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Zighcult
2 décembre 2005

Africa, une légende amazighe

par Atanane Aït oulahyane   

Origninaire de la ville d’Agadir, Quartier industriel ; professeur de lettres modernes dans un lycée en France. Ancien élève du Lycée Youssef ben Tachfine d’Agadir. Artiste peintre et calligraphe amateur, ainsi qu’auteur de contes et de poèmes d’expression française qui s’inspirent de ma région, le Souss. Révolté par la marginalisation économique, culturelle et sociale que subissent les Imazighens du Sud Ouest marocain, c’est dans l’action culturelle que je trouve l’expression de cet idéal de reconnaissance, de démocratie, de progrès et de justice auquel aspirent tous les miens. Atanane.


Le Testament d’Africa.

Cette histoire s’est passée il y a très longtemps, aussi longtemps que la mémoire de notre peuple puisse remonter, au temps où nos ancêtres pouvaient encore comprendre le langage et les chants des animaux et des oiseaux, quand les dieux de l’univers descendaient des cieux et remontaient des profondeurs de la terre et des mers, pour vivre avec les humains, les inspirer de leur sagesse et les protéger de leur puissance !

Africa la belle, était une reine généreuse et sage, fille de la Terre et du Ciel, elle gouvernait avec amour et justice son peuple formé de plusieurs tribus, leur enseignant à toujours demeurer libres, vaillants et fidèles à leurs origines et à leurs traditions. Un pays qui oublie son passé est comme une maison sans fondement, vouée à la ruine ! » Répétait- elle à ses enfants, ou bien : « Un peuple qui oublie son passé est comme un arbre sans racines, il dépérit et il meurt. » Disait- elle souvent à ses gouverneurs de province et à ses suivants.

Un jour, alors qu’elle était devenue très âgée elle fit venir Azerwal, un fameux artisan sculpteur ; quand l’artiste se présenta devant elle, dans la grande salle du palais où elle recevait ses visiteurs, elle lui demanda :
  Azerwal, je voudrai que tu conçoives pour moi un portrait ou une sculpture qui me représente pour la postérité, afin que mon peuple se souvienne de moi. » Azerwal fut très fier et honoré que la reine- déesse lui confiât une si belle mission et déjà son cœur s’emplit d’enthousiasme et son imagination s’enflamma de tant de projets ! Seul dans son atelier, pendant plusieurs jours, il fabriqua plusieurs figurines en argile représentant la monarque sous des aspects glorieux et majestueux. Quand il eût fini ses modèles il convia la reine et ses ministres voir son travail.

  C’est merveilleux, Azerwal ! Tes figurines sont aussi parfaites les unes que les autres ! Regardez, ma reine, il y a tellement de choix ! Laquelle préférez- vous ? » Demanda Merin, le grand ministre.
  Azerwal, explique- nous ton travail et ce que tu as voulu exprimer. » Dit Africa.
  Voici une représentation de ton courage, ô majesté ! Un casque en forme de tête de lion et des ailes d’aigle déployées, car tu représentes pour nous la force et la majesté ! » S’exclama l’artiste avec fierté. Les ministres et les suivants semblaient séduits par cette représentation, sauf Africa la déesse, qui ne semblait pas enthousiaste, quoique très flattée.
  Continue, Azerwal, je t’en prie, montre nous les autres... »

Le sculpteur montra une autre figurine, à visage de femme ; celle- ci tenait dans ses mains deux serpents et portait sur sa tête une coiffe sur laquelle était enroulée un autre cobra, la tête fièrement dressée.
  Voilà, Majesté ! Le serpent est pour nous un symbole de sagesse, de permanence et d’immortalité ; ce sont là aussi tes qualités : tu changes d’apparence mais tu demeures toujours fidèle à tes principes. »
  C’est une idée intéressante, quoiqu’elle manque d’originalité ; d’autres peuples voisins l’ ont déjà utilisée. Mais continue ... »

Sans se décourager Azerwal exhiba une autre statuette ; celle- ci représentait Africa dans toute sa beauté, portant sur sa tête une coiffure ornée de cornes de bélier et au milieu un disque solaire doré.
  Voici, ma Reine, une autre représentation de ta splendeur et de ta force. Le bélier est également pour nous un signe de force et de combativité et tu rayonnes par ta beauté et ta gloire comme le Soleil qui nous donne la lumière, la chaleur et la vie ! »

Cette fois- ci Azerwal semblait enthousiasmé, il était sûr que la reine allait être séduite par son idée, d’autant plus que les ministres et les suivants s’extasiaient également et lui donnaient raison :
  Oh ! Oui, majesté, cette représentation est celle qui te convient le mieux ! Tout le peuple admire le bélier qui est notre symbole, à cause de sa force et de sa ténacité et tu es digne d’égaler le soleil par ta beauté et la clarté de tes jugements !
  C’est tout, Azerwal ? » S’enquit tout simplement Africa, qui ne semblait pas toujours satisfaite.
  Il ne reste qu’un seul modèle, majesté. » Et il dévoila la dernière figurine, un buste de femme aux traits parfaits, coiffée d’un casque de guerrier et tenant dans sa main un javelot.
  Voilà, Majesté, une image digne de toi. » Commenta t- il, mais il semblait maintenant manquer d’assurance, tant la déesse était difficile à convaincre.
  On dirait une représentation de Minerve, l’Athéna des Grecs ! Décidément, mon pauvre Azerwal, tu manques d’inspiration ! »

Le sculpteur était confus, les ministres et les suivants paraissaient perplexes face à l’indécision de la reine. Tout le monde semblait gêné, sauf Africa qui demeurait souriante et sereine.
  Mon bon Azerwal, je loue tes efforts. Je désire pourtant vous rappeler une anecdote qui s’est passée il y a très longtemps et que je n’ai jamais oubliée. » Dit - elle pour dissiper le silence. « Vous connaissez tous Ulli, ce vieil éléphant, que je garde dans le jardin de mon palais... »
  Hélas ! Oui, ma Reine ! Il détruit les beaux parterres de fleurs et tu ne désires pas t’en séparer, au grand malheur de nos jardiniers ! » Fit remarquer Merin, le regard levé au ciel d’un air consterné.
  Si je garde cet éléphant c’est parce qu’il m’avait appris l’une des plus belles leçons de ma vie. A cette époque- là, mon brave Merin, tu n’étais qu’un jeune garçon, pas encore savant et sage comme tu l’es maintenant. Je revenais d’un voyage que je rendis à nos amis les Isemganen, tout là- bas au pays du Soudan. Au moment où je rentrais au palais je passai en revue l’armée qui était alignée sur l’esplanade pour nous rendre les honneurs. Tout se déroulait bien quand tout à coup Ulli l’éléphant sortit du cortège sans obéir aux ordres de l’officier qui le montait. Il y eut un moment de panique parmi l’assistance quand l’imposant animal se dirigea tout droit vers la garde du palais, s’arrêta net devant un vieux soldat et se saisit de lui à l’aide de sa trompe, le souleva très haut et fit mine de désirer l’abattre. Ulli semblait furieux et barrissait de colère. Les lanciers s’apprêtaient à lui jeter des javelots mais ils hésitaient, car ils avaient peur de blesser le vieux soldat, suspendu en l’air et gesticulant désespérément. Puis l’animal redevint aussitôt calme et déposa délicatement le soldat à terre, en le fixant étrangement et en soulevant son énorme patte au dessus de lui, comme si il menaçait de lui écraser la tête. Alors une chose incroyable se passa devant nos yeux ébahis : le vieux soldat s’agenouilla humblement et demanda pardon à la bête qui se détourna alors de lui, poussa comme un grand cri de victoire et rejoignit sagement sa place dans le défilé. »

Africa se tut un instant pour reprendre son souffle et contempla la figurine aux cornes de bélier.

  Mais pourquoi l’éléphant en voulait- il à ce soldat ? » Demanda un officier impatient de connaître la suite du récit.
  Après la cérémonie de l’accueil, reprit Africa, je convoquai le vieux soldat pour lui demander la raison de l’étrange comportement de Ulli à son égard et il me répondit : « Ma Reine, c’est une vieille histoire que je croyais avoir complètement oublié jusqu’à hier. Il y a une cinquantaine d’années, j’étais affecté au service de dressage des éléphants de l’armée. J’étais bien jeune et je manquais de sagesse ; je me rappelle que pour me faire obéir d’un jeune éléphant récalcitrant je le frappais souvent. Je me rends compte qu’après tout ce temps il ne m’avait jamais oublié et hier il m’a retrouvé : si je ne lui avais pas demandé pardon il m’aurait sans doute tué. »

Les auditeurs d’Africa demeuraient silencieux, captivés par le récit de la déesse et ils commençaient à deviner où elle voulait en venir.
  Voilà mon cher Azerwal ce que je voudrais que tu fasses pour moi : au lieu de mettre à mon effigie des cornes de bélier, façonne pour moi une coiffe représentant la tête d’un éléphant : c’est un message que je voudrai transmettre aux futures générations : ne jamais oublier qui ils sont, ni les épreuves qu’ils auront à subir ; qu’ils pardonnent à leurs ennemis mais qu’ils demeurent toujours vigilants et préservent à perpétuité la mémoire de leur passé. »
  Oui, majesté. Il en sera fait comme vous le désirez. » Répondit l’artiste en recouvrant d’un voile ses figurines devenues inutiles.

Quelques jours après il présenta à Africa la statuette qu’elle désirait : une femme debout, tête relevée, regardant vers l’horizon et au dessus de sa chevelure abondante une coiffe représentant la tête d’Ulli l’éléphant, la trompe conquérante levée au ciel et de part et d’autre du visage de la déesse, comme pour la protéger, deux splendides défenses d’ivoire dressées en avant.
  C’est exactement comme cela que je conçois l’ultime message à mon peuple ! La mémoire du passé, la défense de son héritage et la volonté portée vers l’avenir ! Beau travail, Azerwal ! »

Et depuis, partout dans le royaume, on vit s’ériger sur les places publiques des statues de la déesse Africa coiffée de la tête d’un éléphant. Les monarques qui lui succédèrent donnèrent son nom à leur pays, conservèrent son image sur leurs sceaux et sur les pièces de monnaie et tout le peuple comprenait la signification de ce symbole. Mais, hélas ! Petit à petit, au fil des siècles l’effigie de la déesse de la Mémoire perdit ses contours et disparut presque à tout jamais, sauf du souvenir de quelques rares personnes, qui continuent encore à se rappeler d’une reine qui aimait sa terre et qui désirait que son peuple vive à tout jamais libre et digne, fidèle à ses origines !

Par Ait u-Lahyane Atanane.



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