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Zighcult
6 janvier 2008

En attendant Godo traduction tamazighte

Signe de la vitalité retrouvée de la culture berbère, une version traduite du texte de Samuel Beckett est en cours de publication.

Faire attendre Vladimir et Estragon après Godot en berbère. Une version du texte de Samuel Beckett en amazigh - les militants pour la défense de la culture de ce peuple rejettent le mot « Berbère » - est en cours de publication. Le poète Mohamed Ouagrar l’a fait passer d’une langue à l’autre et l’institut français d’Agadir l’a fait jouer en décembre.

Etrangeté. L’amazigh est essentiellement oral et quotidien. De cette langue séculaire, il restait un alphabet : quelques traces écrites sur des épitaphes… Mohamed Ouagrar a souvent été face à l’absence de mots. Il a été les collecter chez les anciens. « Auprès de ceux qui n’ont qu’une seule langue, un berbère très pur, et qui ne connaissent pas un mot d’arabe » , dit-il . Une démarche qu’avaient suivie Chadia Derkaoui, linguiste, et Zohra Makach, professeure de théâtre à l’université d’Agadir, quand ­elles avaient traduit les Justes en 2004. « La justice, la révolution, sont des concepts que nous avons eu du mal à faire passer en amazigh. Nous étions confrontées à l’étrangeté de notre langue maternelle que nous n’avons jamais apprise… »

La parution prochaine d’ En attendant Godot témoigne du renouveau de la culture amazigh. La langue avait résisté au phénicien, au latin… mais le XXe siècle a bien failli avoir ses mots. « Le cloisonnement géographique des Berbères l’a longtemps sauvée, explique Chadia Derkaoui . Mais avec l’alphabétisation et le développement des moyens de communication, elle est devenue très fragile. Après le protectorat français, le royaume avait une obsession : l’unité. Pas question de permettre l’apprentissage des langues maternelles. » Hassan II étouffe la langue et la culture berbère .

Mais en 2001, Mohamed VI - qui assume une berbérité venue de sa mère - déclare que la langue amazigh est un élément fondamental de l’identité nationale marocaine. L’Institut royal pour la culture amazigh (Ircam) codifie alors la langue à reconstruire. L’amazigh est désormais enseigné dans plusieurs écoles et en septembre dernier, l’université d’Agadir a ouvert un master en langue et culture amazigh. Sur une feuille blanche, Mohamed Ouagrar trace des symboles. Des bâtons, des fourches et des croix. Après 2001, il a bien fallu coucher cette langue sur le papier… et choisir un alphabet. Lettres arabes, solution supportée par les panarabistes et les islamistes, ou latines, option préconisée par les ­chercheurs berbères qui ont souvent fait leurs études en France ? « Pour sortir de l’impasse, l’Ircam a choisi l’alphabet d’origine de la langue amazigh, l’alphabet tifinagh, proche du phénicien », rap­porte Chadia Derkaoui.

« Agenda ». A l’origine, l’ama­zigh pouvait s’écrire de droite à gauche, de bas en haut… L’Ircam a tranché : il se lira de gauche à droite. Depuis, l’amazigh reprend vie peu à peu. Les Fleurs du mal, le Petit prince ou Roberto Zucco de Koltès ont été traduits. Et l’attente de Godot, donc, dans une langue où pourtant, le mot « agenda » n’existe pas. « Dans une langue orale, que faire d’un objet où écrire des rendez-vous ? », s’amuse Chadia Derkaoui.

Sonya Faure

source: liberation

Ma traduction en tamazight d’En attendant Godot
13 novembre 2007 

Après plusieurs mois de travail, je viens de boucler, enfin, la traduction en tamazight d’En attendant Godot, la célèbre pièce de l’auteur irlandais, Samuel Bekcett ! Mon défi était simple, et les lecteurs pourront en juger au moment venu, est d’exprimer toute la complexité occidentale que ce texte charrie dans la langue de Hemmou Outtalb. Encore faut-il qu’elle soit accessible au plus grand nombre.

Pour ce faire, j’ai essayé au maximum de ne pas succomber à la mode néologiste toujours très en vogue. Parce que, à mon humble avis, très facile et nullement intéressante. À trop forcer la dose, l’on crée carrément une nouvelle langue sans aucune assise sociologique et, partant, déconnectée de la réalité, de sa réalité. Donc forcément hermétique sauf peut-être pour quelques très rares initiés un peu têtus.

Pour autant, pour que le travail de traduction ne soit pas trop harassant, il faut impérativement avoir des outils –dictionnaires bilingues à titre d’exemple- à sa disposition. Comme vous le savez tous, dans le cas de notre langue, ils n’existent tout simplement pas ou pas encore. L’on n’espère bien entendu que les choses n’en resteront pas là. Comment faire alors ? Il ne faut donc compter que sur soi-même. En fait, cela fait plusieurs années que je glane, minutieusement, patiemment, le lexique amazigh en m’appuyant sur toutes sortes de supports. Qu’ils soient écrits ou oraux. À ce jour, en plus du fait que je maîtrise la langue amazighe, j’ai pu rassembler assez de matière pour pouvoir m’attaquer à En attendant Godot, un texte que d’aucuns n’hésiteraient pas à qualifier de particulièrement ardu. En réalité, j’ai en ma possession un lexique bilingue français/amazigh de ma propre fabrication. Qui sait ? Peut-être, il sera l’objet d’une publication lorsqu’il sera fin prêt. Il peut toujours être d’un grand secours pour ceux qui veulent, le cas échéant, traduire d’autres œuvres littéraires.

Quelle sont donc les difficultés que j’ai rencontrées pour réaliser ce modeste travail ? Primo, il y a effectivement la problématique, lancinante du reste, de la transcription. Si le choix de l’alphabet latin allait de soi, reste à savoir si ces différentes utilisations sont accessibles au plus grand nombre. Deux importantes possibilités- les plus connues- se sont présentées à moi. D’une part, il y a bien évidemment la plus ancienne, la transcription de Dda Lumulud avec ses lettres grecques partout. Que mes amis kabyles ne s’en offusquent pas, celle-ci n’est pas du tout simple. D’autant plus qu’elle n’est nullement prise en charge par les différents supports technologiques à notre disposition. D’autre part, il y a celle des Aït Souss, un peu plus récente, popularisée par le site bien connu, mondeberbere.com. Là aussi, elle n’est absolument pas pratique. Car avec les accents circonflexes partout, les sons emphatiques ne sont jamais bien précisés. En fait, il faut déjà connaître parfaitement bien le tamazight pour pouvoir le lire correctement. Pour ma part, pour ne pas rebuter le lecteur potentiel, j’ai résolu le problème en soulignant les sons emphatiques. Simplement. Tout en gardant les sons qui ne posent plus de problèmes ( x=kh, gh= r grasseyé…).

Secundo, comment faire d’une langue essentiellement orale, une langue d’écriture ? De fait, cette transition n’était pas vraiment un problème. Le tamazight devient de plus en plus une langue écrite. Disons-le franchement, et c’est à l’honneur de ceux qui griffonnent inlassablement leurs idées avec cette langue, elle n’est déjà plus uniquement orale. La preuve : nous pouvons maintenant être fiers d’avoir une production littéraire (création ou traduction) fort importante qu’il faut bien évidemment voir et regarder avec, systématiquement, un œil critique. Ce que j’ai fait. D’autant plus que j’ai déjà traduit en français nombre de poèmes amazighs. Et inversement. Par ailleurs, quelles sont donc les erreurs à éviter ? Il faut toujours se dire si on se fait comprendre. Car lorsqu’on écrit on ne le fait pas que pour soi-même, mais pour les autres aussi. Il faut systématiquement être clair et sobre. Sinon d’un point de vue essentiellement technique, il faut éviter les répétitions qui alourdissent le texte, mais aussi les phénomènes linguistiques propres à l’oralité : « ay lligh » donnera « ar lligh » ; « jjenjem » donnera « ssenjem » ; « ghwwad » donnera « wwad » … Il est bien évident que pour toute présentation, il faut renouer avec l’oralité. Histoire de se faire comprendre sans forcément sacrifier la rigueur.

Tertio, il y a lieu de résoudre ce dilemme : adaptation ou traduction ? Je sais qu’une adaptation de ce texte a été déjà réalisée que je n’ai pas jamais vue d’ailleurs. Je n’ai pas voulu faire la même chose. La raison est on ne peut plus simple : la pièce de théâtre existe dans bien de langues de part le monde. Sans que l’on n’y change absolument rien. Pourquoi ne pas faire de même avec le tamazight ? De plus, à titre personnel, si l’on adapte un texte, il vaut mieux aller plus loin : pourquoi ne pas en créer un autre ? Je dis cela sans vouloir jeter la pierre et encore moins préjuger des efforts de quiconque. Par ailleurs, sur quel texte donc je me suis appuyé pour ce modeste travail de traduction ? À dire vrai, j’ai vu et lu la pièce en anglais, mais c’était le texte français que j’ai retenu. Parce que tout simplement c’était, à ma connaissance, la première version écrite par Samuel Bekectt- il y a quelques différences minimes entre les deux. Même si, à mon sens, les deux se complètent. Il faut impérativement lire les deux pour pouvoir comprendre parfaitement bien le texte. Car l’influence de la culture anglaise de Bekcett sur son texte français est plus qu’une évidence.

Pour conclure, ne soyez pas du tout découragés, il n’y a pas que des difficultés dans l’écriture dans le tamazight. En plus de ce rapport affectif sincèrement valorisant que j’ai toujours eu avec ma langue maternelle, il y a cette jouissance difficilement descriptible d’y réfléchir, d’y penser, de chercher nerveusement un mot que l’on avait sur la langue, une expression idiomatique que l’on n’a pas utilisée depuis des années... Bref, il y a tout cet effort intellectuel et ce retour salutaire sur la langue, ma langue avec laquelle, pour la première fois de ma vie, j’ai découvert et nommé le monde. Une langue, que ce soit dit en passant, pleine d’énormément de ressources et d’une richesse qui en surprendra plus d’un.

Je conseille à tout un chacun de vivre une telle expérience au moins une fois dans sa vie. Il en gardera, éternellement, fondamentalement, un délicieux souvenir. Parole d’un Soussi !!

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