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Zighcult
23 mars 2006

Ali Malek

Pour Ali Malek: bleu est Alger, vert est Paris
Daikha Dridi



Pas à l’aise dans le monde, c’est un peu comme ça qu’on pourrait résumer Ali Malek; un grand corps un peu gauche, une tête souvent enfoncée dans les épaules, un visage habité par un froncement qui a l’air éternel comme si une douleur lancinante le traversait pour la vie. Il est aussi grand qu’il donne l’air d’être noué, et la première chose qu’on a envie de lui demander, même si on le voit tous les jours, c’est s’il a mal quelque part.
Peut-être cette impression est-elle accentuée par le sentiment qu’il est constamment aux aguets, dans une ville devenue hostile, dans un pays qui s’est refermé sur lui comme un piège et où il est considéré en «situation irrégulière» depuis plusieurs mois. On peut penser, à l’écouter parler, que Ali Malek s’estime en «situation irrégulière» depuis trente-cinq ans, c’est à dire depuis qu’il est né, pas du bon côté de la barrière, dans un village de Kabylie où la seule perspective qui s’offrait à lui était de mourir doucement, sûrement, d’ennui et de désespérance. Contrairement à la grande majorité des auteurs, et des artistes en général, qui adorent parler d’eux-mêmes, ce n’est pas chose facile que de faire parler Ali Malek de lui-même. D’abord parce qu’il a une curiosité qui se déploie comme un filet dont il devient difficile, au fur et à mesure que la conversation avance, de se dégager, ensuite parce qu’il a tendance à vouloir se banaliser à tout prix. Avec un sourire désabusé, il vous dira: «Ma mère fait un travail extrêmement intéressant, elle est femme au foyer, c’est très original, quant à mon père, disons qu’il est agent de bureau, et moi j’étais fonctionnaire dans une administration et je suis parti d’Algérie pour des raisons on ne peut plus banales que celles qui poussent tous les jeunes Algériens à partir: tu es pauvre, tu n’as pas de maison, tu veux te marier et c’est impossible…».
Pourtant, «banal» est un adjectif qui lui va très mal. 


De tous les écrivains algériens de la nouvelle génération, il est celui qui est le plus à part, le plus spécial, celui sans doute dont les récits ont le plus de tempérament. Mais ce n’est pas tout. La lecture de son recueil de nouvelles,


Bleu mon père, vert mon mari, ou son roman Les chemins qui remontent, fait naître le sentiment diffus que ce qu’on a entre les mains n’est que l’avant-goût d’une œuvre encore en incubation. Bref, Ali Malek ne fait pas partie de ces écrivains dont on sent, une fois lue une seule de leurs œuvres, qu’ils ont déjà tout dit. C’est un auteur qui réussit le tour de force de faire de l’ennui une source d’inspiration aboutie dans son dernier roman, Les chemins qui remontent, édité par Barzakh en 2003, et dont le titre est à la fois un clin d’œil et un hommage à Mouloud Feraoun. «Quand j’étais jeune, Mouloud Feraoun a été très important pour moi, j’ai appris par cœur des passages entiers des «Chemins qui montent», dit Ali Malek qui a rencontré la littérature, notamment les grands classiques algériens, tels Mohamed Dib, Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, dans la bibliothèque municipale de son village lorsqu’il était adolescent. Et si aujourd’hui encore il voue à ces «aînés de la littérature algérienne» respect et considération, il ne sait en revanche pas s’il y a vraiment un lien entre ce qu’ils ont produit et ce que lui écrit aujourd’hui. «Sur le plan littéraire, je suis un pur produit de la guerre civile, comme j’imagine que le sont tous les gens de ma génération», dit-il spontanément, faisant référence à son recueil de nouvelles Bleu mon père, vert mon mari, paru en 2002 chez les mêmes éditeurs, où pourtant il n’est absolument pas fait mention directe aux violences et à leurs protagonistes. Ces nouvelles ont été écrites dans les années les plus noires qu’a vécues l’Algérie dernièrement, en 1994-95, mais elles sont l’aboutissement d’un processus que l’auteur a encore aujourd’hui du mal à expliquer. «Je n’ai aucune histoire personnelle liée à la guerre, mais je me sentais profondément blessé par toute cette fureur, j’avais envie de raconter tout ça, de témoigner», explique-t-il. Il a d’abord commencé par écrire «un roman sur la guerre civile», inspiré d’événements réellement survenus dans les villages alentour, «un roman de fiction mais dont les protagonistes étaient des islamistes, des militaires, le FIS, les généraux algériens, etc.». Une fois achevée l’écriture de ce livre, «je suis resté sur ma faim, je ressentais encore un manque, le besoin d’écrire quelque chose qui viendrait en complément, c’est comme ça que j’ai écrit ces nouvelles comme une sorte de parabole. Aujourd’hui je crois que c’était juste un prétexte pour parler de l’Algérie et de ce qui nous arrivait, pendant longtemps y a des trucs que tu absorbes et puis arrive un moment où ça te presse de l’intérieur et il faut que ça sorte».
Le roman en question, qui ressemble probablement à des dizaines d’autres publiés au lendemain de la guerre, n’a jamais vu le jour, mais les nouvelles de Ali Malek, qui sont bien plus que de simples paraboles sur la guerre, ont été éditées comme l’annonce de la naissance d’un auteur très particulier.
Parce qu’il est inconcevable aujourd’hui dans son pays de vouloir vivre décemment tout en n’étant qu’un romancier, Ali Malek s’est arraché à l’univers familier qu’il aime tant décrire et raconter, sa terre et ses gens et «c’est retourner en Algérie, dit-il, qui est devenu un rêve maintenant». Mais en dépit de l’éloignement et de la pénible vie que lui fait mener Paris, Ali Malek n’est pas sevré, il continue d’écrire, c’est, soupire-t-il, «un engrenage»; une faim perpétuelle qui sonne comme une bonne nouvelle pour nous autres lecteurs. 
Daikha Dridi 

source




"Le ciel reste désespérément bleu. On s'en inquiète tellement qu'on n'en parle pas. Les grandes craintes se rangent au placard. En surface rien." Ainsi commence Ali Malek, un nom à retenir dans la littérature algérienne, et qui récidive, après Les yeux ouverts, paru chez Barzakh, avec un nouveau recueil de nouvelles Bleu mon père, vert mon mari, sorti chez le même éditeur. Ali Malek use d'un verbe facile et de mots tranquilles pour raconter, en quatre nouvelles, les petits destins d'hommes et de femmes qui nous ressemblent, qui nous rapprochent d'une Algérie profonde, celle des villages perdus et des âmes en dérive.


     "Ne savez-vous pas qu'un village, une agglomération ne sont pas dignes d'être habités s'il n'y a pas de temple", dit El-Hadj Meziane, qui aurait cent trois ans, mais son visage ne porte pas de rides, raconte Ali Malek dans la première nouvelle. Le mort a les yeux ouverts, ce centenaire est un peu l'âme de ce village qui s'accroche lui pour croire encore au miracle de la vie. Dans cette nouvelle, des personnages s'entrecroisent dans un espace presque clos, un village où tout circule, tout se sait. Il y a la directrice de l'hôpital, citadine échouée dans un vieux bourg avec ses jupettes et ses rondeurs qui attirent les regards masculins. Il y a aussi le petit Belkacem et son histoire traumatisante avec la découverte d'un cadavre à moitié enseveli.
     La deuxième nouvelle, dont le titre est donné au recueil, sonde les profondeurs de l'âme féminine avec Malika. Cette femme, jeune, mariée à un homme vil et sans scrupules, est un prétexte saisi par l'auteur pour parler des frustrations et des traditions balourdes qui écrasent les femmes.
     Malika prend goût au sexe avec un mari insatiable. En se donnant de la sorte, elle prend revanche sur une éducation stricte qui stérilisa son être. Mais son mari ne l'initie pas qu'aux plaisirs charnels, mais aussi à la boisson alcoolisée. Il l'entraîne même dans les bars dont les arrière-salles qui abritent les débats passionnels des filles de joie. Malika, séduite, par cette vie excitante, s'offre un amoureux.
     "Vive la démesure, et quelle revanche sur ce village où les âmes ploient sous le joug humiliant du vide et de l'insignifiant", pense la jeune femme. Mais son vieux père, pieux et sage, n'aime pas ce gendre qui a débauché sa fille aimée. Il lui demande de divorcer. Mais Malika préfère son mari. Dans les deux autres nouvelles Le facteur oublie de sonner et Du couscous aux yeux bleus, l'auteur use d'un genre littéraire assez complexe, car la nouvelle reste une pratique qui exige de la technique et du doigté. Il prouve ses capacités en créant des personnages riches qui vont évoluer dans un temps et un espace limités, sans pour autant être dénaturés de leurs caractères. Qu'un facteur n'apporte que des lettres bizarres, il fallait l'inventer.
     Et ces lettres souvent envoyées à des personnes mortes ouvrent les portes sur des souvenirs et des événements. Puis suit l'étrange histoire de cette jeune fille. Prise d'un accès de folie, elle s'est mise à danser jusqu'à la mort dans un mariage où elle n'était pas invitée. Et Yahia, qui n'avait d'yeux que pour elle, qui l'accompagne à l'hôpital, alors qu'elle gisait inerte à l'arrière de la fourgonnette, et qui aide à creuser sa tombe, sait que cet été ne sera plus comme les autres. Il décide alors d'aller sur la tombe de la jeune fille, les étés suivants, pour lui dire les chansons qu'il écrira pour elle. Ali Malek, né en 1968, a du talent et son écriture lisible et plaisante dénote d'une naissance littéraire à suivre.
Par Nacéra Belloula

Les chemin qui remontent
(Roman) - Éditions Barzakh, Alger, 2003

Le Soir d'Algérie 13 janvier 2004
A la frontière de la vie et de la mort…
     “En ville, la foule piétine dans la grand’rue, qui vers l’école, qui vers le bureau, qui vers rien. Sous le platane de la station de taxis, les collègues regardent Saïd arriver : dans l’accablement des responsabilités, ils envient son célibat. Le soir, aucun d’eux ne renâcle à aller boire un coup, mais après une bonne journée, ils ont tendance à économiser leurs sous. Saïd, lui, c’est au bar qu’il aime atterrir, mû par l’universelle illusion qu’il y verra un peu plus clair…”

     Saïd est chauffeur de taxi, il survit péniblement dans un bourg dans les profondeurs de la Kabylie. Depuis que sa voiture est en panne, il traîne toute la journée avec ses amis. Quotidiennement, ils se réunissent sous un olivier ou sur les rochers loin des regards indiscrets, histoire de se rouler des joints. Quelques bouffées de cette fumée magique et l’ennui disparaît. Le soir, Saïd fait la tournée des bars avec Mohand. Ce dernier avait eu la bonne idée de rentrer au bled après avoir gagné de l’argent en France. D’ailleurs, Mohand ne rechigne nullement à dépenser tous ses sous pour inviter ses potes. Une vie bien monotone qui se déroule dans cette petite contrée, où les seuls sujets de conversation entre jeunes gravitent autour des filles et la manière de leur faire perdre leur pucelage. Lorsqu’un jour les yeux de Saïd rencontre une forme joliment élancée : Chabha est son nom. Saïd n’est plus le même. Amoureux d’elle, Saïd l’est. Il sait aussi que Chabha est mariée. Pourtant, elle finit par céder au plaisir de la chair. Et le destin aidant son mari, à cause de son travail, est éloigné de leur aventure. Ils se retrouvent un peu partout et même dans sa maison pour d’éphémères étreintes. Il est complètement bouleversé qu’elle aille rejoindre sa vie après leurs ébats. Il aurait voulu que cela ne s’arrête jamais. Cependant, Chabha finit par l’oublier et la famille de Saïd par lui trouver une épouse. C’est ainsi que Saïd mène sa vie, entre le haschisch, l’alcool et l’ivresse des souvenirs avec Chabha. Lorsqu’un matin, en allant rendre visite à Mohand, Saïd apprend que celui-ci a été incarcéré. Mohand a été pris en flagrant délit de conduite en état d’ébriété, de plus il a provoqué un accident. Désespéré, Saïd ne sait plus quoi faire, il rumine l’ennui et cette routine qui n'en finit pas. Après tout, c’était grâce à la voiture de son ami Mohand qu’il pouvait quitter le village. Vivant à la “frontière de la vie et de la mort”, pour Saïd, désormais, plus rien n’a vraiment de l’importance. Jusqu’au jour où il rencontre Tahar. Cet homme l’emmène avec lui chercher son troupeau de bœufs dispersés dans la forêt. C’est dans le silence immense de la nature, après l’envol bruyant de quelques merles et le spectacle offert par les bœufs que Saïd, de tout son être et pour la première fois de sa vie, pense que tout n’est pas encore perdu.

    A travers ce récit, l’auteur nous rappelle la triste et dure réalité vécue par des milliers de jeunes. Leur dignité est bafouée jour après jour car ils ne trouvent jamais de travail. Entre l’ennui et le désespoir, ils sont sur un nuage de fumée ou noyés dans une bouteille d’alcool. Leur vie chavire à la recherche d’un message d’espoir, un signe du destin. Cette histoire est peut-être de nos jours banale, elle a probablement fait couler beaucoup d’encre. Mais la réalité est là : concrètement, rien n’a changé. Ces jeunes qui ornent nos murs vivent en marge de notre existence et ne rêvent que de s’exiler.

     Ali Malek est né en 1968. Actuellement, il vit en Kabylie (Algérie). Il est l’auteur d’un récit Les yeux ouverts et d’un recueil de nouvelles intitulé Bleu mon père, vert mon mari.

Sam. H.

Les chemins qui remontent, d’Ali Malek, éditions Barzakh 2003

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