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15 mars 2006

Rachida Madani

Rachida Madani   

« Née en 1951 à Tanger, où elle vit toujours. Son premier recueil*, Femme je suis, avait résonné en son temps comme un prodigieux cri de guerre et d’amour. Le cri d’une femme, certes, mais surtout d’une poétesse de race qui venait jeter un pavé dans la mare de l’ordre littéraire ambiant. Poète des mauvais jours, selon sa propre expression, elle a creusé avec rage le mur du désespoir, ne sachant pas (ou sachant) qu’elle nous mettait ainsi "un soleil à portée de main". Vingt ans plus tard, elle revient avec un autre brûlot, Contes d’une tête tranchée. Un livre qui prend à la gorge et aux tripes et ne lâche le lecteur qu’une fois qu’il a bien assimilé la visée de Rachida Madani : faire en sorte que son cri rende "impraticable le chemin de l’oubli." »

Abdellatif Laâbi, La Poésie marocaine de l’Indépendance à nos jours, Anthologie, Éditions de la Différence, 2005, p. 161.

                    XII

« Le temps passe et lui emporte la moitié
du visage
tandis que dans l’autre
il lui reste si peu de mots
si peu d’images
qu’elle n’arrive pas à faire
un livre de pauvre.
Si peu de salive qu’à racler l’aride
sa voix sèche et se brise.
Perdu le rêve des mers hurlantes
montant çà l’assaut des palais de jade,
perdu par le sortilège des souhaits de
longue vie et de prospérité
pour Shahrayar.
Elle ne peut plus se lancer sur la trace
des renégats
elle ne peut plus avancer
elle ne peut plus dire si cela fait mal.
Elle ne sait plus si elle écrit à tâtons
où si les mots se jettent à sa face
elle ne sait plus avec quel bâton fouiller
quel espace.
Elle écrit en aveugle
et la peur l’accompagne. »


Rachida Madani, Contes d'une tête tranchée in Blessures au vent, Clepsydre/Éditions de la Différence, 2006, p. 133.

http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2006/02/rachida_madanil.html

Tu n’es pas venu au monde
pour voir tes eaux blanchir
dans les eaux blanches
d’un Bou-Regreg
ni pour contempler ton ombre décroître
sur les routes de détresse.
Prends feu à ma voix, frère
je détiens le privilège heureux
de semer l’orage.
Lève-toi et crie ta nuit
si tu oses
soulève-la au-dessus de ta tête branlante
et jette-la au sol
si tu oses
la nuit casse comme du verre !
puis laisse parler ton kif
tu as le bouquet prophétique
quand tu chantes les catastrophes…
Lève-toi frère
chaque soleil couché
est un homme mort.

Blessures au vent réunit les deux seuls recueils de Rachida Madani, introuvables au Maroc et en France : Femme je suis (1981) et Contes d’une tête tranchée (2001) – à propos desquels Abdellatif Laâbi, dans son anthologie La Poésie marocaine de l’Indépendance à nos jours, a écrit : « Femme je suis avait résonné en son temps comme un prodigieux cri de guerre et d’amour. Le cri d’une femme, certes, mais surtout d’une poétesse de race qui venait jeter un pavé dans la mare de l’ordre littéraire ambiant. Poète des mauvais jours, selon sa propre expression, elle a creusé avec rage le mur du désespoir, ne sachant pas (ou sachant) qu’elle nous mettait ainsi “un soleil à portée de main”. Vingt ans plus tard, elle revient avec un autre brûlot, Contes d’une tête tranchée. Un livre qui prend à la gorge et aux tripes et ne lâche le lecteur qu’une fois qu’il a bien assimilé la visée de Rachida Madani : faire en sorte que son cri rende “impraticable le chemin de l’oubli”. »

L’histoire
peut attendre

Une femme monte dans un train pour fuir sa ville et pour écrire. Assise dans le compartiment, papier et crayon à la main, ce sont des dessins qui surgissent : paysages qu’elle aperçoit par la fenêtre, personnes qui entrent ou qui sortent. Certains dessins naissent par hasard, d’autres par la seule « volonté » de la main qui dessine, tel cet homme assis à l’ombre d’un figuier, la femme à ses côtés, une plage, le chien, la mer. Autant d’ingrédients pour un récit qu’elle essayera d’écrire pendant le trajet. Et voici que les dessins se mettent à mener leur propre vie dès qu’elle s’assoupit et relâche sa vigilance. Aux paysages dessinés vont bientôt se substituer la plage de son enfance et les événements qu’elle y a vécus ; au visage de l’homme sous le figuier, va se superposer un visage connu, aimé même et qui fait remonter avec lui, du fin fond du passé, une interrogation lancinante : qui est Khadir ? Réalité, fiction, présent et passé se succèdent au rythme des secousses du train qui la plongent entre rêve et sommeil.
Dans ce roman singulier, qui est aussi un voyage initiatique autour du mythe coranique d’Al Khadir, la narration progresse en s’appropriant contes et poèmes, revenant sur elle-même comme si le récit pouvait se faire et se défaire à l’infini. C’est, sans doute, pourquoi – avec un petit ou un grand H – l’histoire peut attendre.

http://www.ladifference.fr/fiches/auteurs/madani.html

Le cri de Rachida Madani rejoint celui d'autres femmes de par le Maghreb et le monde. Elle écrit : " J'ai mal jusqu'à mon ombre projetée / sur l'autre trottoir ".
" Me voici à nouveau devant la mer
à fracasser des portes entières contre le roc
à mêler dans le même roulement d'amertume
le sable et la perle
dans les mêmes vagues brûlantes et métalliques
le jasmin de mon enfance et le hibou de l'enfer.
Me voici à nouveau devant la mer, courbée
sous un butin annuel de rancunes
de fatigues
de coqs égorgés pour rien
pour la prospérité d'un turban
qui depuis longtemps n'est
qu'un amas de poussière
ricanant sous la dalle
pendant qu'à l'ombre d'un figuier
femmes et bougies flambent
pour conjurer l'œil
la malchance
et le corbeau du désespoir
Pour une amulette moi aussi
j'ai triqué ma dent en or
le henné de mes paumes
et dégrafé mes paupières,
j'ai moi aussi regardé la lune
dans les yeux
en buvant des bols
du verbe liquide, silencieux et noir ?
J'ai suivi moi aussi du regard
les bateaux et les cigognes
qui partaient
mais nous avons toutes attendu
en vain
et en larmes
le père, le bien-aimé
le fils et le frère.
Mais la ville ouvre la gueule
de ses prisons
les avale avec son thé
et s'évente.
Mais la ville tire ses couteaux
nous taille un corps sans membres
un visage sans voix
mais la ville…
J'ai mal jusqu'à mon ombre projetée
sur l'autre trottoir
où mes derniers vers s'éparpillent
en petits morceaux de sels opaques
comme des larmes de glace.
Ma tête me retombe sur la poitrine
comme un obus
vu de près, mon cœur est un lac ".
Rachida Madani, " Femme je suis ", Inéditions Barbares,1981
http://www.culture-arabe.irisnet.be/raynaud1.htm

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