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Zighcult
18 mars 2006

Sofiane Hadjadj (Extraits de La Loi)

PETITE BIO ET DETAILS SUR L'AUTEUR:

Sofiane Hadjadj est né à Alger en 1970 où il vit et travaille. Il suit ses études secondaires et coraniques à Tunis puis séjourne à Paris afin de poursuivre son cursus à l'Ecole d'Architecture de Tolbiac. Il y collabore à différents ateliers d'architecture parisiens.

En 1998 il rentre en Algérie et crée en avril 2000 avec Selma Hellal les éditions Barzakh. En 2004, il participe à la coordination éditoriale de l'ouvrage « Territoire Méditerranée » (éd. Labor et Fides, Genève, 2005), ouvrage traitant du dialogue interculturel en Méditerranée.

En tant qu'auteur, il a publié un recueil de nouvelles « La Loi » (Barzakh, 2001) et un récit « Ce n'est pas moi » (Barzakh, 2003). Il a publié de nombreuses nouvelles dans différents recueils (« Les belles Etrangères », éd. L'Aube, 2003 ; « Des nouvelles d'Algérie », éd. Métailié, 2005).

Il est également correspondant à Alger de la revue « La Pensée de Midi » éditée par Actes Sud et collabore à la revue de langue arabe « Zawaya » éditée à Beyrouth. Depuis 2004, il tient une chronique littéraire dans le supplément hebdomadaire « Arts et Lettres » du quotidien algérien « El Watan » (principal quotidien francophone en Algérie).

Les ouvrages de Sofiane Hadjadj sont disponibles à la librairie La Machine à Lire à Bordeaux, 8 place du Parlement www.machinalire.com

La loi (nouvelles)
Ed Barzakh
isbn: 9961-892-02-X

"Ici, cinq textes s'emboitent et s'entremêlent jusqu'à ne former qu'une masse indistincte, où importe moins la relation des faits que la lumière tremblante qui s'en dégage. "(4ème de couverture du livre La Loi)

Extraits:

L'homme est comme pétrifié, les images reviennent en rafale et l'assiègent à nouveau. Il voit encore un grand boulevard qui se jette à la mer, là-bas derrière la Bilbliothèque Nationale, il n'a qu'un seul désir, s'allonger au soleil et tout oublier. IL voudrait se protéger par l'oubli des choses, des hommes, ne garder que quelques images simples, d'un bonheur simple, d'une vie simple: et pourquoi ces petites images le ramènent-elles perpétuellement, inlassablement en enfance? Il pleure.

L'homme sait que pour demeurer homme, il lui faut parler, il sait, dorénavant, qu'il lui faudra encore un peu de temps.

(Extrait de L'homme)

___________________________________

Il est parti, il a quitté son désert originel, lieu du murmure, du dire et du non-dit, lieu où il a appris à taire les mots, à les enfouir dans le sable brûlant, espace du refuge et de l'attente.

Il sait aujourd'hui, d'une certitude amie et confiante, qu'il n'aurait jamais dû cesser de voyager seul, qu'il porte en lui ce germe irréductible, ce sacerdoce, cette foi inébranlable et cette soif inextinguible en un ailleurs toujours plus ouvert, paysages de bonheur, terres de fraternité, il sait que sa seule compagne aurait dû être la solitude.

(Extrait d' Exercice de la patience)

____________________________________

soleil: quotidien gardien des jours (qui peut vous poursuivre parfois, jusque dans vos nuits), qui ne vous laisse nul lieu pour vous abriter, qui vous oblige à un face à face sans répit avec l'incandescence. On se promène dans les dédalles de la ville (une ville? un magma de rues), on croit y être libre, tout va bien, l'air y est pur, transparent; et puis soudain on se touche le front-moiteur-on transpire lourdement: on se voile; et soudain encore, on se rend compte qu'il est là à proximité, immobile dans sa tunique bleue: lourdeur du corps, accablement.

Lorsqu'en remontant tout en lenteur, un boulevard grouillant, pour aller affronter cet astre maléfique (comme pour une procession, comme pour recevoir ou faire une offrande sacrificielle), la lumière du jour qui coule indéfiniment, la face des gens qui en est perpétuellement inondée, on se retrouve figé dans sa splendeur, on tremble de ne pas pouvoir s'en défaire, alors on fait tout pour oublier cet éclat: en tous cas on joue à l'ignorer. Mais est-ce encore un jeu? Plus tard, loin, très loin de ce pays on regrettera de ne pas s'être laisser absorbé et détruit, on pleurera. même. Mais à quoi bon les pleurs, à quoi bon la mémoire?(...)

lumière aurorale (sépulcrale) celle d'entre toutes que je préfère, où nous faisions encore la prière de l'aube, les femmes enveloppées dans leur voile, les hommes plongés dans leur sommeil; bercement, chichotement de versets dans l'ivresse des rêves, oh! siuppliques murmurées, carmin, empourprées, vives et tenues, récitations: supplications, invocations, implorations. Tout ça n'est que complications!(...)

Je ne sais pourquoi j'ai toujours cru que les femmes s'exposaient au jour plus vite que les hommes, qui eux, restaient cloitrés dans leurs chimères, impuissants et stériles.(...)
Les femmes, elles, avaient appris à se protéger, du soleil, et bien d'autres choses.
Avec le temps (on apprend tout).

ELLE était là simplement, figée, dans la lumière jaune et pâle, l'épousant presque. j'étais littérallement soufflé, non pas qu'elle fut belle ou splendide ou je ne sais quel qualificatif ridicule dont on affuble les gens de nos jours, non, rien de tout celà. Simplement la majesté d'une présence, l'altesse d'un port de tête.
Disons qu'elle avait la sérénité du visage d'une madone au faîte d'une voûte, la grâce étrange et grave d'une déesse sur un bas-relief égyptien...(...)

frôler: les tilleuls bordant les ruelles, jasmins, mimosas, magnolias, parterre d'agaves, rosiers et noisetiers, cerisiers en fleurs; ciel hivernal se découpant net et tranchant comme une lame, bleu triste et terrible du ciel, ombres démesurées et squelettiques des arbres, pluie torrentielle enfin: suprême gravité de l'eau, toujours descendante et toujours commençante.(...)

Elle voulait partir, et partir le plus loin  possible, mettre bas le fruit d'amours clandestins, elle au visage si doux, à l'esprit si pur, obligée de se plier aux lois de la clandestinité.
Dans ce foutu pays, croyez-moi, on s'y connaissait en clandestinité, connaissance intime, même et depuis des générations!(...)

Je me retournai vers ma soeur, j'allais parler lorsque son frère se leva, et calmement la gifla, tout en l'insultant copieusement.
Cela arriva bel et bien ainsi: dans le silence et le fracas.
Il faut ABSOLUMENT le croire, cela arrive ainsi.(...)

Au matin , je l'ai vue, gisant au fond d'un ravin. Telle qu'en sa majesté. Son corps dessinait une auréole rouge-carmin et ses cheveux une corde noire. On devinait très exactement les lignes sensuelles de son corps, et son inertie, son poids (mort) augmentait en moi la sensation d'un désir violent pour elle, je veux dire pour elle morte, bel et bien morte.(...)

Seuls comptent (pour moi) les mots: écrire; seule compte l'attention: un geste, un  sourire.

un moment: il n'y pensera plus, il arrivera presque à ne plus se souvenir de son nom, il la laissera dans l'ombre. ET même, il l'effacera vraiment, d'un seul coup, comme ça! Mais à partir de ces jours, il ressentira une sensation étrange, un sentiment confus et troublant: une pensée coupable, certaine, absolue. Il cessera de l'oublier, il la ramènera à lui, au plus proche: elle ne peut plus le quitter!
il lui faudra sortir au dehors, affronter le jour.

(extraits de La plaie)

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...et j'essayerai de révéler, ce qui en moi excède et précède à la fois mon désir..
J'ai aimé, au-delà de toute raison, sans que moi-même je l'admette, sans qu'à un seul instant je puisse trouver les mots de ma déraison(...)

et si, ici, sous le porche de notre premier baiser, dans le froid glaçant, pétrifiant de la nuit, toute la ville en émoi de nous savoir si proche, tandis que tu t'apprêtais à chanter, risquant à chaque instant de corrompre ta voix, et comme j'essayais de te retenir, toi qui voulait m'abandonner, rejoindre les cîmes inattendues où tu pouvais t'envoler sans effort, par la seule grâce de ton chant, et lorsque tu prenais ton tour, le violon qui geint de ta souffrance qu'il sait proche, oui trop proche, je le sais, pour que tu puisses plus longtemps la nier, souffrance que tu convertis en sons, en phrases modulées, caressées, tour à tour éructantes et gémissantes, implorantes et maudissantes; et pourquoi lorsque tu t'es défait de mes bras, que tu as traversé à toute allure le square, laissant derrière toi la mer scintillante, ton écharpe de soie qui tombait lentement comme flottant au vent, moi qui voulais encore un peu de la chaleur de ton sein, moi, oui, qui pleurais en silence, sans même que tu te retournes, juste tes cheveux noirs dans la nuit qui se riait de moi et ta nuque offerte, voilée(...)

et pourquoi ne m'as-tu pas adressé ce soir là, juste après que nous ayons goûté au plus parfait des baisers, que tu courrais donc, riant et joyeuse, sous les arbres chétifs qui, eux, entendaient ma plainte et mes gémissements, mes soupirs ambres et mélancoliques, pourquoi ne t'es-tu pas retournée, pour me faire un signe, la main que l'on agite pour saluer le voyageur au départ, sur le quai noir de monde, voyageur d'un autre monde, où se mélait ce désir joyeux de l'inconnu arrivant (mer étale, infinie) et la peur, l'espoir du retour, une main agitée qui contient la douceur de la prochaine caresse, bras dérivant au vent qui sait déjà le bonheur de la prochaine étreinte, juste un signe, du visage, de la main, peu importe; j'aurais voulu encore un peu plus pas beaucoup plus (...)

mon amour, les mots, oui, les mots qui me viennent ne sont pas les miens, à d'autres je les emprunte, par moi ils transitent, je les transmue, je les métamorphose, je ne sais pas parler, je ne suis que chant désordonné, fatigué, je ne veux pas que l'on me commande de parler, je veux aimer, en silence puis une fois souffle épuisé, toute ta poitrine qui remonte pour que l'air afflue à nouveau, jour nouveau et ta gorge qui se renoue, silence(...)

il me faudra les années noires du désespoir pour me déprendre de toi de cet instant double que tu m'as accordé, instant nocturne extérieur marin salé puis instant intérieur velouté lumineux, instant en arrêt lorsqu'enfin tu pris ton tour; voici le tragique sans soif aucune, le chemin de Damas, chemin d'épines, confondant l'amour et le chant de la bien aimée, ne sachant plus qui des deux je dois aimer le plus, véritablement (...)

j'ai songé que tu me disais quelques instants plus tôt vois la mer qui s'agite, son ventre qui se creuse son écume si pâle et nous deux si tranquilles, rassasiés puis moi qui te parlais de ton collier, fais-y attention, pense à moi lorsque tu le sens sur ta gorge, pense que pour toi j'ai risqué ma vie, j'ai donné tout ce que je possédais, pense que si j'en avais le courage je viendrais te regarder, t'entendre, te sentir, n'oublie pas que nous ne sommes pas du même bord, qu'il se pourrait que nous nous quittions et ce ne serait pas grave, je retournerais au ventre gras de la mer, vivant d'elle et elle se nourrissant de moi, dans mon aube silencieuse et prometteuse, et tu ne retourneras à tes crépuscules raffinés qu'avec cette pensée de moi en toi enfouie, ce sentiment que nous étions deux au coeur de l'invraissemblable(...)

Nous aurions aimé cette ville, pour sa topographie, son relief, ses dédales, ses escaliers, ses voies en douces courbes qui se tendent au fil de l'eau, une certaine topographie, rencontre de l'homme et de la nature, rencontre comme la nôtre qui rend plus de choses impossibles qu'elle ne les facilite; et puis la pluie sans cesse qui frappe le bitume, le fait miroir glissant, écoulement naturel et continu des eaux: eau descendante descendance, filiation; temps pour nous de rejoindre la source, la mer, toujours pour que nous allions ensemble vers notre commencement, pour que nous débutions en tout, à chaque instant, et alors cette portion de temps ne serait rien d'autre que notre apprentissage commun, nos débuts si timides et si enflammés, gauches et têtus(...)

face à la mer, arbres chétifs, nous nous assierons sur le sol froid, nous serons seuls, uniques, magnifiques; la lumière nous écrasera et nous la boirons jusqu'à l'ivresse: alors, oui, je te le dis, paupières closes le monde entier nous sera dévoilé, suprême récompense des amants fugitifs, il suffira pour toi de tendre l'oreille: détresse des hommes, frustration des femmes, désirs d'aimer, de s'aimer, tu écouteras l'absurdité terrible de la mort qui se donne, son inexactitude, la vie désolée qu'elle laisse derrière, paysage après la bataille, tu accueilleras la mer, écumante, son ressassement éternel, ses vagues murmurantes; le port en contre bas, ses machines visqueuses et ses cales sèches: la vie nous aurait été donnée, éclatante.
...et je sais que de tout cela qui n'est que virtualité, utopie, nous ne devrions pas parler, ou du moins je ne devrais pas le dire, te l'écrire, juste nous contenter de le vivre(...)

j'ai aimé plus que de raison, sans admettre ma déraison, sans voir ma défaite.
j'ai cru que tu te tournais vers moi;(...)
j'ai cru naïvement que tout était encore possible, armé de ma seule soif, pèlerin insignifiant, je voulais te tendre la main, que tu la tiennes, que nous sortions altiers, impérieux, je me couvrirais de ta voix dans le froid déchirant, tu habiteras mon silence sur l'eau immobile, nous continuerons à rêver, peut-être en pure perte (...)
si j'ai approché ne serait-ce que le temps de quelques heures ton corps, ta voix, je veux dire si j'ai pu au moins sentir le goût tranquille et assuré de ta présence à mes côtés, alors j'aurais été heureux; je sais que ce n'est là que très peu de chose, mais à moi, c'est presque tout (...)
si toi tu as pu séjourner dans la lumière que je dégageais, si elle t'a conquise cette lumière, alors c'est que tu auras été heureuse à ton tour; et cette  pensée double me rend aujourd'hui heureux encore. (extraits de Plain-chant)

Sofiane Hadjadj

La loi (nouvelles)
Ed Barzakh
isbn: 9961-892-02-X

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