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Zighcult
3 novembre 2005

Le Seigneur aux lanternes


( la légende de Sidi Bouknadel )
http://asays.com/IMG/doc/Le_Seigneur_aux_lanternes-3.doc



  Ceux qui visitent la ville d’Agadir, au sud ouest du Maroc, ne manqueront certainement pas de s’extasier en voyant pour la première fois la splendide et immense plage de sable fin et doré qui borde ses maisons blanches étincelantes au soleil; ils s’étonneront assurément de ces luxueux et imposants hôtels qui se dressent majestueusement dans un ciel continuellement bleu. Après avoir contemplé cette côte paradisiaque et plongé le regard vers l’infini de l’océan, le visiteur admirera longuement les collines aux formes douces et féminines qui bordent la ville et qui protègent la plaine du Souss, telle une déesse bienveillante étendue sur ses flancs ondoyants, des vents froids de l’Atlas au Nord, et du souffle brûlant du désert au Sud.

  Tant de gens afflueront l’été, dès les premières chaleurs de juillet, se réfugier dans cet havre de fraîcheur et de plaisirs, quand la canicule et l’ennui des vacances s’abattent partout ailleurs sur le pays, car la cité bénéficie singulièrement, au plus chaud de l’été, d’une brume rafraîchissante et persistante qui ne se dissipe qu’en fin d’après midi, lorsque le soleil se fait plus doux et qu’il s’apprête à se noyer derrière la ligne de l’horizon.

  On admirera bien sûr l’architecture très moderne de la ville nouvelle et on s’étonnera qu’il      n’y ait aucun vestige ni de vielles constructions, comme c’est le cas dans toutes les autres villes marocaines, qui sont si chargées d’histoire : Ah ! Marrakech, sa palmeraie et ses remparts du XII ème siècle ! Ah ! Fès et sa Médina millénaire ! Tanger la blanche et ses colonnes d’Hercule ! Meknès aux vastes portiques, Rabat, et même la modeste Essaouira, ça c’est le Maroc typique et ancestral ! Mais Agadir, franchement, ne manqueront pas de vous demander les puristes du tourisme culturel, vous ne trouvez pas que ça ressemble à ces cités touristiques artificielles, comme on en trouve tant sur les côtes méditerranéennes, ces villes en béton sans âme ni histoire, vouées au culte du tourisme de masse ?

  Les amoureux de la ville d’Agadir, et ils sont nombreux, vous répondront avec une légère note de tristesse qu’il ne faut pas juger leur cité à la hâte, puis ils vous rappelleront que leur belle ville avait souffert le martyre en 1960, qu’elle avait été ravagée par un terrible séisme, qu’il y eut des milliers de morts, que toute la vieille cité, Founti et ses remparts fut engloutie sous terre et que forcément tout a été reconstruit à neuf et que maintenant c’est l’une des villes les plus dynamiques du pays, et certainement la plus visitée de toute l’Afrique du Nord.

  Ceux qui connaissent l’histoire de la ville vous diront que Agadir a un long passé, malgré tout, et que, n’est ce pas, son ancien nom était Véra Cruz de Aguire, qu’elle fut un port florissant depuis le quinzième siècle, que des navires venaient de très loin se charger de laines, de peaux, de sucre et de cire que l’on fabriquait dans la région… Mais la ville recèle aussi d’histoires mystérieuses et presque oubliées, que même ses habitants ne connaissent pas.

  Tout au dessus de la colline qui fait face à l’océan, il y a une vieille citadelle du quinzième siècle rescapée de la destruction, autrefois toute hérissée de canons, qui était prête à défendre la rade de tout visiteur mal intentionné venant du large. Cette forteresse qui existe toujours fut restaurée récemment, pour donner un cachet historique à la ville; des autocars de tourisme s’y rendent car on jouit de cette hauteur d’un panorama exceptionnel sur toute la vallée du Souss et d’une vue générale de la ville, qui est d’ailleurs la carte postale consacrée; les touristes admireront donc les restes de la citadelle, l’océan à perte de vue, la plage grouillante de monde et la ville blanche, mais ils ne s’intéresseront jamais au modeste sanctuaire d’un marabout qui s’y trouve; même les rares habitants de la ville qui viendront visiter le tombeau se contenteront de prières pieuses et demanderont à la baraka du saint homme d’intercéder pour eux auprès de Dieu pour qu’il exauce leurs souhaits les plus divers. Mais il ne leur viendra jamais à l’esprit que ce saint fut un homme comme eux et ils ne chercheront pas non plus à savoir quelle était sa véritable histoire, ni ce qu’il avait fait d’exceptionnel pour qu’on vénérât, des siècles après, ses restes.

  Si personne ne s’intéresse à l’histoire du marabout du haut de la colline, personne non plus ne remarquera l’existence d’un autre sanctuaire, situé à la hauteur de l’ancien port de la ville. Les marins en particulier vouent à ce saint un grand culte et une fois par an, ils lui sacrifient un mouton, ou un bœuf si l’année fut vraiment exceptionnelle et sans catastrophes, lui offrent aussi un drap en tissu précieux, pour recouvrir son tombeau, puis organisent une journée de fête en son honneur.
 
  La plupart de ces marins, sinon tous, ne sauront jamais pourquoi ils l’ont choisi comme leur saint patron et le protecteur attitré de leurs bateaux et de leurs pêches. Si vous leur posez la question ils vous regarderont ébahis et vous répondront, pris de court, qu’il s’agit bien entendu d’un grand saint homme, qu’il s’appelle Sidi Bouknadel, ce qui signifie le Seigneur aux lanternes, et qu’ils le vénèrent tout simplement car il a la baraka et qu’il protège leurs embarcations.
 
  Mais pour connaître véritablement l’origine de ce culte et la signification de ce nom il faut remonter au passé très ancien d’Agadir, bien avant qu’elle ne fut construite, au temps où la cité ultra moderne ne fut qu’un modeste hameau constitué de quelques misérables cabanes de pêcheurs Chleuhs, bien avant l’arrivée des Portugais, des Espagnols et de tous les autres, au XIV ème siècle, aux alentours de 1350 !

   En ce temps là la vie fut rude pour les paysans et nombreux furent contraints d’abandonner leurs champs pour se convertir à la pêche, car la côte était exceptionnellement poissonneuse et malgré des moyens de pêches rudimentaires de nombreuses familles pouvaient survivre aux grandes disettes. Mais voilà, ces nouveaux pécheurs avaient remarqué que le site où ils s’étaient installés était propice aux naufrages et s’étaient donc transformés par la force des choses en pirates de la pire espèce, des naufrageurs ! Leur système était simple mais néanmoins effroyable : ils attendaient qu’un navire échouât sur leurs côtes et au lieu de porter secours et assistance aux marins qui luttaient contre les flots ils abrégeaient radicalement leurs souffrances et s’accaparaient toutes les richesses du bateau coulé; ils prenaient grand soin de ne point laisser de survivants pour qu’il n’y ait point de témoins de leur hideuse activité; la mer leur donnait le poisson pour leur subsistance et leur apportait, par les nuits de tempête, des richesses diverses qu’ils fournissaient aux caravaniers, en les échangeant contre des biens, ou en les revendant même à des prix dérisoires, car ces scélérats ne connaissaient pas la valeur de l’argent, n’en ayant guère besoin.
 
  Par beau temps ils avaient l’apparence de paisibles pécheurs, réparant leurs filets sur la plage ou décorant leurs longues barques noires de motifs naïfs aux formes géométriques, peints de couleurs gaies. Ils prenaient soin de leurs femmes et étaient d’excellents pères de famille; ils avaient entre eux les meilleurs rapports du monde, pacifiques et solidaires, ils s’entraidaient et formaient une communauté des plus harmonieuses; d’un naturel dévot et craignant Dieu par dessus tout, ils n’auraient pas manqué l’heure de la prière pour rien au monde, même s’ils fussent au large en train de pécher, leur barque ballottée par les vagues.

  Lorsque l’hiver arrivait, transformant la mer en furie indomptable ils se transformaient soudain en une meute de fauves sanguinaires, épiant les navires en difficulté; ils abordaient ceux qui s’approchaient trop du rivage et massacraient tous les hommes de l’équipage; puis ils chargeaient toutes les marchandises sur leurs barques effilées, prenaient soin de saborder et de couler leur proie au fond de l’océan, qui ne trahirait jamais leurs sinistres

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