Marguerite Taos Amrouche et Jean Amrouche
Source: http://dzlit.free.fr/
Marguerite Taos Amrouche
Le Soir d'Algérie 9 avril 2005
IL Y A 29 ANS DISPARAISSAIT MARIE-LOUISE TAOS AMROUCHE
"Une femme, un destin et un combat"
Le 2 avril 1976 mourait Taos Amrouche à Paris, en exil. Elle était âgée de 63 ans. C’était la fin d’une grande dame de la littérature et de la culture algériennes en général et berbères en particulier. Elle faisait partie de cette catégorie d’Algériennes et d’Algériens qui, toute leur vie durant, contre vents et marées, ont non seulement sauvé de l’oubli et préservé jalousement notre patrimoine culturel, mais aussi n’ont pas lésiné sur aucun effort pour le transmettre aux générations futures et le vulgariser aux quatre coins du globe. Elle était également cette poétesse, cette incantatrice à la voie d’or et cette romancière talentueuse universellement connue et reconnue.
MARIE-LOUISE TAOS ÉTAIT DE SON VIVANT EN “DISGRACE INSTITUTIONNELLE”.
Son pays natal, qu’elle chérissait plus que toute autre chose, lui était interdit pour avoir été refoulée de l’aéroport d’Alger à maintes reprises. Ses œuvres sont frappées d’interdiction et d’ostracisme. A l’instar d’autres géants, tels que Slimane Azem, Bessaoud Mohand Arav, etc., elle était contrainte à un autre exil, elle “l’éternelle exilée”, pour reprendre l’expression de sa mère, Fadima Ath Mansour. Elle devait subir les affres d’une idéologie saugrenue et stupidement hostile à tout ce qui était authentiquement algérien. Elle qui n’a jamais accepté de troquer le sein maternel contre l’aigre lait d’une marâtre avait rétorqué aux tenants de cette “barbarie culturelle” : “Nos bijoux sont exposés, nos poèmes, contes et chansons sont répertoriés partout ailleurs à l’étranger. A quoi serviront alors vos lois et vos discours ?” Cet exil attisera alors sa blessure de se savoir toujours étrangère, car étant d’une culture double, kabyle et française, et de confession chrétienne, elle se sentait toujours marginalisée, malgré la forme extérieure de l’intégration, des profondeurs et des secrets des deux communautés. Elle disait à ce propos : “Oui, j’avais beau avoir les pieds teintés de henné, les joues fardées et les lèvres rougies à l’écorce de noyer. Je connaissais déjà ce sentiment d’être exclue des cercles magiques (...) que je ne retrouve au milieu de nos compagnes musulmanes ou françaises. J’étais seule de mon espèce. Aussi loin que je remonte dans le souvenir, je découvre cette douleur inconsolable de ne pouvoir m’intégrer aux autres, d’être toujours en marge.”
CETTE TERRIBLE “CONFESSION” ILLUSTRE LE DESTIN QUI EST LE SIEN
Ainsi, d’ailleurs, que celui de toute la famille Amrouche dont elle était la dernière survivante de la lignée. Leur vie était soumise à une véritable “odyssée”. La conversion au christianisme a été pour elle et les siens source d’incompréhension, d’humiliation et de rejet de la part d’une société étroitement embastillée dans les préjugés et le côté négatif et intolérant d’une religion. D’un autre côté, il n’ont jamais été, malgré les apparences, profondément adoptés par les chrétiens français, les sachant solidement attachés à leur patrie, leurs traditions et à la soif de liberté de leur peuple. Donc, revister la vie et l’itinéraire de Taos, c’est replogner dans les profondeurs et les méandres d’une âme meurtrie par les déchirures d’un exil perpétuel à la recherche, elle le soulignait “d’un éden du pays à jamais perdu”, d’un bonheur et d’une paix intérieure jamais atteints. Marie-Louise Taos naquit le 4 mars 1913 en Tunisie. Elle est la fille de Fadhma ath Mansour et de Belkacem Amrouche, originaire du village Ighil Ali, du côté de Béjaïa. Avant de s’exiler en France, elle travaille à la radio Tunis puis à Alger, en 1944-45 et elle a également assuré à la radio diffusion française une chronique hebdomadaire en langue kabyle consacrée à la culture orale et à la littérature nord-africaine. Pour le chant, qu’elle a hérité de sa mère, dans ces multiples facettes : dikr (chants religieux), tébougharines, etc., elle s’est produite une première fois à Paris en 1937, puis au congrès de Fès en 1939 et elle obtient en 1967 le grand prix du disque. Pour son œuvre romanesque, dont elle fut la précurseuse dans le genre féminin en Algérie et en Afrique du Nord, elle a fait paraître quatre romans. Jacinthe noir (1947), Rue des Tambourins (1960), Solitude ma mère (1963) et L’amour imaginaire (1966). Ces écrits bien qu’ils soient d’essence essentiellement autobiographique, où elle illustrait le long de toute la trame des quatre romans la souffrance de l’exil continuel et la frustration chronique de ne jamais se sentir chez soi, ils symbolisent également notre identité confisquée par les tenants successifs du pouvoir. De ces derniers, elle disait justement : “Ils trichent avec eux-mêmes, ils trichent avec l’histoire, les dirigeants des pays maghrébins qui tentent d’éliminer la culture berbère.”
ELLE RAPPORTERA, AUSSI, SANS COMPLAISANCE AUCUNE, LES TARES ET L’HYPOCRISIE DE SON TEMPS ET DE SA SOCIETE.
Les injustices et la discrimination dont sont victimes les femmes y sont également mises à l’index. Elle léguera en plus, à la prospérité un florilège de contes et de chants rituels, qu’elle a recueillis et sauvé de la disparition, à travers l’essai Le grain magique qu’elle a fait paraître avant sa mort. Sur un autre plan, son engagement sur le terrain par des actes concrets et des prises de position en faveur de la reconnaissance de la langue et la culture amazighes ne souffre d’aucun équivoque, bien plus, jusqu’à en faire sa raison d’exister. A ce sujet, elle devait déclarer un jour : “J’ai un but à atteindre : empêcher la culture berbère de périr. Elle est aujourd’hui menacée en Afrique du Nord. Pourtant, elle ne porte ambrage à personne, mais on prétend qu’elle relève du particularisme régional, alors que c’est toute l’Afrique blanche qui est berbère en profondeur. Il s’agit d’un patrimoine cinq fois millénaire, un patrimoine de beauté et de spiritualité qui devrait faire l’orgueil de tous les pays maghrébins et, au-delà, de l’humanité tout entière.” Son engagement est visible également dans sa mise à la disposition des Berbères de France, le 14 juin 1966, de son domicile pour une réunion qui a donné naissance à l’Académie berbère. Il a fallu atteindre plus d’une décennie après sa mort pour voir cette “jeune fille de ma tribu”, comme aimait appeler feu Kateb Yacine sa mère avoir droit de cité dans son propre pays. En effet, la Maison de la culture de Béjaïa a été baptisée en son nom et ce n’est qu’une juste réparation de l’histoire.
A. A.
Le Soir d'Algérie 6 novembre 2003
Qui se souvient encore de Marguerite ?
Enterrée à Saint-Michel-l'Observatoire, la dernière demeure de Taos Amrouche est totalement prise dans les ronces.
D'aucuns pensent qu'il faut rapatrier sa sépulture. D'autres qu'il faut au moins soigner sa tombe.
Qui se souvient encore d'elle ?
Incontestablement, Marguerite Taos Amrouche était la première cantatrice algérienne en langue française en Algérie, voire en Afrique du Nord.
Elle fut désignée par le sort pour naître à la même période que l’autre génie de la littérature algérienne, Mouloud Feraoun, en mars 1913.
Marguerite Taos Amrouche, fille de Belkacem Amrouche est de Fadhma n’Ath Mansour, est née le 4 mars.
Sa vie a été un long exode, de son village natal Ighil Ali, à Béjaïa vers Tanzis en Tunisie puis vers Paris où elle a passé le restant de sa vie, une existence qu’elle a menée non sans difficultés, car le mal de l’exil n’a cessé de la ronger, ce qu’elle n’a cessé de déclamer dans ses chansons, qu’elle considère avant tout comme un refuge où elle se recroquevillait à chaque fois que ce mal d’exil forcé s’imposait à elle presque avec insistance.
C’est ainsi qu’elle a chanté pour la première fois à Paris en 1937, puis au congrès de Fès en 1942.
Elle travailla à la radio de Tunis, puis à Alger entre 1944-1945. Elle a assuré également à la radiodiffusion française une chronique hebdomadaire en langue kabyle, consacrée au folklore oral et à la littérature nordafricaine.
En 1967, elle obtient le Disque d’or. Taos Amrouche a surtout excellé dans l’opéra en langue amazighe, cette langue pour laquelle elle s’est donnée corps et âme, pour sa promotion, son épanouissement, mais surtout pour qu’elle résiste contre vents et marées qui la guettait de très près, notamment de la part de certains décideurs de l’époque.
Dans ses romans comme dans ses chansons, les mêmes maux et blessures refont surface : l’exil, la marginalisation, l’exclusion dont elle a beaucoup souffert, la nostalgie d’un pays perdu, peut-être à jamais.
Ses romans sont tous caractérisés par des touches autobiographiques. Ainsi, dans sa trilogie intitulée Moisson d’exil où on compte, entre autres, Jacinthe noire, qui raconte l’histoire d’une fille qui n’arrivait pas à s’adapter au milieu social où elle vit, et malgré sa volonté, ses innombrables tentatives se sont avérées vaines, car simplement la cruauté, la haine et l’intolérance de l’autre lui font défaut.
Dans la rue des tambourins, le même univers, les mêmes sujets reviennent. Là il s’agit d’une famille qui s’est reconvertie au christianisme.
Cette conversion lui a valu le statut d’une famille renégate, qui a failli aux règles ainsi qu’aux normes sociales et qui s’est retrouvée par la suite dans la déchirure et le cul-de-sac, celui de se soumettre aux traditions ancestrales et de renoncer au christianisme ou s’insurger contre sa société et embrasser la religion de “l’étranger”. Il est de même pour la dernière œuvre complétant la trilogie Moisson d’exil intitulée Solitude ma mère.
A toutes ces œuvres où elle part, en quelque sorte, à la recherche du bonheur perdu, on peut ajouter les poèmes, les contes berbères anciens… qu’elle a écrits tout au long de sa vie et qui peuvent être placés parmi les grands classiques algériens. Taos Amrouche s’est éteinte le 2 avril 1976 à Paris loin de son pays, après avoir rempli sa mission dont elle disait, peu avant sa mort : “Tant qu’il y aura un souffle de vie en moi, que ce souffle de vie soit mis au service de ces chants et de tous ceux qui leur ressemblent qui sont la gloire et le trésor de l’humanité. ”
Hakim C.
La Nouvelle République 8 avril 2003
Evocation : Marguerite Taos Amrouche
Ambassadrice de la culture kabyle
Par Farida Berrabah
Taos est la descendante d'une longue lignée de femmes combattantes. Elle est la fille de Fadhma Aït Mansour, fille de Aïni Aïth Laarbi-ou-Saïd. Fadhma est une enfant de l'amour, mais elle est vue par la société comme l'enfant de la honte.
Née hors mariage, elle n'est pas reconnue par son père. Aïni doit affronter seule la pression de la société en cette fin du XIXe et les difficultés de la vie pour élever sa fille. Elle confie Fadhma aux Sœurs-Blanches des Ouadhias puis à l'école laïque de Taddert-ou-Fella près de Fort National. Lorsque cette école ferme ses portes, Fadhma retourne à son village natal. Elle apprend à carder la laine, faire la cuisine, le tissage et la poterie. Elle s'initie au chant en écoutant sa mère. A seize ans, elle repart pour travailler à l'hôpital chez les chrétiens où, une fois de plus, elle est montrée du doigt, "elle vient de la laïque". Dans cette situation, le combat et la résistance pour vivre, hérités de sa mère, l'empêchent de sombrer dans le désespoir. A l'âge de dix-huit ans, elle se marie avec Belkacem Amrouche. Il est originaire d'Ighil-Ali. Lui aussi est élevé par les Pères-Blancs. Il a été déjà fiancé dans son village. A son tour, il défie l'interdit familial, nouvelle transgression, que Fadhma devra assumer à nouveau. Le couple vivra en dehors du village puis émigrera à Tunis. La famille Amrouche déménagera onze fois en l'espace de quelques années.
Déchirement et dualité
C'est loin de la terre de ses ancêtres, à Tunis, que Marie-Louise Taos va naître, le 4 mars 1913. Elle grandit partagée entre le souvenir d'un pays abandonné - vécu par ses parents - et la réalité de la terre d'accueil. La famille Amrouche, bien que naturalisée française, éprouvera toujours des difficultés d'intégration. Taos écrira dans son autobiographie : "J'ai toujours eu le sentiment d'être restée Kabyle." Et d'ajouter : "Jamais, malgré les quarante ans que j'ai passés en Tunisie, malgré mon instruction française, jamais je n'ai pu me lier intimement ni avec les Français ni avec les Arabes." Cette dualité apparaît même dans les prénoms des enfants Amrouche. Ils portent tous deux prénoms, l'un catholique et l'autre berbère. Ils sont porteurs de deux cultures (Marie-Louise Taos, Jean El Mouhoub, Henri Achour…). Cette justaposition des prénoms reflète l'envie de cette famille de concilier deux univers contradictoires du Maghrébin et de l'Européen, ce qui est très difficile. Dans Au dos de solitude, ma mère, l'un de ses romans, Taos relate les difficultés à vivre cette duplicité culturelle : "La fatalité qui me poursuit, je sais aujourd'hui qu'elle est le lot de tous les déracinés à qui on demande de faire un bond de plusieurs siècles. Ignorante, poussant au gré du souffle rude de nos montagnes, mon destin eût été celui de notre tribu, issue d'une orgueilleuse famille. Ni Racine, ni Mozart ne m'eussent manqué. C'est la civilisation qui a fait de moi cet être hybride. Pourquoi faut-il que le flambeau qu'on se flatte de porter aux populations primitives provoque des déchirements et rend inaptes au bonheur tous ceux qui me ressemblent ?" Ce questionnement est la principale problématique de l'ère post-coloniale. Il englobe les discours de tous les exilés à travers le monde.
C'est de leur mère Fadhma que Marie-Louise et Jean El Mouhoub hériteront le vaste répertoire de chants traditionnels et rituels berbères : chants liés aux travaux de la terre ou aux grands événements de la vie.
Le parcours artistique
Peu à peu, Taos interprète un de ces chants en public. En 1937, à Paris, elle monte son premier répertoire. En 1939, elle se rend au congrès de la musique marocaine de Fès où, pour la première fois, elle présente quelques chants rituels berbères du Djurdjura. Remarquée à cette occasion par Maurice Legendre, directeur de la Casa Velasquez de Madrid, il lui propose de rejoindre cette institution et elle accepte. De 1940 à 1942, elle fait des recherches pour trouver les liens entre le chant berbère et le Cante Jondo et en même temps, elle apprend la langue espagnole. Ainsi, Taos Amrouche interpréta des chants espagnols avec la complicité de la musicologue Yvette Grimaud qui les transcrira. Ces chants seront déposés à la Sacem. Elle les enregistrera plus tard sur un album intitulé Chants espagnols archaïques de la Alberca, publié par Arion en 1972.
C'est au cours de son séjour en Espagne qu'elle rencontre le peintre André Bourdil avec qui elle se mariera. Le couple s'installe un temps à Tunis avant de partir pour Alger. En 1945, ils s'installent définitivement en France et, rapidement, Taos sera reconnue par les milieux artistiques comme la spécialiste des chants berbères. L'écrivain Jean Giono dira de ces chants qu'ils sont "l'expression même de la passion et du pathétique d'une race à son origine". Ainsi, à partir de 1950, elle travaille à la radio (RTF-ORTF) et commence à animer des chroniques littéraires en langue kabyle sous la référence "Chants sauvés de l'oubli - Monodies berbères de Marguerite Taos".
Reconnue comme ambassadrice de la culture kabyle, elle se rend à de nombreux colloques (Orléans, Florence, Rabat…).
Enregistrement et succès
Son premier album Florilège de chants berbères de Kabylie est enregistré pour le label BAM en 1966 et obtiendra le grand prix de l'Académie du disque français. Il a été réédité bien après sa mort par le label parisien Buda dans sa collection "Musique du monde". Deux ans plus tard, paraît le recueil Chants de procession - Méditations et danses berbères. En 1969, Taos chante trois chants berbères dans Remparts d'argile, le film franco-algérien de Jean-Louis Bertucelli. Sélectionné par la Semaine de la critique au Festival de Cannes, ce film a connu un immense succès. En décembre 1971, Taos donne cinq concerts au Théâtre de la Ville (Paris). Cette même année, Arion lui propose d'enregistrer Chants de l'Atlas - Traditions millénaires des Berbères d'Algérie, le premier de la collection des cinq albums. Elle donne son dernier concert le 14 juin 1975. Taos Amrouche décédera le 2 avril 1976 dans le village de Saint-Michel. C'est là qu'elle sera enterrée, loin de la terre de ses ancêtres.
Le grain magique
Chant de méditation pour les humains:
Je me suis promis de dire la vérité
Sans l'altérer jamais,
Le temps que durera ma vie.
Voici deux ans que je néglige de faire le bien
Pour vivre en prodigue à travers le pays,
Et cheminer dans les ténèbres.
Aujourd'hui, je crains d'avoir honte
En présence de mes amis:
La vieillesse besogneuse est redoutable ?
Les hommes se disputent la terre - Hommes, la terre, à qui est-elle ?
Chant des pèlerins
Chant berbère de Kabylie :
Les hommes se disputent la terre
- Hommes, la terre, à qui est-elle ?
Appel à la joie
Poésie berbère :
Celui de qui j'ai partagé la joie,
Qu'il vienne se réjouir avec moi
Et me rendre la joie que je lui ai donnée.
Chants de méditation :
La mort s'aborde avec courage
Et se regarde avec orgueil,
Le rire des ennemis est seul redoutable.
Je fuirai ce pays
Car ma souffrance est à son comble.
Encore que ma misère m'accompagne en exil.
Le cœur qui rêve de figues fraîches,
Que lui imposent les figues sèches ?
Les propos d'autrui sont nocifs :
S'ils ne tuent pas, ils amoindrissent.
Qu'emporterons-nous des biens de la terre ?
Nous les laisserons à des héritiers,
Et nous nous en irons les mains nues
De ce monde éphémère.
Le Jeune Indépendant - 6 et 7 août 2002
Marguerite Taos Amrouche
Le chant magique
Par Belkacem Rouache
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Pleine d’espoir et d’émotion, elle se frayait un passage, une place pour coller le verbe languissant à toutes les bouches. Issue d’une famille berbère d’Algérie et sœur de l’écrivain Jean Amrouche, Taos se libère par le chant millénaire que lui a transmis sa mère.
«Chant de cueillette des olives, O mali mali !» L’aubade rituelle, l’appel à la joie, le chant de l’exil, la marche héroïque et autant d’autres chansons-poèmes forment un répertoire culturel inestimable pour l’Algérie. Taos Amrouche disait elle-même qu’elle faisait un travail acharné, une lutte pour faire connaître, pour imposer l’évidence de l’authentique valeur de ce patrimoine. Si elle est l’artisan de ce travail, c’est surtout à l’honneur des Algériens, des Maghrébins et des Africains. Une voix rien qu’une voix, sublime et envoûtante, brûlante, comme la braise des montagnes. Son chant est un rythme du métier à tisser la laine, d’un mortier, d’un moulin à blé ou une simple complainte, celle d’une mère qui endort son petit. C’est une femme libre, elle fut comme El Kahina, ou Fadhma N’soummer, Hassiba ou les Djamila. Elle fut à la pointe des luttes féminines maghrébines, dans une époque où la femme n’avait pas de place dans la société. «Pas de fleurs, pas de feuilles, mais le chêne-zen, dépouillé, au tronc rude, qui sent l’odeur de la terre, le roc brûlé par le soleil. Les aïeules de cette étrange fille devait emporter les morts et changer les fusils dans les batailles». C’est ainsi que l’écrivain Henri Bosco la décrivait. Les hommes des arts et des lettres qui l’ont connue, l’on appréciée. Kateb Yacine en signant l’introduction de ces livres, disait : «J’ai voulu être présent au grand événement que constitue pour nous la parution d’un tel livre. Il s’agit d’un défi aux bouches cousues. C’est la première fois qu’une femme d’Algérie ose écrire ce qu’elle a vécu, sans fausse pudeur et sans détour.
L’ écrivain Jean Giono lui disait à propos des olives : «Mais nous appartenons à la civilisation de l’olive». Elle lui répondit : «Ah ! mais vos olives sont toutes petites, et puis, vous les cueillez une à une. Nous, nous avons tant, et nous sommes obligés de les gauler».
Mohamed Dib, Driss Chraïb, Mouloud Feraoun, Malek Haddad, Emmanuel Roblès, Mohamed Khaïr Eddine et d’autres écrivains se sont intéressés à cette chanteuse et écrivain que fut Marguerite Taos Amrouche.
«A toi la force et la santé, gauleur d’olives. Fils de la panthère au bras de lion. Tombe la pluie, tombe sur les routes.
Tombe la pluie sur les jujubiers ?
Oh ! ramasseur d’olives. Un coup de collier, l’ouvrage est fini» L’Alborada est aussi l’aubade rituelle qui se dansait dans les montagnes d’Algérie lors des cérémonies. Les femmes revêtaient leur robe de fête et s’encapuchonnaient de blanc.
Les mains teintées de henné. Très tôt à l’aube, elles dévalaient les pentes et chantaient le poème que nous transmet Taos Amrouche.
«Oh ! toi avec qui j’ai partagé la joie
Viens et réjouis-toi avec moi
Rends-moi la joie que j’ai donnée depuis longtemps.
Depuis longtemps nous étions dans un champ d’ombre.
Mais voici que l’astre vient de naître
Déjà se réjouis sa lumière»
Les chants et les écrits de Taos Amrouche resteront comme un témoignage brûlant d’une ferme passionnée par la culture de son pays, qui est l’Algérie. Elle ne supportait ni la tiédeur, ni la médiocrité, encore moins le mensonge. Les tabous étaient terribles et persistent jusqu’à présent sous d’autres formes importées. Cette convention stimula sans doute la mère, puis la petite fille qu’était Taos, à œuvrer davantage pour avoir plus de liberté. Elle la retrouvera en creusant dans la mémoire de ses ancêtres, une culture millénaire. Et dans sa voix flotte une nostalgie infiniment lointaine, une lumière nocturne d’au-delà, la présence d’un pays intérieur dont la beauté ne se révèle que dans la mesure où l’on sait qu’on risque de le perdre.
L’écrivain marocain Mohamed Khair Eddine disait à propos de cette femme : «Taos tire ce qui fait de l’histoire un miroir réversible, une culture terrienne, immémoriale que tous, depuis les phéniciens et les romains ont tendance à effacer pour mieux imposer des systèmes strictement politiques et mettre ainsi la main et le pied sur l’âme des Maghrébins, les empêcher d’être autre chose que les éléments obéissants d’une structure qui n’est pas faite pour eux, ni pour leur salut».
Taos est issue des «rouât». Elle nous transmet des chants et des poèmes qui datent de l’Egypte millénaire et de la Grèce antique.
Son frère, Jean Amrouche, les a traduits en 1939.Les musicologues estiment que ces chants remontent à cinq mille ans.
Ces chants ont été transmis oralement et vivaient de bouche à oreille. Taos les a recueillis par le biais de sa mère Fadhma Aït Mansour.
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Il y a plusieurs styles dans le chant de Taos Amrouche. Sa mère qui voyageait beaucoup et son grand-père qui a épousé diverses femmes venant de tous les coins du Maghreb, chacune d’elles drainant son folklore, et sa tradition y sont pour beaucoup.
D’après Yvette Grimaud, les principaux styles se présentent comme suit : «Addeker», qui signifie Dieu soit loué, est noble et n’admet aucun accompagnement.
C’est à ce courant qu’appartiennent les chants de procession, les chants funèbres et les danses sacrées.
«Assebboghrer», également solennel, comprend les chants de noces, les incantations et les chants rituels de l’ombre. «Ammedah», propre à ceux qui glorifient, auquel se rattachent les chants épiques, satiriques et les grandes complaintes et chants de guerre. «Achoueq», les chants du foyer, les berceuses, les chants d’exil et de médiation. «Ahiha», aux pulsations rythmiques plus accusées, est spécifique aux chants de travail. «Arrenni», propre aux airs de danse et chansons, appartenait à la catégorie «Ifferahen» ceux qui se réjouissent, et «Assihel» propre aux grands chants d’amour exécutés par les chanteurs venus du Sahel. En tant qu’écrivain, elle a publié deux romans : Jacinthe noire et Rue des tambourins et une œuvre autobiographique Histoire de ma vie, qui n’est pas une réponse aux questions d’une interview plus au moins anthropologique, comme le note Michele Côte. Ce n’est pas aussi le cas pour l’Indien de Soleil Hopi, le Paysan Pedro Marintez d’Oscar Lewis ou le Nègre Cimarron d’Eschav à Cuba.
Cet ouvrage se veut avant tout comme un témoignage.
Kateb Yacine destine à Fadhma ces lignes : «Le livre de Fadhma porte l’appel de la tribu semblable à la mienne, plurielle et pourtant singulière, exposées à tous ces courants et cependant irréductible, où s’affrontent sans cesse l’Orient et l’Occident, l’Algérie et la France, la croix et le croissant, l’arabe et le berbère, la montagne et le Sahara, le Maghreb et l’Afrique (…), la tribu de Rimbaud et de Si Mohand, d’Hannibal, d’Ibn Khaldoun et de Saint-Augustin, un arbre de jouvence, inconnu des civilisations.»
Marguerite Taos Amrouche, écrivain et interprète de chants berbères de Kabylie, est décédée le 2 avril 1976 à l’âge de soixante-trois ans. Née le 4 mars 1913 à Tunis, de père et de mère kabyles, elle laisse derrière elle, aussi l’Amant imaginaire, le Grain magique, Jacinthe noire et Rue des tambourins épouse du peintre André Bourdil, mère de l’étonnante comédienne Laurencé Bourdil, Taos Amrouche a vécu dans un monde où la mort du corps n’est pas une mort définitive. Chants de noces et de danses, la poésie de Toas brise les interdits, et de sa voix rude et exaltante, elle exprime le sentiment de la femme qui berce son enfant. Elle chante celle qui, à longueur de journée, tourne la meule, file ou tisse la laine.
Jean Amrouche
Etoile secrète
(Poésie) - Mirages, Tunis, 1937
J'ai respiré la chair du monde et le monde dansait en moi, j'étais à l'unisson de la sève, à l'unisson des eaux courantes, de la respiration de la mer. J'étais plein du rêve des plantes, des collines ensommeillées comme des femmes après l'amour.
Mais j'ai perdu l'esprit d'enfance, l'accord parfait aux Rythmes Saints. Ma bouche s'est emplie de l'âcre saveur de la connaissance et la musique du monde qui ruisselait au printemps de l'enfance peu à peu s'est évanouie dans le pas solitaire du sang.
Entre les Choses solitaires où flotte un souvenir de Lumière s'est épaissie la nuit de l'homme
Quatrième de couverture
" A qui veut définir Jean Amrouche, je demande que l'on retienne cette double religion, celle du langage et celle du mythe ou réalité de deux faces. Et cette religion s'appelle poésie ", écrivait naguère Aimé Césaire.
Plus que dans Cendres, son premier recueil, Amrouche a, en effet, dévoilé dans Etoile secrète une aspiration religieuse d'une singulière finalité. Il s'agirait, pour lui, de renouer avec " des Maîtres Mots, un langage primordial ", afin de se délivrer de son démon. Afin de renaître à l'innocence première. Le langage est ainsi envisagé comme une sorte de thérapie de l'âme et, plus encore, comme un intercesseur entre l'homme et les puissances surnaturelles, et Dieu. Cette aspiration donne à l'art poétique d'Amrouche une tonalité qui le rapproche des Psaumes.
Espoir et Parole
Nous voulons la patrie de nos pères
la langue de nos pères
la mélodie de nos songes et de nos chants
sur nos berceaux et sur nos tombes
Nous ne voulons plus errer en exil
dans le présent sans mémoire et sans avenir.
L'homme le plus pauvre […]
est riche malgré tout de son nom
d'une patrie terrestre son domaine
et d'un trésor de fables et d'images que la langue
des aïeux porte en son flux comme un fleuve porte la vie.
On ne nous fera plus prendre des vessies peintes
de bleu de blanc et de rouge
pour les lanternes de la liberté.
Pressentiment de la solitude
Tu abandonneras les musiques de ton enfance,
Ta mère, qui le soir, t'endormait de ses chants,
Et la paix de la nuit où tu sentais frémir
L'amour immatériel de toute ta maison,
L'allée secrète du jardin où se nouaient les rondes
De tes rêves d'enfant,
Les arbres inclinés effleurant tes cheveux
De leurs feuilles bruissantes,
Et le coin d'ombre où tu tremblais,
Devant le mur lépreux qui pleurait en silence,
(.....)
Tu prendras tes trésors dans les mains de ton âme.
Longtemps, jour après jour, tu les dénombreras,
Mais nul, auprès de toi, ne frémira d'attente
Quant l'heure de dormir se posera sur toi.
(....)
Un Algérien s'adresse aux Français ou L'histoire d'Algérie par les textes: 1943-1961
Quatrième de couverture
Les écrits de Jean Amrouche transportent le lecteur au coeur de l'histoire de l'Algérie de 1945 (début des émeutes de Sétif, Kherrata, Guelma) jusqu'à la veille de la fête de l'indépendance de l'Algérie (1962). Jean El-Mouhoub poète brillant, reconnu dans le milieu des lettres françaises, se transforme au gré des événements extérieurs : il change de statut, il se fait journaliste, porte-parole des masses dominées, traquées, muettes, au risque de sa vie. Il mettra sa double culture algérienne et française au service du dialogue entre le FLN et la France, entre le GPRA et le général de Gaulle. Les articles ici réunis (1943-1962) nous permettent de connaître une histoire de la guerre d'Algérie telle qu'elle est vécue et perçue par le grand poète, l'homme de coeur et de raison qu'était Jean El-Mouhoub Amrouche. Outre la volonté d'informer, Jean Amrouche témoigne. Il exprime sa douleur, celle de son peuple confronté au génocide culturel. Grâce à l'introduction de Tassadit Yacine le lecteur d'aujourd'hui peut comprendre comment un " petit " indigène défavorisé peut s'élever dans la société française et quel sera le prix de son émancipation. Loin d'être " assimilé " ou " renégat " (comme essaient de le présenter les militants de la culture de dernière heure), Jean El-Mouhoub est un patriote et un savant algérien enraciné dans l'africanité la plus profonde, et ouvert sur l'universalité.
Jean et Taos Amrouche
Liberté - 4 avril 2002
Une littérature d’exil et d’angoisse
Figures emblématiques et très controversées de la littérature algérienne, Taos et Jean très complices et pourtant si différents l’un de l’autre, ne s’étaient pas parlé durant dix ans. Toutefois, les frères ennemis étaient restés intimement liés, et le sort a fait qu’ils partent un mois d’avril chargé d’effluves printaniers, laissant derrière eux une œuvre significative, mais pas très connue dans leur pays d’origine.
Mouloud Mammeri disait que “le sort des Amrouche a été une fuite harcelée, hallucinante, de logis en logis, de havre jamais de grâce en asile toujours précaire. Ils sont toujours chez les autres étrangers, où qu'ils soient”.
C’est dans cet état d’esprit, oppressé par l’éternelle quête d’identité, que s’est formée ou forgée la plume de deux grandes figures, controversées certes, mais emblématiques de la littérature algérienne, les Amrouche, Jean identifié à l’éternel Jugurtha, Taos, la petite reine Karomama, mais aussi leur mère Fadhma Aït Mansour.
Car en définitive, c’est grâce au courage et à l’obstination de leur mère que les Amrouche ont traversé les ans et les âges, certes pas tout à fait indemnes, car amputés d’une grande partie de leur sensibilité originelle, mais surtout investis d’une grande force créatrice. La mère, Fadhma, n’a pas cessé d’insuffler dans l’esprit de ses enfants, le courage et la persévérance. Un travail sur le caractère qui a donné plus qu’elle n’espérait, car il a engendré des êtres d’une grande créativité. Une femme exemplaire qui nous a laissé l’un des très beau témoignage de son temps, une autobiographie éditée chez Maspéro, L’histoire de ma vie.
À la fin du siècle dernier, une jeune femme kabyle, la mère de Fadhma, n’avait eu pour seule solution, afin d’échapper à l’oppression de son village, que de mettre son enfant, illégitime, à la première école laïque de filles d'Algérie, ouverte à Fort-National. Ainsi, grandit la mère de Taos, chrétienne, qui va épouser un kabyle chrétien. Dans les années trente, fuyant la misère en Kabylie, elle émigre en Tunisie pour élever ses enfants, puis un autre exil, cette fois-ci, en France. Un récit poignant qui décrit largement l’enfance et l’adolescence de Jean, Taos et leurs autres frères et sœurs.
Mais, c’est Jean et Taos qui vont incarner les déchirements et les contradictions d’êtres viscéralement attachés à la culture kabyle tout en tentant, et coûte que coûte, de s’exprimer au sein de la culture française, devenue une part non moins viscérale d'eux-mêmes. Ainsi, l’œuvre des Amrouche prendra tout son sens dans la seule expérience vécue, aussi dramatique soit-elle, celle de l’exil, un exil qui s’impose comme la pierre angulaire sur laquelle vont se transcrire tous les signes et les pamphlets d’une écriture rebelle.
Et pour le lecteur qui cherchera à comprendre Jean ou Taos Amrouche, il rencontrera, au détour d’une écriture mystique, un homme et une femme accablés par l’exil au point où tout devient étranger, ce qui vient de l’extérieur et ce qui vient de l’intérieur, même leur propre parole leur est étrangère comme l’écrivit Jean :
“Je n’ai rien dit qui fut à moi,
Je n’ai rien dit qui fut de moi,
Ah ! Dites-moi l’origine
Des paroles qui chantent en moi.”
Jean El-Mouhouv, Marguerite Taos, deux prénoms pour chacun, l’un chrétien, l’autre kabyle, symbole effarant d’un déchirement, d’un écartèlement, source inépuisable d’un malaise qui n’a pas cessé de tarauder les Amrouche. Comme si ces multiples “moi”, cette vie à deux temps se rompait en deux obliques parallèles engendrant sur leur trace tout un conflit existentiel sans l’espoir d’une fusion, d’une rencontre au bout. En somme, deux personnalités différentes qui se disputaient un corps. “Je suis un homme et je suis Dieu. Je ne suis ni homme, ni Dieu, car l’homme pleure d’être Dieu et le Dieu souffre d’être un homme parmi les hommes.” Mais, en dépit de toute cette souffrance et de cette double, voire triple culture : kabyle, tunisienne, française et des préceptes d’une ou de deux religions, chrétienne, musulmane et même d’athéisme, les Amrouche se voient par la grâce des mots et de la création littéraire sauvés d’une errance.
“Nous voulons la patrie de nos pères
La langue de nos pères
la mélodie de nos songes et de nos chants
sur nos berceaux et sur nos tombes
Nous ne voulons plus errer en exil
dans le présent sans mémoire et sans avenir”, écrivit Jean dans Le Combat algérien. Ces vers résument à eux-seuls toute la problématique d’une famille algérienne en quête d’elle-même. Une famille déracinée, incomprise, rejetée par les uns et dénaturée par les autres et qui a vécu une double tragédie, non seulement celle d’exilée, mais aussi de colonisée. Car, dès leur enfance, les Amrouche ont rompu avec les traditions ancestrales, ils ont perdu “la mémoire des mythes”, comme l’écrivait Jean Déjeux dans Jean Amrouche, le poète.
Ce dernier, avec sa sensibilité de poète, va chercher sa vie durant cette lumière et cette foi comme le seul moyen de faire cesser l’exil et atténuer le déracinement.
“Entre en toi-même
Il te faut découvrir ta lumière, l’Orient secret de ton sang.”
Taos aussi a cherché puis créé les symboles et les rythmes de sa régénération, de sa renaissance et de son retour vers une terre ancestrale, celle de ses aïeux et d’affirmer confiante dans son roman L’Amant imaginaire :
“Le plus beau est que je finirai par être heureuse et triompher de tant de misère et de larmes”. Puis plus loin, comme un sursaut de conscience, une nostalgie peut-être d’un temps qui s’en est allé emportant joies et peines, elle écrit :
“Pour la première fois, moi aussi, l’idée du cercueil, de la boite m’a fait frémir. Ni boite, ni vêtement, mais le contact direct avec la terre. Héritage de l’islam”. La quête des Amrouche, celle de Dieu, celle d’une terre confisquée, celle d’une identité complexe avec ses différents états, kabyle, algérien, chrétien, français. Cette quête de l’absolu a engendré des conflits intérieurs et a insufflé, aussi aux Amrouche, une œuvre poétique et littéraire de grande force, l’une puisant dans le mysticisme, celle de Jean et pour Taos, plus intimiste. les Amrouche demeurent un symbole de solidarité, de résistance et de travail. “Elle est l’air que je respire et sans lequel je mourrais étouffé”, disait Jean à sa mère Fadhma, à propos de cette famille, celle des Amrouche qui mérite, à elle seule, toute une série d’écrits.
Nacéra Belloula
L’éternel Jugurtha et reine Karomama
Tout semble séparer les frère et sœur Jean et Taos Amrouche. Si l’un est identifié au roi numide Jugurtha, Taos est assimilée par sa fille à Sophonisbe. “Celle qui résiste, qui exprime jusqu’au bout l’obstination et qui ne veut pas faire de concession. Jean était né en 1906 et Taos en 1913. C’était son grand frère, et pendant longtemps, ils se sont suivis de près. Mais, malgré ces bases assez semblables, malgré le fait qu'ils aient travaillé ensemble et fussent imprégnés tous deux des chants berbères de Kabylie et de l’héritage maternel, c'étaient deux êtres assez fondamentalement différents”. Ce constat laisse un peu perplexe, car nous savons, mais sans doute pas aussi bien que la fille de Taos qui écrivait ces mots, que Jean et sa sœur se ressemblaient par leur obstination d’exister, d’écrire et de faire perpétuer les traditions de leur pays. Élevés tous les deux dans une double culture, ils étaient imprégnés tous deux aussi des chants berbères de Kabylie et de l’héritage maternel. Jean s’adonna plutôt à la poésie dans deux essentiels recueils Cendres et Étoiles secrètes, parus en 1934 et 1937. Mais il fut aussi l’auteur de plusieurs essais et de textes littéraires. Taos publia pour sa part quatre romans, donc un genre différent, Jacinthe noire, en 1947, Rue des Tambourins, Solitude ma mère et L’Amant imaginaire, mais aussi un recueil de conte Grains magiques, édité chez Maspéro. Elle préserva aussi de l’oubli quelques chants kabyles admirablement interprétés. Or, dans la mort, ces deux figures contrastantes, qui sont restées fâchées dix ans et ont fini par se réconcilier en 1958, sont parties un jour de printemps, choisissant le même mois, celui d’un avril chargé d’effluves printaniers pour s’éteindre. Jean est mort en 1962, un 16 avril et Taos, le 2 avril 1976.
N. B.
Histoire de ma vie
Le Matin 13 janvier 2003
Réédition en collection de poche de Histoire de ma vie de Fadhma Aït Mansour Amrouche
Le destin bouleversé et bouleversant de Fadhma
Les éditions La Découverte viennent de rééditer Histoire de ma vie de Fadhma Aït Mansour Amrouche qui, rappelons-le, a été rédigé en un mois puis légué à son fils Jean Amrouche, le célèbre écrivain et poète.
Ce livre, publié pour la première fois en 1968, retrace la vie et le destin émouvant de Fadhma.
Une autobiographie qui raconte l'histoire peu ordinaire d'une Kabyle, chrétienne, considérée parmi les premières filles à fréquenter les écoles françaises.
Ce livre se veut une rétrospective de la vie dure, avec ses acuités et ses charges qu'elle a vécue à Ighil Ali, un petit village dans la Basse Kabylie avant d'être forcée à l'exil à Tunis. Fadhma, à travers ce livre, dévoile ses souvenirs tantôt saumâtres tantôt savoureux liés, notamment, à son environnement familial avec toutes les oppositions et les différences qui ont bouleversé sa vie, sa confession chrétienne telle qu'elle l'a vécue lui a valu des vertes et des pas mûres.
Mais grâce à son courage exceptionnel et à sa force de caractère, Fadhma Aït Mansour est restée cette grande dame kabyle qui a réussi à relever le défi en étant « la première femme algérienne à oser écrire ce qu'elle a vécu, sans fausse pudeur et sans détour », écrit Kateb Yacine dans la préface de la première édition.
L'ouvrage caractérisé par sa haute qualité et sa sincérité loyale égrène des réalités sociales souvent difficiles des Kabyles chrétiens au temps de la colonisation.
Cette autobiographie nous permet également de comprendre les contraintes sociales liées aux coutumes qui obligeaient les femmes à s'enfermer à la maison pour accomplir leur devoir religieux.
Fadhma Aït Mansour se retrouvait contrainte pendant de longues années à se rendre à la messe en cachette pour ne revenir que la nuit en compagnie de son mari pour éviter d'être aperçue par les habitants du village.
Les lecteurs pourront également découvrir à travers ce livre des photographies, des pages manuscrites et une sélection de ses poèmes dans lesquels elle met en relief sa misère, son exil et surtout ses épreuves concernant sa naissance hors mariage et sa communion avec Belkacem ou Amrouche en 1899 alors qu'elle avait à peine 16 ans.
Mère de six enfants, Fadhma Aït Mansour Amrouche est décédée en 1967 en Bretagne (France) à l'âge de 85 ans. Histoire de ma vie ressort en collection de poche et en coffret avec le « grain magique » de sa fille Taous Amrouche, une transcription des contes, chants et proverbes de Kabylie que cette dernière a recueillis auprès de sa mère.
Belkacem Sellam
Histoire de ma vie de Fadhma Aït Mansour. Editions La Découverte/Poche