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Zighcult
27 septembre 2005

Le Mouvement amazigh (Questions à Meryam Demnati)

Questions à Meryam Demnati

1 - Vous avez participé à la marche des Imazighens du 1 er Mai 2005, quel en fut le mot d'ordre principal et pourquoi ?

Le mouvement amazigh dont la première revendication a toujours été la reconnaissance de l'identité, de la culture et de la langue amazighes par la loi suprême, a fait de la question de la constitutionnalisation de l'Amazighité, lors du 1 er Mai 2005 une priorité. Cette revendication reprend de l'ampleur aujourd'hui parce qu'avec l'annonce de l'intégration de l'amazigh dans l'enseignement et les mass médias et le boycott flagrant que mènent les partis arabo-islamistes sur le terrain, la situation doit être clarifiée et notre langue et notre culture protégée par la loi.

Mais aujourd'hui, le fameux rêve arabiste d'enterrer vivante la langue amazighe ayant échoué, malgré une arabisation et une islamisation à outrance, les ennemis de Tamazight ne se découragent pas. Ils reviennent à l'offensive par des discours plus ou moins voilés, proférés par des officiels à l'endroit de l'amazighité, en proclamant que seule la langue arabe sera officielle.

Si Tamazight, en son berceau même, n'a pas statut de langage, les décideurs nous ont toujours signifié avec mépris et arrogance, que la seule langue ayant droit à l'existence dans ce pays est l'arabe et c'est la Constitution qui en a ainsi décidé! Conséquence de la volonté du peuple à reprendre le contrôle de son destin, résultat d'une lutte continue et sans relâche, la reconnaissance constitutionnelle de tamazight retentit comme une rupture qualitative avec le jacobinisme qui a étouffé les richesses inestimables de la société et de l'âme marocaine et maghrébine. Ce statut constitutionnel qui rectifiera par sa double valeur politique et juridique une injustice historique subie par tamazight, sécurisera cette langue et lui permettra alors de bénéficier des moyens juridiques, matériels, financiers et moraux de l'Etat. L'enseignement obligatoire, la création d'un institut amazigh, l'aide à l'édition et à la création, une place complète dans les médias sont des obligations de l'Etat envers tamazight. L'unanimisme arabo-islamique a tenté d'asphyxier l‘identité amazighe, mais le mouvement amazigh détonateur qui a encouragé l'émergence de la revendication de la liberté d'expression, des droits de l'homme, a imposé une redéfinition de l'identité marocaine et son acceptation comme résultat de son processus historique.

Cependant, malgré les discours sur la diversité culturelle et quelques petites actions par ci par là, il est impérieux de dire que cela reste insuffisant pour garantir un développement complet et achevé de tamazight.

Nous ne cesserons jamais d'affirmer que le statut de langue officielle est le seul à même d'assurer son épanouissement irréversible. Il est temps, plus que jamais, que cette langue soit liée définitivement au sort et à l'avenir de l'Etat. Il s'agit d'une nécessité historique avérée. Faire de tamazight un outil de développement et d'émancipation est un devoir citoyen.

 

La promotion de tamazight au rang de langue officielle de l'État a des implications sur la nature de l'État, de sa forme d'organisation et de la perception de soi dans les sphères d'appartenance historique, géostratégique, géopolitique et géoculturelle. Pour le court terme tamazight peut être introduite dans des domaines réservés à la langue officielle : la justice, l'administration, l'école, comme moyen de médiation du droit, du savoir en début de scolarisation...

L'officialisation, dans le sens de son introduction dans certains domaines officiels est possible dès demain. Il faut cependant être patient pour que, une fois les hypothèques politique et symbolique levées, faire effectivement ce qui doit être fait pour une officialisation réussie et sereine loin du bricolage volontariste qui a caractérisé l'arabisation.

Aussi le mouvement amazigh peu soutenu par les autres composante de la société civile, se doit de prendre sérieusement les choses en main et revendiquer avec plus d ‘insistance qu'avant que l'Amazighe soit reconnu langue nationale officielle de par les dispositions de la Constitution.

 

2 - Comment situez vous le registre religieux au sein du combat Amazigh  ?

Le Mouvement Amazigh qui s'est toujours inscrit dans le cadre des droits à la personne, ne peut que lutter pour le droit à la croyance ou à la non croyance qui permettra librement à tous de choisir, ou non, une option spirituelle et religieuse, d'en changer ou d'y renoncer. Pour la majorité d'entre nous, la laïcité est un atout majeur dans le combat engagé contre les intolérances, le racisme et les intégrismes de quelque bord que ce soit, religieux ou autres.

Revendiquée d'un bout à l'autre du globe, par des gens de tous horizons, de toutes confessions, croyants et non croyants qui rêvent d'un système politique juste et égalitaire, la laïcité n'est pas une valeur occidentale mais une valeur universelle.

Nos tribus amazighes depuis tout temps étaient organisées à leur manière en communautés laïques sous un régime de séparation entre le politico social et le religieux. Le fqih qui s'occupait essentiellement d'enseigner et d'expliquer la religion, ne se mêlait jamais de la gestion sociale, juridique ou politique, qui était l'affaire de la jmaa et de son Amghar.

L'état laïque moderne, tel que nous le concevons, doit s‘inspirer des structures communautaires amazighes démocratiques qui ont permis à nos ancêtres de gérer, avec sérénité, justice et tolérance, leur vie sociale, politique et religieuse.

 

Contrairement aux dires de certains, la laïcité n'a aucune hostilité, ni haine vis à vis de la religion. Au contraire, elle met et respecte toutes les religions et les cultures sur le même pied d'égalité. Il va de soi que la laïcité suppose avant tout l'existence d'une société moderne et d'un état de droit où prévaut la logique de l'individualisme démocratique et des droits de l'Homme ; son instauration est inséparable de la conquête des libertés modernes dont elle représente un aspect important.

Il va de soi aussi que la Laïcité est transversale dans le cadre de la morale et des valeurs d'une société juste et égalitaire. Ceci est vrai pour la liberté de croire ou de ne pas croire, mais aussi de l'égalité entre les êtres humains car quelles que soient leur origine, la couleur de leur peau, leur religion, leur sexe, leur culture, leur condition sociale, les êtres humains sont égaux en droit et en dignité. "Tous les êtres humains naissent libres et égaux en droits", c'est ce qu'affirme d'ailleurs l'art. 1 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

La laïcité exprime une éthique de société qui ne saurait accepter des idéologies de l'obscurantisme et des dogmes de la haine.

Elle vise le bien être et l'épanouissement de l'être humain en prenant comme seul motif d'action, la justice, l'égalité et le respect mutuel et en favorisant le réalisme politique plutôt que le fanatisme religieux ou ethnique.

Faute de quoi, l'harmonie et l'équilibre de la société seront mis en péril comme cela se passe dans certaines contrées aujourd'hui.

Alors de nos jours, la ligne de fracture ne se situe pas entre l' « Islam » et l'Occident mais bien entre les intégristes de toutes les religions et les modernistes de tous les horizons, croyants et non croyants.

 

 

3- Vous avez édité un ouvrage collectif « A l'ombre de l'Islam », pouvez- vous nous en dire un mot ?

Dans un ouvrage collectif intitulé « A l'ombre de l'Islam » édité en Belgique par les éditions Filipson en Janvier 2005, nous avons essayé d'attirer l'attention du lecteur sur l'intolérance et l'injustice qui sévit dans ces pays dit du « Monde Arabe » à l'encontre des minorisés et des minorités. A travers cet essai, les auteurs veulent faire connaître leur sentiment, leur vécu, leur expérience, et surtout leurs espoirs en un monde meilleur où règnera le respect mutuel et la cohabitation sereine. Par cet essai, avec Le Kabyle chrétien, Lucien Samir Arezki Oulahbib, le nationaliste égyptien, Masri Feki, et le Sépharade Moïse Rahmani , nous avons voulu contribuer à faire connaître un « Monde Arabe » où a régné et règne toujours l'humiliation et la marginalisation d'autres identités autres que arabo- musulmanes, afin d'éviter que les erreurs, les fautes, les crimes commis, ne se renouvellent. Dans quelques mois, les éditions Flammarion vont éditer à leur tour cet ouvrage que nous avons rendu un peu plus exhaustif et une distribution se fera au niveau du Maroc.

 

4- Quelle évaluation faites-vous du travail réalisé par l'IRCAM  ?

L'IRCAM a produit en peu de temps un travail de Titan. Les équipes de chercheurs dans tous les domaines (langue, pédagogie, histoire, littérature…) bien que peu nombreux pour un chantier énorme, travaillent d'arrache-pied pour la promotion de l'Amazighité. Un travail colossal les attend encore, Tamazight devant prendre sa revanche sur le temps et l'espace : standardisation progressive de la langue amazighe, élaboration d'ouvrages de grammaire et de lexiques, outils pédagogiques et didactiques accompagnant les manuels scolaires, contribution aux programmes télévisés en langue amazighe pour enfants et adultes en collaboration avec la TV1 et 2 M…etc.

La préoccupation principale au sein du Centre de recherche didactique et de programmation pédagogiques dans lequel je travaille, reste l'élaboration du matériel pédagogique et didactique qui figure parmi les principales fonctions du centre, la standardisation de la langue amazighe en collaboration étroite avec le centre de l'aménagement linguistique ainsi que la formation des enseignants pour une meilleure intégration de l'Amazighe dans l'enseignement.

Une formation des formateurs des écoles de formation des instituteurs (CFI) a été donnée à cet effet pour que Tamazight puisse intégrer ces centres dès la rentrée prochaine. Mais encore une fois, avec cinq jours de formation attribués par le Ministère de l'Education, la formation reste au stade de l' « urgence ». Tant que Tamazight n ‘est toujours pas admise dans les universités et que des départements amazighs n'y sont pas créés au même titre que les autres langues, le bricolage continuera. Avec un Deug ou une licence en amazighe, les étudiants pourront par la suite rejoindre les CFI, les CPR et les ENS pour une formation pédagogique d'une année. Nous pourrons à ce moment-là parlé enfin d'une véritable formation. Bien que cela soit stipulé dans le Dahir et dans la stratégie de l'IRCAM depuis sa création, ce retard commence à nous inquiéter sérieusement. Il est devenu clair que pour chaque droit légitime, il faut taper sur la table et faire pression pour casser les vieilles résistances. A chaque pas qu'on fait, on se heurte à des réseaux de résistance mis en place par les partis politiques ennemis de Tamazight, au pouvoir depuis belle lurette.

Mais malgré le manque de volonté politique évident de nos partenaires du gouvernement et les multiples problèmes rencontrés sur le terrain qui en découlent, le moral des chercheurs reste au beau fixe.

Des contes pour enfants, des histoires illustrées, des bandes dessinées, des dessins animés et des CDROM qui véhiculent des valeurs universelles telles la tolérance, la solidarité et le respect de l'autre, sont élaborés par les chercheurs du centre. L'élaboration du manuel scolaire est la résultante des efforts déployés par une équipe de chercheurs de tous horizons, qui consacrent un temps considérable à ce travail de pionniers qui n'est pas aussi simple qu'on ne le croit.

En fait, le gros handicap de l'IRCAM est qu'il s'agit seulement d'une institution consultative, le processus de décision se situant au niveau du Palais mais les maîtres d'œuvre étant les différents ministères dominés par les partis politiques arabo-islamistes.

 

5- Comment appréhendez-vous les critiques formulées à l'encontre de l'IRCAM ?

Nous acceptons les critiques de tous genres pourvues qu ‘elles soient constructives et qu'elles nous fassent progresser nous y répondrons en toute sincérité que ce soit lors des rencontres associatives ou dans la presse.

Malheureusement, nous constatons que depuis la naissance de l'IRCAM, ce genre de critiques est plutôt rare. Nous avons plutôt droit à des articles mensongers et diffamatoires qui nous accusent sans aucun fondement. La désinformation est très dangereuse. Des textes publiés dans la presse ou des propos tenus lors de conférence-débat, montre à quel point l'ignorance peut être nuisible et dangereuse.

Dernièrement, dans les journaux, on nous accusait de ne pas avoir instaurer la langue amazighe obligatoire pour tous les marocains et à tous les niveaux scolaires ou encore d'avoir opter pour les dialectes au lieu de la standardisation. Est-ce de l'ignorance ou de la mauvaise foi ? Je veux bien croire que l'information circule mal et que la communication est parfois insuffisante.

Il faut savoir une fois pour toute, qu'il y a des principes sur lesquels l'Institut royal de la culture amazigh a passé un accord avec le ministère de l'Éducation et qui sont les principes même défendus par le Mouvement amazigh :

-La langue amazighe doit être enseigné à tous les Marocains sans exception qu'ils soient amazighophones ou arabophones.

-Elle doit être généralisée à tous les cycles d'apprentissage, du préscolaire jusqu'au Baccalauréat à raison de 3 h par semaine.

- La standardisation de la langue amazighe, principe incontournable, se fera progressivement. Elle demande beaucoup de travail et de temps, mais elle reste un des objectifs principaux de l'Ircam.

-La langue Amazighe doit intégrer les universités et les Centre de formation (CFI, CPR, ENS) pour permettre aux enseignants de bénéficier d'une véritable formation.

Les chercheurs de l'IRCAM qui ne sont pas des individus payés à ne rien faire, comme veulent le faire croire certaines personnes malintentionnées, travaillent avec ferveur et conviction pour la promotion de l'Amazighité.

L'IRCAM offre un espace de travail pour tous les chercheurs de tous les domaines, désireux de mettre en commun leurs savoirs et leurs compétences pour promouvoir la langue et la culture amazighes.

 

L'IRCAM qui s'est engagé dans l'intégration de l'Amazigh dans l'enseignement, s'est attelé à la tâche de la standardisation de la langue amazighe sur le plan graphique, orthographique, lexical et morphosyntaxique, et à mettre au point des procédés pédagogiques tels que l'élaboration de manuels scolaires et de plans de formation des enseignements. Mais, si en face le gouvernement résiste et s'accroche à son rêve panarabiste, c'est qu'elle n'est protégée par aucune loi. Son statut doit être explicitement défini dans la Constitution marocaine comme langue nationale et officielle ce qui doit servir de bases à d'autres textes ad hoc dans le domaine de l'enseignement, des médias, de l'administration, de la justice et autres…

N'oublions pas aussi, que Tamazight fait son entrée dans un système déjà bien sclérosé et cela ne nous facilite pas du tout la tâche. Nous devons nous armer de vigilance et de patience pour que tamazight s'installe en douceur avec le moins de dégâts possibles. Pour nous, le combat continue. Il est d'un autre ordre et cela n'est pas aussi simple qu'on le croit.

En ce qui concerne les relations de l'IRCAM avec le mouvement amazigh, nous avons entamé avec un grand nombre d'associations amazighes, un partenariat où règne la confiance mutuelle et la transparence. Plusieurs projets proposés par ces associations et financés par l'IRCAM qui a consacré un budget spécial à cet effet, permettront de contribuer au rayonnement et à la promotion de Tamazight. Ces projets se rattachent essentiellement à la langue amazighe, à la culture amazighe, au domaine de l'enseignement des grands et des petits et au développement social. Une commission de six personnes émanant du conseil d'administration étudiera tous les dossiers et se tiendra à la disposition des militants pour une meilleure collaboration.

A cet effet, des formations de tous genres (communication, langue…) seront proposés aux cadres de ces associations pour leur permettre de se perfectionner et de mener à bien leurs projets.

 

7- Quel Avenir pour l'Amazighité  ?

Le problème tel qu'il se présente aujourd'hui, concerne le plus souvent des populations dont l'identité est souvent gravement atteinte, et qui souffrent d'une aliénation linguistique, psychologique, économique, et culturelle. Il n'est donc pas étonnant que les mouvements de revendications, tels qu'ils apparaissent à l'heure actuelle, prennent de plus en plus la forme d'une véritable remise en question de l'histoire. Les populations qui ont le sentiment d'avoir été privées de leur histoire et qui refusent de voir disparaître leur langue et leur culture prennent également conscience de leur aliénation économique, qui se manifeste par une situation de sous-développement ou un abandon totale de leurs régions.

Elles prennent conscience de la sous industrialisation de leur région et assistent impuissantes à l'émigration des couches les plus jeunes et les plus actives et à la prise de contrôle par des étrangers de la terre de leurs ancêtres...

Tout semble indiquer que malgré les obstacles qu'ils peuvent rencontrer, ces mouvements de contestation sont appelés à prendre une importance de plus en plus grande dans les années à venir. Il serait vain de croire que quelques concessions mineures suffiront pour y mettre fin.

Les décideurs privilégiant encore une stratégie d'étouffement et une "fermeture" démocratique, ne mesurent pas la gravité de la situation qui peut engendrer un mécontentement radical des Imazighens. Les mouvements de contestation seront amenés, par la force des choses à se politiser et à se radicaliser. La question amazighe n'est pas seulement une préoccupation linguistique intellectuelle, mais une question identitaire existentielle face à la machine assimilatrice de plus en plus sophistiquée des ennemis de Tamazight. Être Amazigh aujourd'hui ne se limite plus à la langue et à la culture, mais il s'étend à l'affirmation d'une identité fondée sur l'histoire à l'appropriation d'une grande civilisation plusieurs fois millénaire et à la construction d'une société de droit, juste et égalitaire. Aujourd'hui, il est devenu clair que les Imazighens ne renonceront jamais à leur amazighité, même si les arabo-islamistes compte sur le temps pour "assimiler" la majeure partie de la population.

D'un combat clandestin dans les années soixante, le combat du mouvement amazigh est devenu un combat public. D'une lutte groupusculaire, il s'est transformé en une lutte populaire. D'un combat à grands slogans, il s'est doté petit à petit d'une ligne fondamentalement démocratique et non violente. D'une formulation culturelle de la revendication, il s'est donné une formulation politique claire et structurée

Aujourd'hui, le Mouvement amazigh en unissant ses forces, et en ayant un projet sociétal bien ficelé pour la construction d'une société démocratique, juste et égalitaire, deviendra alors, beaucoup plus fort et efficace pour continuer son combat jusqu'à l'aboutissement de nos revendications justes et légitimes. En associations, en partis politiques en syndicats et surtout en convergeant nos forces dans le même sens, l'Avenir nous appartient.

source : Revue Agraw Juillet 2005


Source: http://www.amazighworld.org/news/press/index_show.php?article=300

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