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Zighcult
30 novembre 2005

Cherchel, la romaine oubliée

L'antique cité à l'epreuve du temps


Cherchell ou Césarée, superbe cité antique plus ou moins bien conservée située à environ 90 kilomètres d'Alger, est plus connue par son académie militaire, ses 800 pêcheurs professionnels, la littérature d'Assia Djebbar et les frasques de Bâaziz, que par la richesse et la diversité de son patrimoine. Située à un jet de pierre de Tipaza, beaucoup plus médiatisée, grâce au règne absolu de son premier wali, gendre très connu d'un président non moins connu, et beaucoup plus visitée, Cherchell n'en est pas moins importante, archéologiquement parlant.

Et, sans pour autant remuer le couteau dans la plaie, encore ouverte et douloureuse des Cherchellois, c'est cette ville qui aurait dû accéder au statut de wilaya. Qu'importe ! Il n'est pas nécessaire de recourir aux gros engins pour déterrer des entrailles de Cherchell le moindre vestige. Tout est là, il suffit juste de gratter la surface de la terre pour exhiber des richesses archéologiques inestimables, témoins de la grandeur et de l'importance de cette cité qui comptait dans l'antiquité 100 000 habitants. Aujourd'hui, Cherchell en compte 60 000. Ville tranquille, ville paisible, ville où il fait bon vivre. Le reste, c'est-à-dire la frustration du statut de wilaya, l'indifférence et le mépris du pouvoir central, la politique d'une manière générale, n'est que verbiage. C'est accompagnés d'authentiques Cherchellois, des vrais de vrais, que nous avons entrepris notre visite dans Cherchell. Il s'agissait pour nous d'aller au-devant de l'histoire, pour la re-visiter, mais aussi pour mieux plaider la cause du patrimoine. Savez-vous que la ville de Cherchell (qui n'est pas une wilaya, rappelons-le) possède deux musées ? Deux beaux édifices, tout ce qu'il y a de plus professionnels, situés l'un à l'entrée de la cité et l'autre au cœur de la ville, au milieu de la Place des martyrs. Dans le premier musée, nous avons été agréablement surpris de trouver une équipe d'archéologues, organisée autour d'un atelier de restauration, comme il en existe si peu chez nous, mis en place depuis quelques mois.
L'équipe, en tant que groupe de travail, existe depuis plusieurs années, mais l'atelier en tant que structure organisée existe depuis seulement janvier 2002. Ils sont une dizaine environ à y travailler en temps normal. Le jour de notre visite, ils étaient trois. Les autres archéologues étaient soient en formation, soit sur le terrain, soit en congé. Fièrement, le chef de file de ce groupe de travail, M. Abdelkader Bensaleh (à ne pas confondre avec le président de la Chambre haute) nous présente le dernier ouvrage de restauration de son atelier. Il s'agit d'une immense fresque de mosaïque représentant les fameuses neuf muses de la mythologie qui a été patiemment reconstituée selon des techniques de restauration nouvelles et sophistiquées. C'est grâce à un don qui s'élève à 15 000 dollars de l'ambassade des Etats-Unis accréditée à Alger que la restauration de cette fresque a pu se faire. C'est autour d'un excellent café que Zineb, une archéologue en blouse blanche, nous a offert, que la discussion sur le patrimoine est entamée. Elle sera passionnante, mais insuffisante. Nous la poursuivons sur le terrain pendant la randonnée que nous effectuerons avec Abdelkader Bensaleh et Anissa Saâdoun, une autre archéologue, attachée de recherche. Pour le premier archéologue, un mosaïste chevronné, si l'état de notre patrimoine est victime de l'indifférence commune, c'est tout simplement parce qu'il n'y a pas de politique de préservation et de restauration bien définie par les pouvoirs publics, premiers responsables de la mémoire collective. Si un autre archéologue, Smaïl Korchi, privilégie l'excuse des moyens, qui est plus que primordiale (0,25 % du BNP est consacré à la culture, lesquels 0,25 % sont plus destinés à couvrir la masse salariale des travailleurs de la culture qu'autre chose), Anissa Sâadoun, elle, attire notre attention sur l'urbanisation rapide et anarchique qui touche plus particulièrement le centre-ville de Cherchell. Et chacun de défendre ses arguments. Et chacun de nous convaincre de l'urgence d'une prise de conscience.

Le patrimoine est le parent pauvre du parent pauvre
Et chacun de proposer la meilleure piste de travail. Ciel ! Il existe encore chez nous, malgré tous les bouleversements, tous les changements, toutes les mutations qu'a connus notre société, des passionnés du patrimoine, des fous de la pierre, qui revendiquent ce statut ! Notre virée à Cherchell n'aura pas été inutile. Elle nous aura au moins permis de rencontrer des Algériens, jaloux de leur mémoire et de leur passé. Car si partout en Algérie où l'histoire a laissé des empreintes, il y avait des Bensalah, des Zineb, des Anissa et des Smaïl, notre patrimoine n'en serait pas là, c'est-à-dire dans un tel état de dégradation très avancé. La discussion se poursuit. Bensalah nous raconte Cherchell, sans faux clichés, sans chauvinisme primaire, sans régionalisme stérile. « C'était une des cités les plus prestigieuses du Maghreb, la seconde ville après Carthage. Elle s'étendait de Sétif jusqu'après Ténès. Le plus grand amphithéâtre d'Algérie se trouve à Cherchell. Les restes du Forum attestent de la grandeur de cette cité qui possédait des thermes qui s'étendaient sur une superficie de 800 m2. Vous pouvez encore trouver à Cherchell les vestiges d'un magnifique port antique, sur lequel, un nouveau port a été aménagé. » Pour cet archéologue que plus rien n'étonne, les ministres de la Culture changent, au grès des gouvernements, à une allure folle, mais la prise en charge du patrimoine, elle, ne doit changer en aucun cas. « Nous sommes les SDF de la culture », ironise Bensalah. Pas seulement ! Si la culture, pour nos gouvernants est le parent pauvre par excellence, le patrimoine, lui, est le parent pauvre du parent pauvre. Ces gardiens du temple forcent notre admiration par leur acharnement à vouloir, coûte que coûte, sauver ce qu'il peut l'être. « Le patrimoine a été saucissonné en fonction d'intérêts politiques, au détriment de l'intérêt général », déplore Abdelkader. Smail Korchi enchaîne le propos sur le scandaleux manque de moyens dont souffre le domaine du patrimoine.

Les archéologues sont les SDF de la culture
Il faut rappeler que l'équipe d'archéologues que nous avons rencontrée est d'abord une équipe de restaurateurs et que sans moyens, sans matériels, sans produits, sans outils, comment envisager la moindre intervention sur un quelconque objet, quels que soient soit son importance, son âge ou sa richesse ? « J'ai hérité du matériel d'une équipe de chercheurs allemands qui étaient venus travailler sur nos sites il y a plus de 10 ans », nous confie Smaïl Korchi. « Il faut des moyens pour la restauration et pour la mise en valeur des objets que nous trouvons. La prise en charge s'étend de la naissance à la maturité, en passant par toutes les phases de croissance. Parfois, pour bloquer le processus de dégradation nous utilisons des modes de conservation préventive et curative, qui demandent des dépenses, beaucoup de dépense. » Inutile de préciser que toutes les sonnettes d'alarme ont été tirées par ces archéologues pour attirer l'attention des pouvoirs concernés. Inutile aussi de préciser que ceux-ci sont restés sourds.
Bensalah, qui maintient que tant qu'il n'y a pas de vraies décisions qui soient prises en matière de politique de préservation du patrimoine, le problème des moyens demeure dérisoire, abonde cependant dans le sens de son collègue. « Notre tâche aujourd'hui s'apparente à du scoutisme et à du militantisme. Nous ne nous plaignons pas, mais enfin, si on avait un peu plus de moyens, on ferait plus. » Bensalah se souvient des colonnes de marbre qui ont été récupérées par leurs soins de la mer. Du trésor monétaire de 10 kilogrammes qui a été exhibé, restauré et placé à la banque de Tipaza. « Nous avons dû supplier les autorités locales pour qu'elles nous prêtent des grues afin de sortir les colonnes de la mer et de les entreposer en lieu sûr. Nous avons un peu plus de 12 000 objets à prendre en charge, du moindre tesson à la statue en marbre, en passant par des mosaïques et des pièces de céramique. Sans moyens, je ne vois pas comment on pourrait faire ! », souligne Bensalah. Sa collège, Anissa Sâadoun, poursuit la discussion en parlant du sujet qui lui tient le plus à cœur. Il s'agit de l'urbanisation sauvage qui a étendu ses tentacules dans tous les sens et qui a déformé la face de Cherchell, en envahissant les sites et monuments historiques. « L'exemple le plus édifiant reste le terrain Boufarik, qui est un terrain classé, sur lequel se sont érigées des dizaines de constructions illicites. » Ce fameux terrain Boufarik était à l'origine un chantier-école sur lequel des fouilles étaient entreprises par des dizaines d'étudiants qui ont été formés sur place. Aujourd'hui, sur de précieux vestiges, de hideuses constructions sont érigées et les autorités locales ne font rien pour éviter ce massacre. « Souvent, quand nous nous rendons sur le terrain pour des missions de contrôle et de constat, nous sommes accueillis par des jets de pierres et des insultes », nous raconte Anissa qui affiche une détermination à toute épreuve. « Cela ne m'empêche pas de revenir, malgré les pierres et les insultes », souligne-t-elle. Pour l'archéologue, les autorités concernées ne tiennent pas compte des avis émis par la circonscription archéologique de Cherchell, elles délivrent des permis de construire à certains qui n'y ont pas droit et bloquent d'autres. En somme, la politique du deux poids, deux mesures. Nous poursuivons la discussion sur le terrain. Abdelkader Bensaleh et Anissa Sâadoun nous offrent une magnifique balade à travers Cherchell, qui à l'origine contenait un seul « l » dans son orthographe. Nous commençons par la Casbah. A Cherchell, on dit « Ain El K'ciba », la fontaine de la petite Casbah. Autant nous étions agréablement surpris par l'état de préservation de la vieille cité, autant nos guides se disent insatisfaits et mécontents. Tout est bien sûr relatif, car en comparaison à La Casbah d'Alger ou à celle de Constantine, la Casbah de Cherchell est bien conservée et relativement propre. Bensalah nous montre les vieilles maisons fermées, abandonnées par les héritiers, que l'implacabilité du temps n'a pas épargnées et d'où sortent d'immenses figuiers. Anissa, elle, nous montre d'autres vieilles maisons qui sont habitées mais qui ont été hideusement agrandies par leurs propriétaires. Nous quittons la vieille ville pour le théâtre antique de la ville. Tout en haut des gradins, une terrasse, avec chaises, tables et parasols est aménagée, avec une vue imprenable sur les vestiges du théâtre. « C'est la terrasse du mess des officiers », nous dit-on.
Nous poursuivons notre visite en passant par le Forum, les Thermes, la mosquée aux mille colonnes (en réalité il y en a 98), le port, la place, elle aussi classée monument historique... Notre patrimoine historique est en péril, sérieusement en péril. Aller sur le terrain nous a permis de confirmer tous les dires des archéologues, avec preuves à l'appui. A quand la prise de conscience ? A quand le réveil ?

Par H. B.

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