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Zighcult
9 décembre 2005

Khaïr-Eddine, enfant terrible de la littérature maghrébine

par lahcen   


Les romans de Mohammed Khaïr-Eddine ont été réédités récemment. C’est une initiative louable quand on sait que cet auteur marocain, disparu en 1995, a toujours été publié aux éditions du Seuil et que son œuvre était quelque peu inaccessible au grand public marocain, à cause du prix, mais aussi à cause de la censure. Car Khaïr-Eddine, on l’a souvent répété, est l’enfant terrible de la littérature marocaine francophone, et sûrement de toute la littérature maghrébine. Sa vie comme son écriture illustrent bien ce qualificatif qu’on lui donne. Né en 1941 dans un village du Sud marocain, Tafraout, il passe son enfance auprès de sa mère, mais sans le père, parti faire fortune dans le commerce au Nord. Le père, l’enfant ira le retrouver plus tard, lorsqu’il partira s’inscrire à l’école à Casablanca. L’adolescence dans cette ville, c’est la découverte de la vocation littéraire et l’éveil de la conscience politique. En 1960, un événement va avoir lieu qui va marquer sa vie et son œuvre : le grand séisme qui détruit la ville d’Agadir. En 1961, il abandonne les études pour se consacrer à l’écriture et part s’installer à Agadir pour deux ans. Il retourne à Casablanca en 1963, puis s’exile en France en 1965. Il s’installe dans le Midi et mène une vie difficile en travaillant comme ouvrier. Il écrit difficilement et anime une émission radiophonique pour France Culture. Dans les années 70, il quitte le Sud de la France pour mener une existence de nomade à Paris. En 1979, il décide de rentrer au Maroc. Là encore, il mène une vie d’errance. Il n’écrit presque plus et vit de la collaboration à quelques journaux locaux. Il s’exhibe volontiers dans des manifestations culturelles. En 1989, il repart encore pour quelques temps en France. Il décède en 1995 au Maroc.

Obsessions Khaïr-Eddine n’a pas laissé une œuvre abondante. Ses écrits, en tout et pour tout 7 romans et 5 recueils de poésie, sont presque totalement produits dans l’exil, durant cette longue période où il vécut en France (1965-1979). L’écriture est dominée par plusieurs thèmes obsédants qui puisent leur origine dans autant d’événements marquants ou traumatisants de l’enfance et de l’adolescence de l’auteur. On peut même considérer que tous ses écrits constituent une succession d’autobiographies, réitérations successives, sous des angles et des tons différents, des mêmes obsessions.

La haine C’est d’abord la haine du père, qui a abandonné la mère, personnage exécrable qui accumule tous les maux : débauche, cupidité, violence, cynisme... L’image du père, Khaïr-Eddine n’arrivera jamais à la bannir, elle obsédera toute son œuvre : « Pourquoi revenir encore vers lui, moi tenu d’aller ailleurs, de vivre ailleurs avec surtout les autres paumés que je représente, je devrais étrangler une fois pour toutes cette image du père tellement obsédante qu’elle ne signifie plus rien du tout ! Je n’y arrive pas, je suis dur mais il m’est impossible d’en finir... » (Une vie, un rêve..., p. 67). C’est qu’à côté du père, et à travers lui, c’est toute une panoplie de personnages incarnant et symbolisant le pouvoir qui est combattue et souvent tournée en ridicule : Dieu, le roi, les policiers, les militaires, jusqu’au fquih de la mosquée de l’enfance dans le Sud dont les tartuferies sont dénoncées. C’est de ce rejet et de cette lutte acharnée contre toutes les formes du pouvoir que découle le caractère violent, vindicatif et surtout sacrilège des écrits de Khaïr-Eddine. En rejetant tout, l’écrivain s’exclut lui-même et se situe volontiers en marge de la société, de sa politique et de sa culture.

Le séisme Un autre événement va influencer autrement l’œuvre de l’écrivain : le tremblement de terre d’Agadir en 1960. L’auteur, qui mène une enquête sur place auprès de la population est sûrement profondément marqué par le désastre. On peut même dire que toute son œuvre est traversée par un séisme permanent. Cela explique que Khaïr-Eddine soit souvent considéré comme un auteur hermétique et incohérent. Dans un passage de Moi l’Aigre, il donne un semblant de définition de ce qu’on pourrait appeler son « art poétique » : « C’est peut-être par là que commence la véritable création. J’avais laissé derrière moi le sentimentalisme pleurnichard et les réminiscences de toutes sortes. Mallarmé avait dû passer par un gué identique. Encore qu’il ait ronronné assez longtemps ! Mais le coup de dés l’a sauvé. En ce temps là, j’avais déjà rejeté toute forme, cassé la métrique normale, y compris celle du vers libre. Je n’écoutais plus que le rythme saccadé des choses. Une porte qui grinçait pouvait m’inspirer au même titre qu’un homme sorti d’une aventure particulièrement dangereuse. Mais je n’aimais que le bruit d’Ouragan. Il me semblait que chacune de ses frappes décomposait le mot en cours d’impression comme sous l’effet d’une haute fusion. Je n’avais strictement plus rien à dire, j’écoutais. Mais un jour vint où je crachais un vrai filon d’or : j’éjaculai un texte différent de tout ce que j’avais écrit jusque-là : un crépitement de balles et une montée de hurlements étouffés. C’est par ce texte que je compris que je devais m’engager une fois pour toute dans la voie de la guérilla linguistique » (pp. 25-26). Cette guérilla linguistique dont l’auteur fait sa profession de foi est l’aboutissement d’un long cheminement qui a mené le jeune révolté contre toutes les formes d’autorité - pestant contre un Dieu aveugle qui a décimé en un instant toute la population d’une ville - à s’engager politiquement. Cet engagement va se traduire par la pratique systématique d’un terrorisme de la langue et de l’écriture. A l’instar de quelques illustres prédécesseurs comme Joyce ou Beckett, mais peut-être avec plus de violence, Khaïr-Eddine remet en cause toutes les règles classiques de construction du récit : il n’y a plus de distinction entre le discursif et le narratif, les genres sont mélangés (une même œuvre peut réunir à la fois un récit romanesque, une pièce de théâtre et de la poésie), il n’y a plus de continuité ni d’unité de l’espace et du temps, l’intrique elle-même est éclatée, les personnages sont presque toujours des êtres anonymes, désignés par des pronoms ou des qualificatifs.

L’exil L’écriture de Khaïr-Eddine est aussi obsédée par un autre thème : l’exil. C’est d’abord le départ forcé de l’enfant qui quitte le Sud et la mère. L’œuvre va constamment faire une place de choix au souvenir nostalgique du pays de l’enfance. C’est ensuite l’exil en France pour une perpétuelle vie d’errance. Il semble que l’auteur ait toujours nourrit un sentiment ambivalent envers ses origines. Ce Sud tant chanté dans son œuvre, il ne va jamais chercher à y revenir ou s’y installer. Comme tout déraciné, Khaïr-Eddine garde une image idyllique du Sud, de la culture berbère, mais en même temps, il plaint et déteste parfois ce que sont devenus les Berbères, leur culture qui dépérit, se folklorise et perd son âme. Le déracinement et l’errance perpétuelle sont très perceptibles dans son œuvre, au niveau de la forme (discordance et discontinuité du récit, émiettement des phrases jusqu’à l’incohérence) et du contenu (mouvement perpétuel et frénétique des personnages, succession rapide des lieux, voyages continuels dans le temps sans aucune chronologie apparente).

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Œuvre de Khaïr-Eddine Nausée noire (poésie), Londres, Siècles à mains, 1964. Agadir (roman), Paris, Seuil, 1967. Corps négatifs, suivi de Histoire d’un bon Dieu (roman), Paris, Seuil, 1968. Soleil arachnide (poésie), Paris, Seuil, 1969. Moi l’Aigre (roman), Paris, Seuil, 1970. Le Déterreur (roman), Paris, Seuil, 1973. Ce Maroc (poésie), Paris, Seuil, 1975. Un odeur de mantèque (roman), Paris, Seuil, 1976. Une vie, un rêve, un peuple, toujours errants (roman), Paris, Seuil, 1978. Légende et vie d’Agoun’chich (roman), Paris, Seuil, 1984. Mémorial (poésie), Paris, Seuil, 1991.

En livre de poche

Moi l’Aigre, Casablanca, Tarik Editions, 2002, 164 p. Une vie, un rêve, un peuple, toujours errants, Casablanca, Tarik Editions, 2002, 146 p. Le Déterreur, Casablanca, Tarik Editions, 2002. Légende et vie d’Agoun’chich, Casablanca, Tarik Editions, 2002.

Hicham Raji



  Com: j’ai eu la chance de rencontrer un soir- ou plutôt au petit jour, dans un bar du quartier saint germain à Paris l’écrivain Mohammed Khaïr- eddine ;il était seul accoudé au comptoir, face à un demi ; je l’avais aussitôt reconnu et je l’avais abordé, en tant que compatriote ; à l’époque, ce devait être en 1987, je n’avais rien lu de ses romans, à part quelques poèmes épars dans des revues littéraires et je lui avais témoigné mon admiration ; il semblait si seul, fatigué et triste ;on s’était échangés quelques bières, on avait parlé de Paris et d’Agadir ; je me rappelle encore très bien de son regard malicieux et pénétrant, de son costume bleu- marine et de ses cheveux noirs et lisses ; je voulais lui parler de littérature, de poésie, mais lui semblait préoccupé par la vie de tous les jours, par des soucis que je ne soupçonnais pas ; j’avais le sentiment de l’ennuyer ; on s’était salués et j’étais reparti vers le métro, le laissant seul dans ce bar encore désert... Quelque années après j’avais appris la nouvelle de son décès et cela m’avait profondément chagriné.

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