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Zighcult
26 septembre 2005

Le jour du séisme-Nina Bouraoui

Le jour du séisme
(Roman) - Stock, 1999


Présentation

      C'est le 10 octobre 1980, à El Asnam (maintenant Chlef). Nina Bouraoui a alors 13 ans, mais cette secousse marque à jamais sa vie.
     Elle impose pour toujours, une certaine familiarité avec la peur, avec la mort. Elle fracasse non seulement la terre mais aussi toutes les certitudes intérieures, l'enfance, l'amour... De cette faille, surgit un chant incantatoire, superbe, un hymne à l'enfance, un chant d'amour à la terre blessée.
      Allégorie de la vie, le séisme est aussi le symbole de cette fracture algérienne actuelle qui ravage et détruit aveuglément.

Commentaire

      La terre tremble en Algérie le 10 octobre 1980. Nina Bouraoui a treize ans. Le Jour du séisme relate cette journée particulière et chaotique où la nature s'est dressée contre l'humain. Ce livre est écrit sur deux voix. Celle qui dit le renversement, le bruit et la violence. Celle qui évoque les lieux des jours heureux, une terre paisible et forte. C'est un livre de mémoire et d'amour. Un hymne à la terre algérienne, son odeur, sa couleur, ses cycles. Une recherche de l'enfance, des lieux secrets des premiers sentiments. Le Jour du séisme est aussi le livre de l'exil, de la perte, du manque. Il est symbolique parce qu'il fait référence à la douleur algérienne actuelle, à cet autre séisme qui ravage et détruit. Le premier roman de Nina Bouraoui, La Voyeuse interdite, a reçu le prix du Livre Inter en 1991. Elle a publié deux livres chez Fayard, Le Bal des murènes et L'Age blessé.

Commentaire

      le 08 octobre 1999

      Dans une geste tout à la fois sensuelle et spirituelle, Nina Bouraoui évoque non plus la terre qui se dérobe mais la matrice qui ouvre aux sens, aux désirs et à Dieu ; et puis, en son point ultime, la mer, cet espace des rêves et des promesses qui console mais qui "porte la tristesse" et "amplifie les regrets". Regrets des départs, tels ceux d'Arslan et de Maliha, amis des jeux, des apprentissages, des rites et figures de l'exil. Porté par une même rythmique, un même phrasé ténu et incisif, une même force d'évocation, les deux lignes mélodiques s'entrecroisent, se répondent pour se fondre dans une magnifique incantation. Un chant d'amour à la terre blessée. Pudique et touchant en ce qu'il révèle d'un moi écartelé : "La vie, après, est la recherche du premier sentiment d'infini, une errance. La vie après est incomplète. Sa beauté traverse les corps. Son absence est une obsession." Une perte que Nina Bouraoui transfigure par la magie d'un verbe poétique. D'une voix unique.

Le Monde - Christine Rousseau


Entrevue recueillie par N. A. (1999)

Votre écriture est très poétique ...

Pour parler d'une terre qui s'en va, d'une terre que l'on perd, de Dieu dont on a besoin, forcément cette sorte de récit poétique s'impose un peu. Je me considère plus comme une artiste qu'un écrivain. J'ai souvent retranscrit des tableaux que je voyais. Je dépeins ce que je vois, j'écris assez par vision même si mon travail est très lucide, je suis assez concentrée sur ce que je fais.

Vous considérez le séisme à une prise d'otage ...

En fait le séisme est incarné, le séisme est un homme et un diable dans ce livre. Le séisme est la violence et celle-ci vient du mal, elle vient donc d'un homme détourné du bien. Tout cela est symbolique. J'ai l'impression que l'Algérie est prise par le diable, elle est dans une sorte de tourment diabolique dont on ne voit pas les issues. L'enfant, l'un des êtres les plus fragiles et les plus innocents est forcément le plus touché comme toutes les fragilités. Donc le mal prend l'enfance, ce qui signifie qu'il s'empare de toute la vie entière parce que l'enfance, c'est l'innocence, c'est la naïveté et c'est le début de la vie. L'enfance est aussi le ciment de la vie, quand il y a une fissure dans l'enfance, la vie est déséquilibrée.

Indépendamment du séisme, la prise d'otage est encore bien présente en Algérie aujourd'hui...

Je vois ce qui se passe en ce moment en Algérie comme une prise d'otage, comme une grande solitude, comme un pays qui est écarté du monde dont on ne parle pas assez. C'est une prise en otage d'un peuple entier.

Comment le vivez-vous ?

Assez mal parce que j'ai de la famille et des amis là-bas, j'y ai laissé 14 ans de ma vie que je ne peux pas valider à nouveau, parce que je n'y retourne pas. C'est difficile d'entendre rapporter des faits très violents. Imaginez que vous entendiez " trente personnes égorgées sur la Grand Place de Lille ", c'est forcément un peu de vous qu'on assassine.

Écrire vous permet peut-être de garder le contact...

J'ai toujours pensé que l'écriture était un travail le mémoire, une "façon de fixer le temps, de le rendre un peu plus éternel. Écrire ce livre c'est fixer mon enfance pour qu'elle ne parte pas, c'est aussi fixer des lieux pour ne pas qu'ils disparaissent et c'est surtout fixer une ville Alger telle que je l'ai connue, telle que je l'ai vécue, telle que je l'ai ressentie pour ne pas qu'elle s'éloigne de moi. C'est une correspondance avec ce lieu-là, cette enfance-là. L'enfance est aussi un pays. Cela s'adapte pour ce livre mais aussi pour les autres. J'ai toujours eu une sorte de sincérité dans mon écriture. Je n'ai jamais trop triché même si j'ai écrit aussi des romans qui ne concernaient pas ma vie mais ils en évoquaient une certaine partie. Écrire c'est pour moi rapporter la mémoire.

Comment vous est venu le désir d'écrire ?

J'avais 8 ans. C'était une sorte d'élimination, de révélation. J'ai commencé très tôt, comme j'ai commencé assez tôt à peindre et à sculpter. Je me suis vite trouvée dans une logique de création. C'était important de créer, il se trouve que cela s'est développé d'abord dans l'écriture. Ça m'a donné une force qui va au delà de la réalité.

Le fait d'être métisse a t-il une incidence sur vos inspirations ?

Cela a une incidence sur ma vie de tous les jours. D'être de père algérien et de mère française pose un problème d'identité dès le début. Je suis un enfant de la guerre en fin de compte puisque je suis née en 1967 juste après l'indépendance. L'enfance est vécue comme un tiraillement même si j'ai des parents qui s'aimaient et qui essayaient d'apporter les deux cultures, mais je me sens de moins en moins française, de plus en plus algérienne justement à cause de la fragilité de l'Algérie, à cause aussi du racisme épouvantable qu'il y a en France. Je ne souffre pas directement de ce racisme, mais j'en souffre à travers mon père qui est plus typé que moi et je souffre d'une sorte de manque d'identité. Cela rend plus libre aussi, je fais partie du monde mais je ne fais pas partie d'une nationalité.

Qu'attendez-vous d'un livre ?

Je sais que l'on peut attendre quelque chose d'un livre, mais je considère qu'il a sa vie dès sa parution, il n'existe presque plus même s'il est. Je pense qu'il a déjà d'autres vies parce qu'il est entre d'autres mains. En ce moment je suis déjà en train d'écrire un autre livre, et chez moi, chaque livre efface un peu le dernier.


Le Matin 29 juin 2004
Une liturgie de l'incommunicable

      Nina Bouraoui écrit comme personne. Et magnifiquement. Le Jour du séisme paru en 1999 est son quatrième roman après La Voyeuse interdite, Le Bal des murènes, L'Age blessé. Depuis, d'autres titres ont vu le jour : Garçon manqué, Poing mort, Poupée Bella et La Vie heureuse. Par le séisme, Bouraoui dit l'Algérie, le malheur, incommunicables. Avec des phrases surprenantes et un langage recréé à partir de « visions ». Un tempo intérieur en fait vibrer chaque segment. Les phrases sont brèves, souvent réduites à leur plus simple expression : un sujet, un verbe. Comme dans les textes religieux, la ponctuation obéit à un rythme invisible, immédiatement pressenti : « La terre craque, en retrait. Elle fait ses creusets. Elle prépare. Elle dévie. Je sais déjà la ligne du séisme. Je découvre. J'ai peur () Le jour algérien deviendra une longue nuit sismique. » La narratrice exprime son obsessionnel attachement à cette terre prise de convulsions en brisant tous les canaux de l'écriture traditionnelle. Les majuscules fleurissent comme des îlots inattendus : « Je suis d'ici et attachée. » Le séisme du 10 octobre 1980 devient tous les séismes de la terre et tous ceux de l'âme : « Le centre de la Terre est une violence Perdre son enfance. Perdre son pays. Perdre ses lieux. Prendre un autre langage, une interprétation. Je suis traversée et nouvelle. Ma terre s'ouvre. Je tombe. »
      Le récit est structuré sans chapitres apparents, les pages égrènent des petits textes qui décrivent la tragédie tellurique, mais également la fin de l'enfance, le départ du frère vers l'étranger et l'Algérie livrée « au Diable » avec tous ses espaces : « Je deviens invalide. Seule ma mémoire reste. Elle induit l'image, les voix et les lumières. Elle donne le silence. Elle redresse le réel Elle valide les rêves, les traces et l'origine. Elle vient du seul pays. Elle est natale et algérienne. » Le texte apparemment fragmenté chute régulièrement sur des petites phrases qui relancent le mouvement très dynamique d'un ensemble hélicoïdal : « Le séisme brûle mon enfance » ; « Je trace ma voie » ; « Mon enfance dévore ma vie » ; « J'apprends l'exclusion » ; « Ma soeur Djamila est mon visage aimé » ; « Je sais des Aurès à la Mitidja »
      Sur le plan thématique, cet ouvrage est un cri d'amour, de détresse, une explosion de vie :« Je perds Alger. Le séisme ouvre et referme la terre, sa victime. Il ravage.
      Il extermine. Je perds Biskra. Je perds Touggourt. Je perds les lieux de ma mémoire. Ma vie, adulte, est à construire. Je marche sur le sable. Je viens du chaos J'attends la fin de ce monde. Je suis l'enfant du séisme algérien. Je dévie de ma route. Je change, à jamais » Le séisme devient exil : « Le séisme forme déjà à l'exil et la différence. Il traverse le corps et impose une scission. Il dénature et fonde une autre origine. Il modifie les naissances. Il est immédiat et profond. Je deviens une autre () qui sait enfin mon enfance liée au mystère algérien ? » L'exil devient séisme : « Quitter l'Algérie est un acte violent. C'est un arrachement qui implique la mémoire, son noyau, son intégrité. C'est se détourner de soi. C'est se rendre à l'errance Quitter sa terre. Quitter sa définition. » Cet écrit dont Nelly Kaprièlan dit qu'il « rend toute lecture linéaire antédiluvienne » transfigure l'écriture en saisissant le réel tel quel, in vivo dans son inextricable complexité. Et comme Sarah l'héroïne de Mustapha Benfodil (Les Bavardages du seul) qui, après des années de séquestration au maquis, s'écrie du fond de son refuge parisien : « Désolée, mon horreur est plus horrible Mon cauchemar vaut tous les cauchemars du monde », la narratrice, au seuil de l'adolescence, s'essaye à transmettre l'impossible sensibilité du malheur et de l'attachement à une terre qui, pourtant, tremble et ravage les vies. Cette tellurique histoire d'amour hachée, mais d'une grande harmonie, fait penser à cette phrase du Cubain Severo Sarduy à propos de « la fatigue du paradigme qui marque le passage d'une époque à une autre (ainsi du classicisme au baroque), c'est sans doute quelque chose comme une entropie générale, une perte inexorable et lente d'énergie symbolique, sans origine assignable ni centre ». Nina Bouraoui ou l'écriture « cosmologique ».

K. T.

Le Jour du séisme de Nina Bouraoui Editions Stock, livre de poche, 2001 99 pages, 180 dinars.


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