uns les autres, et les Imazighen à mieux s'organiser. L'essentiel c'est que toute violence est bannie du champ où se mène le débat. C'est là un grand succès pour le mouvement culturel amazighe. Lui en saura-t-on gré? Je l'espère.

20*Mr. S. KHOTTOUR : Comment voyez-vous le développement de l'Amazighité dans le futur ?

**Prof. M. CHAFIK : Le futur de l'amazighité est entre les mains de «timmuzgha» tout entière, où qu'elle se trouve.

21*Mr. S. KHOTTOUR : Êtes-vous optimiste en ce qui concerne l'avenir de l'Amazighité ? Si oui ou, si non, pourquoi ?

**Prof. M. CHAFIK : Très optimiste, parce que notre cause est juste, et parce que nous n'avons d'autre projet que celui d'être des hommes et des femmes libres, d'être eux-mêmes.


Source:Extrait d'Interview réalisé par Said KHOTTOUR
http://www.amazighworld.org/news/interviews/index_show.php?article=276

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