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Zighcult
26 mars 2006

Assia Djebar, nomade entre les murs (écrivain)

Assia Djebar, nomade entre les murs
Antonia Naim
Un bel hommage a été rendu à la poétique transfrontalière de l’écrivain Assia Djebar lors d’un colloque organisé du 27 au 29 novembre par la Maison des écrivains, à Paris, en cette année de célébrations sur l’Algérie. Des chercheurs, d’autres écrivains qui ont navigués entre deux «pays-langue», comme Andrée Chedid, les nombreux traducteurs de la romancière se sont donc réunis pour décortiquer l’œuvre et le parcours d’un des auteurs les plus importants d'Algérie. L’histoire de ce pays, le combat des femmes et des hommes pour la lutte contre le colonialisme, et plus largement l’histoire des femmes de l’Islam, sont au centre de l’œuvre d’Assia Djebar, dominée par la conscience d’être entre-deux - entre deux pays, entre histoire ancienne et modernité, mais surtout entre plusieurs langues.
Si le français est la langue de son univers romanesque, c’est à travers une écriture constamment nourrie par des allers et retours entre présent et passé, entre un pays et l’autre, une ville et l’autre. «J’écris en français, langue de l’ancien colonisateur, qui est devenue néanmoins et irréversiblement celle de ma pensée, tandis que je continue à aimer, à souffrir, également à prier (quand parfois je prie) en arabe, ma langue maternelle. Je crois, en outre, que ma langue de souche, celle de tout le Maghreb, je veux dire la langue berbère, celle d’Antinéa, la reine des Touaregs où le matriarcat fut longtemps de règle, celle de Jugurtha qui a porté au plus haut l’esprit de résistance contre l’impérialisme romain, cette langue donc que je ne peux oublier, dont la scansion m’est toujours présente et que pourtant je ne parle pas, est la forme même où, malgré moi et en moi, je dis "non": comme femme, et surtout, me semble-t-il, dans mon effort durable d’écrivain. Langue, dirais-je, de l’irréductibilité».
La richesse et la précision de l’ensemble des débats ne peuvent ici trouver leur place: la mémoire des femmes et leur rôle pendant la libération de l'Algérie, les langues de l’irréductible, Assia au pays du langage, la traduction sur la scène, la vestale et la guérrillère, les femmes de Méditerranée…
Essayons seulement de nous intéresser à quelques uns de ces points. Prenons d’abord la réflexion de Wolfgang Asholt sur les villes transfrontalières qui, en évoquant le très beau livre d’Assia Djebar Les nuits de Strasbourg (Actes Sud, 1999), étudie le statut de nomade de l’autrice et du passé «mis en question et qu’il faut questionner». Ainsi Strasbourg «ville de passages, de princesses autrichiennes, d’écrivains allemands, de Français musulmans, ville déchirée et revendiquée» devient, sous la plume d’Assia Djebar, une ville chargée de signes et de significations en cette époque de vide et de négation de sens. La ville des «relations transfrontalières»: entre la protagoniste algérienne Thelja et le strasbourgeois François, entre l’algéro-marocaine Eva et l’allemand Hans, ceux même qui étaient «ennemis» autrefois. Dans ces relations la langue de l’autre devient ainsi une nourriture, «le sexe de la langue et le sexe tout court fusionnent, les nuits accouplent les langues et les corps». Strasbourg a été pour Assia Djebar «une ville qui craquait d’histoire». Elle raconte qu’elle a vraiment connu les personnages de son livre, même si les deux couples sont imaginaires, et qu’il lui fallait ordonner ces différents récits. Ainsi, comme elle l’avait fait pour le livre Vaste est la prison (1995, Albin Michel) elle écrit son livre à partir d’un chiffre qui lui était apparu au milieu d’un rêve nocturne. Pour Les nuits de Strasbourg, c’était le chiffre 9, le livre a été ordonné en 9 chapitres.
François devait être plus âgé que Thelja, car «elle devait se demander s’il avait fait la guerre d’Algérie». Les allers et retours de l’Histoire… L’écriture du livre avait d’ailleurs été interrompue par les assassinats d’intellectuels et artistes algériens au début des années 90, parmi lesquels se trouvaient des proches de l’autrice, et achevée seulement bien des années plus tard, en Louisiane, où elle enseignait.
Jeanne Marie Clerc a, de son côté, évoqué l’expérience du désert et l’écriture fugitive dans l’œuvre romanesque d’Assia Djebar, une écriture de transhumance, au caractère migrant qui prophétise «une nouvelle façon d’envisager la création littéraire dans les années à venir». Explorer des nouvelles formes d'écriture, elle l’avait fait à plusieurs reprises, au cinéma déjà en étant la première femme cinéaste algérienne. Dans ses deux films, La nouba des femmes du mon Chenoua, en 1979 et La Zerda, les chants de l’oubli, en 1982, elle avait visité le thème de la tradition orale transmise par les femmes et les images du colonialisme.
Mais pour elle «l’image son est plutôt captation du silence, pour rendre perceptible cet au-delà de l’évidence» nous confirme Jeanne Marie Clerc, qui dirigea la thèse de Lettres d’Assia Djebar, publiée sous le titre Ces voix qui m’assiègent, chez Albin Michel, en 1999.
Maria Nadotti, traductrice italienne de la romancière, essayiste et journaliste, évoque quant à elle l’expérience théâtrale d’Assia Djebar en Italie. Explorer des éléments narratifs nouveaux, c’est encore une fois le défi de la narratrice dans ces Figlie d’Ismaele (Filles d’Ismail), qu’elle signe avec le metteur en scène Mario Martone pour la scène italienne lors de l’année du Jubilée, en 2000. Assia, romancière musulmane qui s’adresse à un public de culture catholique avec un j’accuse contre toute forme d’intégrisme dans une «double, vertigineuse mise en scène» loin de tout regard colonial ou orientaliste.
On espère que ce précieux travail sur la romancière algérienne sera un jour publié pour que la fugitive Assia Djebar demeure ainsi «enracinée dans la fuite».

Publications d’Assia Djebar:
La disparition de la langue française, Albin Michel, 2003
La femme sans sépulture, Albin Michel, 2002
Ces vois qui m’assiègent, Albin Michel, 1999
Oran, langue morte, Actes Sud
Les nuits de Strasbourg, Actes Sud, 1997
Le blanc de l’Algérie, Albin Michel, 1996
Vaste est la prison, Albin Michel, 1995
Chronique d’un été algérien, Plume, 1993
Loin de Médine, Albin Michel, 1991
Ombre sultane, Lattès, 1987
L'Amour, la fantasia, Jean-Claude Lattes, 1985
Femmes d’Alger dans leur appartement, Ed des Femmes, 1980, Albin Michel, 2002
Les Alouettes naïves, Julliard, 1967.
Rouge l'aube, Alger, S.N.E.D., 1969.
Poèmes pour l'Algérie heureuse, Alger, S.N.E.D., 1969.
Les Enfants du Nouveau Monde, Julliard, 1962.
Les Impatients, Julliard, 1958.
La Soif, Julliard, 1957

Films:
La nouba des femmes du mont Chenoua, 1979
La Zerda, les chants de l’oubli, 1982
Antonia Naim
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