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Zighcult
21 novembre 2006

UN AUSTRALIEN A TAMANRASSET / Comme un rêve de pierre

Phrase prémonitoire : It seems like we’re on the moon !» (On se croirait sur la lune!), s’exclame Key Moloney au moment où le Boeing d’Air Algérie en provenance d’Alger amorce son atterrissage sur l’aérodrome de Tamanrasset. Originaire de Perth dans l’ouest de l’Australie, Moloney effectue son premier voyage dans le désert algérien, «sur les traces d’Antinéa», lance-t-il (Antinea fut reine berbère connue sous le nom de Tin Hinen).

Ne parlant que quelques mots en français et aucun en arabe, l’homme a pourtant traversé la moitié de la planète pour rejoindre ce «coin perdu» de l’extrême Sud algérien. Mais que vient-il chercher ici, lui, l’Australien ? La question devient davantage pressante à la descente de l’avion lorsque nous accueille un paysage «tourmenté» par de gigantesques rochers noirs, qu’une après-midi morne et brumeuse ne fait qu’en accentuer la singularité. Avant d’entamer son «voyage initiatique» dans l’étendue du grand Erg, Moloney passera sa première nuit au Tahat, hôtel qui porte le nom de l’une des montagnes les plus célèbres du Hoggar. Une chambre avec toilettes et salle de bains coûte 3800 DA la nuitée hors taxe, celle qui en est dépourvue coûte 1000 de moins. Ce sont là les tarifs pratiqués durant la pleine saison touristique comprise entre octobre et mars.

En général, les touristes ne passent guère plus d’une nuit à l’hôtel, le temps de se ravitailler, de louer les services d’un guide et de s’élancer à la découverte du Sahara. «Vous ne risquez pas de croiser beaucoup de touristes en ville. Leur truc, ce sont les bivouacs et les veillées à la belle étoile», annonce Kamel, cadre installé à Tam depuis deux ans et organisateur de notre séjour. Les fortes pluies qui se sont abattues sur la région, la semaine qui a précédé notre arrivée, ont ralenti le rythme des virées touristiques. La route de l’Asskrem (2700 m), coupée pendant plusieurs jours, est enfin rouverte, mais demeure impraticable, «trop risqué de s’y aventurer pour le moment», avertit Kamel. En compagnie d’un groupe d’Italiens et de Portugais : Lorenzo, Massimo, Moricio, Victor, Anna-Rita, Guado et Adriana  nom qui a fait beaucoup sourire les Targuis parce qu’il s’apparente à celui d’une montagne de l’Ahaggar  nous nous contenterons d’un «petit» circuit à travers cette immensité rocailleuse et insaisissable, ce «no man’s land» non encore perverti par la civilisation moderne.

Le charme agit immédiatement, dès la première halte, par une nuit étoilée dans les Jardins d’Outoul à 30 km de la ville de Tam. D’abord se déchausser et s’asseoir sur les tapis de laine au milieu d’une végétation luxuriante. S'abandonner ensuite à la volupté d’un air pur, bercé par les rythmes d’un luth mélancolique, en attendant que de jeunes Targuis servent le repas que nous prenons à même le sol. Sensations nouvelles, goût inattendu que celui de cette viande cuite simplement dans le sable et dont les gens du Sud raffolent. Le maître des lieux s’appelle Zounga. Affable et impressionnant dans sa tenue traditionnelle, paré d’un qui ne laisse transparaître que ses yeux, il est «le P/APC» sortant de Tam et patron d’une agence touristique, Akar Akar  encore le nom d’une montagne de l’Ahaggar ! Il nous entretient longuement de l'opération «désert propre». «Nous avons réussi à mobiliser plus de monde cette année, l'expédition comptera 80 bénévoles», informe Zounga. Il regrette que les appels lancés vers les pays de l’Europe pour s’impliquer dans la sauvegarde de «ce produit touristique» soient restés vains. Pourtant «ils en sont les principaux consommateurs !», argumente-t-il. `Le flux touristique a connu ces dernières années une nette progression. L’ONAT, à lui seul, a totalisé près de 18 000 touristes en 2001. Mais en l’absence d’une politique de préservation du patrimoine, la situation risquerait d’aboutir à la destruction pure et simple d’un écosystème déjà fragile.

Le thé arrive à la fin du repas. Un premier «fort comme la mort», un second «doux comme l’amour», un dernier, «léger comme la vie» «Quel est donc le secret de ce breuvage ?», demande un touriste. L’homme ne branche pas. Le mystère demeure intact. Le lendemain, Kamel organise une visite à Abalessa, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Tamanrasset. On quitte la RN1 pour emprunter un chemin de wilaya, ligne droite, mais cabossée, pour atteindre, au terme d’un voyage éprouvant, cette commune recelant un véritable trésor historique : les ruines mystérieuses d’un château dont l’architecture tranche avec le style local et qui serait, selon les historiens, d’origine romaine, mais surtout le tombeau de Tin Hinan, celle «qui vient de loin».

L’évocation de la reine légendaire des Touareg nous renvoie au souvenir de ce squelette exposé au Musée du Bardo à Alger, sur lequel sont restés accrochés d’antiques chaînes et bracelets. Mais ici, Tin Hinan est restituée dans sa véritable dimension. Elle est l’image matriarcale sur laquelle repose toute la civilisation targuie. Cette même icône se donnera à voir le soir-même, sous les traits de Khoullel jouant de son instrument monocorde, l’imzad que seuls des doigts d’une femme peuvent faire vibrer. Avec pour décor la montagne d’Iffef en forme de pyramide et le mont de Laperrine, la femme Touareg parée de ses plus beaux atours enchantera les touristes étrangers qui s’empresseront de se prendre en photos près d’elle, elle, imperturbable. Nous décidons d’escalader Iffef, «la montagne qui ressemble au sein d’une femme», nous dit Idder, le Targui.

Le camp où nous avons laissé un groupe de Touareg exécuter une danse guerrière n’est plus qu’un point lumineux au milieu du plateau de Sougess. Nous sommes en plein Ahaggar. Massimo, l’un des Italiens du groupe qui aime à répéter qu’il n’est qu’un «écologiste de bureau», semble ébloui par le spectacle. «Vous avez déjà visité l ‘Europe ?», interroge-t-il seulement pour souligner que l’endroit où il se trouve marque une rupture avec le monde dans lequel il évolue. Un sentiment que chacun de nous emportera avec lui. Tam n’allait pas nous laisser repartir sans quelques autres ravissements, dans la bourgade de Tit, à 40 km du chef-lieu de wilaya où l’eau coule à flots, où l’herbe est florissante et où les énormes roches portent encore les traces de la préhistoire.

A côté des peintures rupestres, les massifs du Tahli gardent encore jalousement les premières sépultures que l’histoire a connues, «datant de l’âge où l’homme a commencé à différencier le monde des vivants de celui des morts», explique le guide de l’Office du Parc national du Hoggar. Les 4x4, qui se sont ensablées dans l’oued Tit, roulent maintenant littéralement sur les rochers. Un parcours dangereux, un étroit couloir de roche que les conducteurs négocient au millimètre près. «On ne me croirait pas si je racontais ça», lance quelqu’un dans le groupe. On aura droit en prime à un sublime coucher de soleil, «le plus beau sur Terre». Ultime destination, la source de Tahabourt, de laquelle coule une eau naturellement gazeuse, mais qui se trouve «malheureusement abandonnée aux soûlards et aux voyous», déplore notre guide. On raconte ici que l’étranger qui boit l’eau de Tahabourt reviendra à coup sûr à Tamanrasset.

Par Monia Zergane
Tamanrasset : De notre envoyée spéciale (El Watan 28 10 2002)

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