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Zighcult
12 mars 2006

L’ultime combat de Jean Amrouche (1906-1962)

L’ultime combat de Jean Amrouche /1906-1962
berberemultimedia.com

Pour Jean Amrouche, né Kabyle et chrétien dans cette vallée de la Soummam où sera édifié le programme du FLN, la guerre d’Algérie représente l’ultime combat, dans une existence marquée de multiples engagements.

En Tunisie, tout d’abord, dans les années 30, alors qu’il entreprend une carrière d’enseignant qui le conduira de Sousse à Tunis, via Bône, c’est l’engagement poétique, aux côté de son ami Armand Guibert : période durant laquelle Jean Amrouche publie Cendres, puis Etoile secrète. Ensuite ce sera, avec sa sœur Marguerite Taos, la défense et l’illustration des chants berbères de sa Kabylie natale.

La guerre 1939-45 trouve Jean Amrouche à Alger, dans l’entourage d’André Gide et de l’éditeur Edmond Charlot. En 1943-44, en compagnie de Jacques Lassaigne et sous le parrainage d’André Gide, Jean Amrouche fonde la revue L’Arche, qu’il transportera à Paris à la Libération, où il intègrera la radio-diffusion française. Ses éditoriaux politiques y seront vite aussi suivis que ses célèbres entretiens avec Gide (1949), Claudel (1951-52) ou Mauriac (1952).

C’est aussi de cette période que semble dater, sinon son engagement, du moins son éveil politique, auprès du général de Gaulle dont les « conceptions progressistes » sur l’Union française et l’évolution de l’Algérie – telles qu’exprimées dans son fameux discours de Constantine (12 décembre 1943) et dans son ordonnance d’avril 1944 – doivent beaucoup « à sa francisation parfaite et à sa fidélité algérienne ». Cette expression d’Edgar Faure dans ses Mémoires révèle combien Jean Amrouche, profondément Algérien de cœur et de sang, mais tout autant Français de culture et d’esprit (« La France est l’esprit de mon âme mais l’Algérie est l’âme de cet esprit »), a été déchiré face à des événements qui, bientôt, lui imposent de prendre position. On sait que les manifestations du 8 mai 1945 à Sétif et Guelma et la terrible répression qui suivit furent pour beaucoup d’Algériens acculturés un tournant décisif dans leur prise de conscience politique. Ainsi pour Amrouche, qui écrit au Figaro :

« [...] Si les crimes des tueurs indigènes soulèvent en moi une indignation et un dégoût plus fort que la souffrance, la répression qui aussitôt fut abattue sur mon pays a ouvert une blessure plus profonde car le crime des enfants aveugles ne justifie pas le crime de leur mère. »[1] Dès lors, abandonnant ses très anciennes velléités d’écriture poétique et romanesque, il entreprend de lutter contre la misère et l’humiliation coloniales et de plaider pour une intégration qu’il croit encore possible, tout en établissant un distinguo entre la France éternelle qui « ignore les frontières des races, des couleurs et des religions » et « les Français d’Algérie, chez qui le racisme constitue, bien plus qu’une doctrine : un instinct, une conviction enracinée ».

A partir de 1950 cependant, Jean Amrouche se retrouve seul à Paris, « séparé de tous », ruiné par la faillite des éditions Charlot, et déçu par les mesures adoptées en Algérie, en particulier « la sinistre farce des élections truquées de 1951 »[2]. Ses correspondances d’alors font preuve d’une souffrance intérieure s’exacerbant au rythme d’un pessimisme de plus en plus grand vis à vis de la situation au Maghreb :

« Quant à l’Afrique du Nord, écoute-moi bien, qui pèse mes mots, j’en suis venu à croire qu’elle ne trouvera son être, si elle le trouve jamais, que contre la France. Ce mot est atroce. Sache le comprendre. Quant à moi, quoi qu’il advienne, quoi que je fasse, je resterai cloué à une croix jusqu’au dernier souffle. »[3]

Au moment où la guerre éclate, c’est donc avec la conscience d’un mal très profond, d’un impossible accord entre colonisateur et colonisé, qu’Amrouche l’accueille, désormais convaincu du caractère inéluctable du conflit, et même (quoi qu’il lui en coûte) des couleurs que prendra l’indépendance à venir :

« Je ne crois plus à une Algérie française. Les hommes de mon espèce sont des monstres, des erreurs de l’histoire. Il y aura un peuple algérien parlant arabe, alimentant sa pensée, ses songes, aux sources de l’Islam, ou il n’y aura rien. [...] Le peuple algérien se trompe sans doute, mais ce qu’il veut, obscurément, c’est constituer une vraie nation, qui puisse être pour chacun de ses fils une patrie naturelle, et non pas une patrie d’adoption. »[4]

A « l’honneur d’être français » qu’il avait ressenti dix ans plus tôt après les réformes de De Gaulle se substitue alors la « honte d’être français », et Amrouche s’engage de manière forcenée dans le combat des intellectuels, multipliant articles, conférences, prises de position et manifestes. A Albert Camus (qui ne lui répondra pas), François Mauriac et Jules Roy, il propose dès septembre 1955 de cosigner un appel afin de contenir la violence et favoriser une solution négociée. Dès novembre 1957, il entreprend une série de va et vient entre la France et l’Afrique du Nord, doublée d’une campagne d’explication dans la grande presse. Refusé par L’Express, son article, « la France comme mythe et comme réalités », qui paraît dans Le Monde du 11 janvier 1958, lui vaut bien des injures et des désagréments. En novembre 1959, il est congédié de la radio-diffusion française où on commence à le trouver trop peu objectif.

A cette moment-là, de Gaulle étant revenu au pouvoir, Jean Amrouche se donne pour tâche ultime de provoquer un rapprochement entre le FLN et « l’homme de Brazzaville [...] et d’un certain discours de Constantine » ; il joue pour cela les émissaires, de Paris à Tunis et de Genève au Caire. Mais ses démarches ne rencontrent qu’échecs et déceptions. C’est au cours de l’un de ses déplacements à Rabat (déc 1961), qu’il ressent les premiers symptômes du cancer foudroyant qui l’emportera le 16 avril 1962. Auparavant, un dernier article dans Le Monde du 17 mars 1962 avait salué la mémoire de Mouloud Feraoun, assassiné par l’OAS...

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[1] Article repris avec quelques variantes dans les Lettres françaises d’octobre 1946.

[2] Intervention à la salle Wagram le 27 janvier 1956, lors d’une réunion du Comité des intellectuels contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord., recueillie dans Guerre d’Algérie et colonialisme (Paris, 1956) puis dans Etudes méditerranéennes, n° 11-1963

[3] A Jules Roy, le 25 février 1952, in D’une amitié. Correspondance Jean Amrouche-Jules Roy (1937-1962). Aix-en-Provence, Edisud, 1985

[4] Au même, le 6 août 1955.

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