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Zighcult
6 décembre 2005

Tifinagh : graphie néolithique, police cybernétique !

par Atanane Aït oulahyane   



Illustration et défense de l’écriture Tifinagh.

Jusqu’à nos jours, l’artisanat amazighe contemporain a conservé miraculeusement tout un répertoire de symboles riche et abondant, notamment dans les domaines du tapis et de la poterie. Ce corpus constitué de signes géométriques, caractérisés par une permanence exceptionnelle, trouve ses racines dans des temps immémoriaux, bien avant la période antique et se trouve conservé intact dans les motifs décoratifs de l’artisanat nord africain, nous transmettant un message ancestral spirituel et culturel, les fondements de notre civilisation intrinsèquement rurale et méditerranéenne.

Ce répertoire de signes multimillénaire, répété à l’identique par les femmes amazighes dans leur vie quotidienne, transmis fidèlement de génération en génération pour le décor des tatouages, des tapisseries et surtout pour l’ornementation des poteries véhicule encore les bases de la pensée amazighe, ainsi que les racines de l’écriture tifinagh, dont il est question dans cet exposé.

En effet, l’ornementation artisanale, le symbolisme magico- religieux et l’écriture amazighe sont trois expressions de la civilisation Nord africaine, qui se trouvent dès l’origine mêlées, issues d’une même source mère, la culture capsienne, qui s’est maintenue au-delà du Néolithique et s’est plus ou moins enrichie par les apports d’autres civilisations méditerranéennes, (ibérique, grecque, crétoise, égyptienne, punique, latine...), sans jamais s’éteindre ni connaître de mutation majeure.

C’est une civilisation originale, issue de la terre qui l’a vue naître, dont il reste encore à étudier les conditions d’éclosion et son épanouissement particulier, ainsi que les causes de sa conservation remarquable, malgré la proximité et la grandeur des autres cultures et civilisations méditerranéennes : il est étonnant en effet que la culture amazighe ait pu garder, sur une si longue période historique, et malgré le voisinage des autres civilisations considérées plus brillantes, conquérantes, son identité propre et inaltérable, à l’image de l’esprit de l’Amazighe qui l’a conçue ! Conservateur, certes, mais nullement renfermé et encore moins inapte au progrès, puisque bien qu’ayant largement participé au rayonnement des autres cultures voisines (punique, romaine, arabe), le Nord africain a su se préserver identique à lui-même, participant à l’Histoire du Bassin méditerranéen de son propre gré ou malgré lui, mais évoluant en même temps « en marge de l’Histoire », comme l’a si bien dit Camps.

On ne peut que s’étonner de cette longévité et de cette fidélité aux racines, si l’on considère la disparition des autres civilisations qui avaient dominé avec tant d’éclat : la civilisation égyptienne a disparu malgré sa grandeur, l’Empire romain et à sa suite la civilisation byzantine ont cessé de briller après avoir régné sur l’Ancien monde, et il y a bien des lustres que l’âge d’or arabe s’est éteint... Quant aux Phéniciens et aux Vandales, leur colonisation n’avait duré qu’un « laps de temps », malgré leur puissance ils n’avaient jamais réussi à assimiler l’esprit amazighe, ni sa langue, ni sa culture ! Comme un roc dressé au milieu des flots de l’Histoire, l’âme amazighe est restée fondamentalement la même, jamais entamée par les vagues successives qui se sont abattues sur elle et qui se sont éloignées, puis disparu sur les rives du temps !

Ainsi, toutes les composantes de la culture amazighe ont été maintenues jusqu’à nous presque à l’identique : une vision du monde originale, toujours modérée, austère et conservatrice, farouchement libre et rebelle à toute domination étrangère, une langue si diverse par ses parlers, ses accents, si riche en vocabulaire, de structure grammaticale unie. La même force tranquille qui caractérise l’Homme amazighe se retrouve dans la constance de ses diverses expressions culturelles et artisanales, peu soucieuses des modes, d’exubérance ou d’extrémismes.

L’écriture tifinagh est à l’exemple de cette permanence et son renouveau, certes marqué par un enthousiasme débordant depuis les années soixante et qui ne se dément toujours pas dénote de son importance aux yeux de ses héritiers, comme le symbole de la renaissance de leur culture. C’est pour cette raison d’ailleurs que le drapeau amazighe porte en son milieu, en caractère de feu, la lettre « yezz », le fameux Aza, devenu l’icône par excellence de toute l’Amazighie.

C’est grâce à la constance des revendications d’ordre culturel des associations amazighes, auxquelles il faut rendre hommage, ainsi qu’aux efforts fournis par les chercheurs et linguistes amazighistes, qu’ils soient Européens ou Nord africains, que l’IRCAM a abouti à faire ressurgir cette graphie des limbes archéologiques, la faire adopter par le système éducatif marocain, ainsi que par les instances informatiques internationales, qui l’ont acceptée dans les protocoles des échanges des informations sur Internet.

Histoire du tifinagh

L’origine de l’écriture tifinagh, comme c’est le cas souvent pour tout ce qui est relatif à la civilisation amazighe, demeure partiellement inexpliquée ; mais il est évident que cette écriture, sans conteste d’origine nord africaine, endogène comme on dit, plonge ses racines dans la Préhistoire, à la période Néolithique dite capsienne, comme l’attestent les nombreuses gravures rupestres où les signes de cette écriture, dite « libyque » ( nom que donnaient les Grecs à toute l’Afrique), de formes géométriques simples, se trouvent associés à des scènes de la vie quotidienne, de chasse ou de représentations des animaux de cette époque. Ces gravures rupestres néolithiques qui ont conservé les premières traces de cette graphie archaïque couvrent toute l’aire nord africaine, du Maroc jusqu’en Libye, de la Méditerranée jusqu’ai fleuve Niger, et attestent par cela de l’unité de cette culture et de son homogénéité dès les temps les plus reculés.

De période relativement récente (5000 ans avant J.C), la civilisation de tradition capsienne s’est prolongée jusqu’à l’Antiquité, avec l’apparition des Phéniciens et les premiers comptoirs fondés sur le littoral nord africain (- 1000). Le paysage de la période néolithique se rapproche peu à peu de celui d’aujourd’hui : dessèchement du climat et modification de la faune, avec la disparition de éléphas atlanticus (éléphant nord africain), du rhinocéros, de l’hippopotame... C’est à cette époque que l’on assiste à l’apparition des animaux domestiques, largement représentés sur les gravures rupestres, notamment le cheval et le chien. La vie sociale se transforme : activités essentiellement féminines au départ, l’agriculture naît et se développe ainsi que le tissage et l’usage de la poterie, rudimentaire au début, à décors de larges bandes de couleurs blanches, noires et rougeâtres, ornées de dessins sommaires. C’est également l’époque des dolmens, nombreux en Tunisie occidentale et en Numidie.

Le tifinagh lybique (période néolithique)

Les premières inscriptions lybico- amazighes apparaissent vers 1500/ 1000 avant notre ère, à l’époque des « chars ». L’Amazighie de cette époque doit sans doute la plupart de ces transformations à l’Egypte ainsi qu’au Sud de l’Europe, foyers civilisationnels avec lesquels elle entretenait des échanges constants. Outre leur outillage et les débris de leur nourriture les Hommes du Néolithique nous ont légué beaucoup de gravures rupestres, un véritable musée à ciel ouvert, appelés à juste titre par les autochtones contemporains « hajra maktouba », ou pierres écrites ; elles ont fait l’objet de recherches pendant 40 ans de la part de J.B. Flamand, décrites dans son livre Les Pierres écrites, paru en 1921. Avant lui, en 1880, Faulmann en avait fait l’inventaire et dressé un répertoire de 16 signes déchiffrés.

Exemples de tifinaghs peints et gravés, période néolithique :

Cet art rupestre de l’époque néolithique s’est maintenu très longtemps après notre ère, souvent accompagné d’inscriptions en caractères tifinagh libyques de forme archaïque, ce qui rend la datation de cette écriture parfois difficile, mais elle n’en demeure pas moins la première manifestation concrète et indiscutable de cet alphabet, l’écriture la plus anciennement attestée en Afrique du Nord.

Le tifinagh antique, dit « numide »

Aire de l’extension de l’écriture tifinagh à l’Antiquité

2500 ans séparent les inscriptions libyques préhistoriques de l’écriture antique, dite « numide » ; les archéologues ont en trouvé une grande quantité dans toute l’Afrique du Nord, sur des inscriptions à caractère funéraire et monumental. O’Connor en a dressé une liste de 25 signes, qui ne possèdent pas toutefois les mêmes valeurs phonétiques que celles de l’alphabet tifinagh tamashek, également étudié par Faulmann dès 1880, le seul qui soit resté usité jusqu’à notre époque par les Touaregs ( partie hachurée sur la carte ci- dessus ).

De toutes ces inscriptions numides, la plus anciennement datée avec certitude est une dédicace célébrant la dixième année du roi Massinissa, Aguellid de Numidie, soit en 138 avant notre ère (voir ci- dessous).

Stèle commémorative du roi Massinissa, en caractères punique et tifinagh

L’ensemble des autres inscriptions, si elles n’ont été datées quant à elles avec certitude, remontent au 7 ème ou au 6 ème siècles avant J.C.

Alphabet essentiellement consonantique, son interprétation demeure difficile, d’autant plus que les mots ne sont pas séparés entre eux sur l’axe de l’écriture ; l’orientation de l’écriture ne semble obéir non plus à aucune règle préétablie, si ce n’est la fantaisie du scripteur. Toujours est- il qu’on distingue trois formes traditionnelles du tifinagh antique « numide » : l’oriental ( Est de l’Algérie, Tunisie), l’occidental (Ouest de l’Algérie, Maroc et Îles Canaries ), et le tifinagh saharien ( Sahara central).

Cependant, même au sein d’un ensemble de graphie d’apparence homogène les chercheurs ont constaté des variantes, qui correspondent sans doute à des états de parlers aussi divers d’une même langue à cette époque qu’ils le sont encore aujourd’hui. Actuellement, seul le tifinagh « numide » oriental a pu être déchiffré, grâce à des inscriptions bilingues numides- latines et numides- puniques.

Il est certain que l’usage de l’alphabet tifinagh numide ait perduré en Afrique du nord jusqu’à la fin du monde antique. Il est étonnant que les Arabes, fins observateurs et chroniqueurs ne l’aient jamais mentionné dans leurs écrits, après la conquête musulmane du Maghreb, au 8 ème siècle. L’écriture tifinagh a en effet disparu de toute l’aire islamisée et n’a plus existé qu’au Sahara central, chez les Touaregs, qui ont maintenu son usage jusqu’à nos jours. On pourrait supposer que l’écriture tifinagh ait été interdite, frappée d’anathème pour des raisons théologiques, car son usage aurait été associé à des pratiques païennes, magico- religieuses.

Le tifinagh, emblême national

L’usage de cette forme d’écriture antique, mentionné par des auteurs latins tardifs des 5 ème et 6 ème siècles ( Fulgence et Corripus) revêt dès cette époque pour les Imazighens un caractère de résistance nationale, une marque identitaire face aux cultures punique et latine. Même si son usage était demeuré restreint à l’époque antique, puisque la majorité des stèles qui nous soient parvenues ne comportent que des inscriptions funéraires et votives, cette écriture revêtait déjà un caractère identitaire très fort chez les Imazighens, une sorte d’emblême national, puisque des rois (Massinissa, Micipsa) ainsi que des dignitaires de haut rang l’avaient choisie au lieu des autres graphies officielles, punique ou latine, pour commémorer la date de la construction des monuments, ainsi que pour de nombreuses stèles funéraires. (Des soldats, des officiers Imazighens ayant servi dans l’armée romaine, ou leurs proches, avaient préféré l’employer au lieu de l’écriture latine.)

Origine controversée du tifinaghe

Beaucoup de chercheurs ont voulu voir dans l’écriture tifinagh de la période antique un héritage, ou ne serait- ce qu’un emprunt partiel à la civilisation punique et son écriture phénicienne. Parmi ces théoriciens Hanoteau, qui considère le tifinagh antique issu forcément du phénicien, s’appuyant en cela sur la ressemblance de six ou sept caractères dans les deux systèmes d’écriture et aussi sur le nom « tifinagh » donné à l’écriture amazighe, qui serait selon lui une déformation du mot « phénicien », dont le radical est « fnk », en « tafniqt », puis tifinagh. Rapprochement commode mais sans fondement logique, car les deux systèmes d’écriture sont bien trop différents dans leurs conceptions, leurs formes générales et la façon dont ils sont disposés sur la surface- support ( sens de l’écriture), pour supposer une quelconque interférence entre eux. Pour réfuter la théorie de Hanoteau on peut faire quelques remarques sommaires :

* En effet, le phénicien, comme les autres écritures sémitiques (arabe, hébreu, syriaque), s’écrit de droite à gauche, alors que le tifinagh procède plutôt en colonnes verticales, de bas en haut, ou en ligne horizontale, de gauche à droite ; seule la forme de certaines lettres ( m, m par exemple ) donne le sens de la lecture.

* Les caractères phéniciens, comme nous pouvons le remarquer sur l’image de la stèle représentée ci-dessus, consistent en une série de lignes courbes, de traits obliques adventifs et d’absence de points, alors que la graphie tifinagh est géométrique, unissant des traits droits verticaux et horizontaux, des cercles parfaits, des demi cercles, des points...

* Le signe tifinagh est toujours d’apparence simple, facile à exécuter même pour un enfant, alors que le signe phénicien est d’apparence complexe, cursif, assez difficile à reproduire pour un non initié.

* La présence de caractères analogues (par exemple : t, r, d...) semble donc tout à fait fortuite, d’autant plus qu’ils ne possèdent pas la même valeur phonétique dans les deux systèmes d’écritures, - sauf pour le « d » et le « t », qu’on retrouve également dans l’écriture latine et grecque et ne dénotent pas une parenté, car le rond, le triangle et la croix sont des signes universaux, présents dans d’autres systèmes d’écriture. L’hypothèse la plus probable est que le punique, le tifinagh, ainsi que d’autres systèmes d’écritures méditerranéens ( étrusque, ibérique, grec...), soient des évolutions d’un alphabet encore plus ancien, originel.

* Ce serait également passer sous silence la parenté directe et évidente entre l’écriture libyque préhistorique et le tifinagh numide antique, ressemblance qui s’impose dès la première comparaison même pour un simple néophyte en la matière !

* Ajoutons à ces remarques d’ordre comparatif qu’on n’a aucune certitude que les Imazighens de l’Antiquité désignaient leurs hôtes puniques par le nom « Phéniciens » (« fnk », racine soi disant commune aux deux mots « phénicien et tifinagh) ; en effet les auteurs Imazighens antiques, dont Saint Augustin n’employaient pas ce mot dans leurs écrits et désignaient généralement cette civilisation et sa langue par le qualificatif « canaan ». La « paléo- linguistique, si cette discipline existait, pourrait contribuer beaucoup à l’étude des interférences entre le punique et le tifinagh, ainsi que les autres écritures méditerranéennes.

Et si c’était le punique justement qui serait issu du tifinagh ? Pourquoi ne pas supposer que ce seraient les Phéniciens qui auraient emprunté ces quelques graphèmes à l’écriture tifinagh, beaucoup plus ancienne ? Pourquoi les chercheurs considéreraient- ils toujours les Imazighens de l’Antiquité comme de simples imitateurs, inaptes à produire un système d’écriture original et à influencer à leur tour leurs voisins et à leur servir de modèle ? En effet de nombreuses preuves attestent que les Imazighens furent les instigateurs de certaines découvertes et traditions que leurs voisins leur avaient empruntées !

Citons par exemple les agriculteurs pasteurs du Néolithique capsien qui avaient influencé l’art de la poterie et de la céramique du Sud de l’Espagne ; la grande invention amazighe de l’époque néolithique, le quadrige, char tiré par quatre chevaux, abondamment illustré sur des gravures rupestres d’une « modernité » étonnante pour l’époque, et dont l’usage s’est propagé en Grèce, puis dans tout l’empire romain, comme l’attestent les auteurs de l’Antiquité ! La fameuse « égide », toge réservée aux personnages illustres, rois, statues de divinités, dont Athéna, trouve également son origine dans ce manteau en peau d’animal, attribut des aguellids, rois Imazighens de l’Antiquité ; la civilisation égyptienne doit également de nombreuses traditions aux Lébou, ancienne appellation égyptienne désignant les Imazighens et qui a donné le mot grec Libyen : le culte d’Amon- Râ trouve son origine dans la civilisation amazighe à cause de l’importance que les Nord africains accordaient à l’eau, aman : les rois égyptiens venaient jusque dans l’oasis de Siwa rechercher les oracles d’Amon , avant d’accéder au trône... Plus près de nous, les chiffres appelés incorrectement « arabes » et que ces derniers n’ont jamais utilisés jusqu’à nos jours, leur préférant les chiffres indiens, sont également une invention ibéro- berbère du 9 ème siècle, appelés chiffres « ghubar »...

On pourrait approfondir davantage cette digression sur les inventions amazighes, lui consacrer une étude entière, pour montrer que la culture nord africaine, loin d’être figée, passive, simple spectatrice des courants civilisationnels qui l’avaient côtoyée, a elle aussi servi de réservoir fécond et de modèle à ses voisins prestigieux. Mais les Imazighens, - est- ce cela leur tort ?- ont toujours laissé aux autres le soin d’écrire leur Histoire ou ont écrit dans les langues de leurs conquérants ; Africains avant tout, ils accordaient à l’oralité plus d’importance qu’à l’écrit et malgré leur écriture ils n’ont laissé que de courts textes lapidaires, des épitaphes funéraires et des dédicaces laconiques qui nous renseignent très peu sur leur civilisation et leur propre vision du monde.

« Les écrits s’effacent, seule la parole demeure », serait en quelque sorte leur devise quant à la transmission de la mémoire, à l’opposé des autres civilisations méditerranéennes, qui accordaient plus d’importance à l’écrit qu’à la parole ! On ne peut en effet que regretter le peu de documents écrits par les Imazighens dans leur propre langue et écriture et le peu de gravures dont nous disposons résistent encore au déchiffrement, attendant leur « Champolion », tant la langue amazighe est si complexe, sujette comme toutes les idiomes à l’évolution. Mais on n’en est qu’au début des recherches consacrées à la civilisation amazighe en général et antique en particulier et aux études des corpus en tifinagh légués par nos prédécesseurs, car on leur avait accordés peu d’importance, en comparaison aux autres civilisations méditerranéennes et arabe qui ont bénéficié - à juste titre- de toute l’admiration et l’intérêt des recherches universitaires depuis le XVII ème siècle.

Mais ceci est une constante de tout ce qui est relatif à l’origine du peuple amazighe et à tout ce qui concerne l’originalité de sa civilisation et son aspect considéré « inclassable », « irréductible », voire « mystérieux », « étrange »... A force de multiplier les doutes, d’avancer les théories les plus fantaisistes, remettre en cause ce qui est évident, on a dépouillé l’étude des composantes de cette civilisation originale, dont le tifinagh, de toute consistance historique, de toute réalité scientifique et on a « miné » pour longtemps tout un champ d’étude qui ne demandait qu’à être approché avec respect, sérieux et objectivité, sans arrières pensées idéologiques. A croire que tout ce qui est amazighe relève de la légende et de l’univers de la spéculation, du domaine de l’inconsistant et du mythique, voire du surnaturel, donc sans fondement tangible ni véracité historique, comme si cette culture pourtant bien réelle, concrète et si originale ne pouvait exister par elle-même et être le produit de son propre terroir et de son peuple, forcément indigène et premier.

Car les études amazighes ont souffert sans doute dès le départ de l’absence de chercheurs, historiens, linguistes indigènes, qui auraient entrepris par eux-mêmes l’étude, la préservation et la défense de leur propre histoire et civilisation. Depuis Hérodote et Platon, en passant par les historiographes arabes et les théoriciens et chercheurs européens du XIX ème et XX ème siècles, il y eut pléthore de données, des plus fantaisistes au plus sérieuses, un mélange de mythes et de faits historiques, une imbrication de théories tendancieuses et de constats objectifs, ce qui laisse toute personne abordant la « problématique amazighe » parfois déroutée, souvent incertaine, obligée à son tour de bâtir sa propre vision des faits.

L’étude du tifinagh manque encore de clarification, d’un consensus universitaire qui permettrait son réel essor et sa propagation sur des bases solides. Mais cette profusion des données et de spéculations, si elle menace de vider l’étude de l’écriture amazighe de toute réalité historique, dénote néanmoins de l’intérêt grandissant pour ce champ d’investigation, si riche et passionnant, de la « nouveauté » de ce système d’écriture, de sa permanence et surtout de sa vitalité.

Les chercheurs Nord africains ont entrepris depuis les années soixante et dans la foulée des savants Européens de la première moitié du XX ème siècle qui ont posé les fondements des études amazighes scientifiques, de reprendre avec sérieux et enthousiasme l’étude de leur propre patrimoine culturel et linguistique et on assiste actuellement,dans toute l’aire amazighophone, à une réappropriation légitime de ce legs, longtemps laissé, non à l’abandon, mais mis en suspens par ses propres héritiers et délaissé aux spéculateurs de tous bords, aux soins des théoriciens et chercheurs étrangers. Le nombre de thèses et de mémoires concernant la linguistique et la littérature amazighes par rapport à l’ensemble des travaux universitaires entrepris au Maroc, par exemple, atteste de la nouveauté de l’amazighologie, ou plutôt de la restitution à ses héritiers légitimes d’un trésor longtemps spolié, une culture et une langue dignes de considération.

Dans ce sens on ne peut que se féliciter du choix sage et courageux par l’IRCAM de cette graphie originelle pour la transcription de la langue tamazighte, au lieu des alphabets arabe et latin, et ceci pour plusieurs raisons :

? Pour son historicité et son rattachement à la langue qui l’a vue naître.

? Pour son caractère national Nord africain et sa présence dans toute l’aire amazighophone, de la Libye jusqu’à l’Atlantique et de la Méditerranée jusqu’au fleuve Niger : c’est un patrimoine commun à tous les Imazighens, un trait d’union entre leurs diverses communautés, dispersées sur un vaste territoire.

? Pour son aspect esthétique : les tifinagh possèdent en effet un aspect plastique indéniable, qui correspond parfaitement à l’esprit amazighe, caractérisé par la logique et la sobriété et à tout un héritage artistique antique qui a traversé les millénaires ; cette écriture peut parfaitement évoluer, devenir cursive et plus fluide, atténuer son aspect géométrique rigide, à l’instar des autres graphies ( le latin et le grec, par exemple, géométriques au départ, comme le tifinagh ) qui ont bénéficié quant à elles d’une utilisation soutenue sur une longue période temporelle : l’écriture tifinagh est capable de rattraper le long retard qui l’a privée d’une évolution naturelle et déjà on assiste à l’intérêt grandissant de nombreux artistes calligraphes Imazighens, qui ont réussi à donner aux Tifinagh plus de souplesse et de plasticité, et qui ont découvert en même temps tout l’aspect symbolique que recèle implicitement cette écriture.

? Pour sa neutralité « idéologique » et... laïque : en effet, les caractères tifinagh ne véhiculent aucun passé hégémoniste ou colonialiste, comme c’est le cas malheureusement pour l’écriture arabe et latine ; au contraire, elles rattachent les générations contemporaines avec leur plus lointain passé, préhistorique et antique, un passé longtemps occulté par les différents conquérants de l’Afrique du nord, dans une volonté d’assimilation de son peuple et de l’éradication de sa langue et sa culture : l’écriture tifinagh joue le rôle d’un fil conducteur révélateur d’une trame historique retrouvée intacte, après tant de siècles de négation et d’acculturation. En outre les caractères tifinagh sont dénués de toute connotation religieuse, comme c’est le cas de l’alphabet arabe, sacralisé par le Coran et la religion musulmane, qui empêche la langue tamazighte de tout expression et épanouissement.

? L’écriture tifinagh est un patrimoine culturel propre à l’Afrique du Nord, la seule avec l’amhara, l’écriture éthiopienne, qui soit typiquement africaine ! Comme le sont d’autres écritures pour d’autres peuples, (Chine, Japon, Cambodge, Inde, Japon, Thaïlande Grèce, pays slaves, Israël , et tant d’autres nations...) qui utilisent naturellement leurs propres graphies et arrivent normalement à progresser et à communiquer avec l’ensemble du monde, les Imazighens aussi pourraient employer leur propre écriture tout en restant ouverts sur la modernité, progresser, publier, traduire et communiquer, sans être obligés de choisir exclusivement entre les alphabets arabe et latin.

Alphabet tifinagh IRCAM

Bien-sûr, les débuts de l’utilisation de l’alphabet tifinagh seront difficiles : il faudrait plusieurs générations pour que tout un peuple se réhabitue à cette écriture qui avait presque totalement disparu, privée de visibilité, combattue et niée ; en outre il faudrait quelques décennies pour éditer des manuels dans toutes les disciplines du savoir, traduire des œuvres de littératures universelles, constituer en quelque sorte une « bibliothèque tifinagh » fournie en toutes sortes de documents. L’emploi de l’écriture latine, en l’occurrence le français, l’espagnol et l’anglais, qui sont familiers aux Imazighens s’avère donc nécessaire au début, pour ne pas interrompre la transmission des savoirs académiques et l’ouverture sur le monde moderne.




http://asays.com/article.php3?id_article=348
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