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Zighcult
12 octobre 2006

L'amour dans la poésie amazighe: étude sémantique

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L'amour dans la poésie amazighe: étude sémantique - Ayt Assou Salh

Ayt Assou Salh

(Suite)

(Suite)

«Ces fleurs sont vos fleurs et vous dites que vous ne les reconnaissez pas!» (Paul Claudel) L’amour constitue une thématique abondante dans la littérature amazighe. Il a toujours en lui cette magie mystérieuse qui fait que les aèdes le chantaient depuis des millénaires, ainsi que les romanciers, les nouvellistes et les cinéastes…

C’est pourquoi l’on se demande: peut-on, en amour, dépasser le simple nominalisme: l’utilisation magico poétique d’un verbe au sens indéchiffrable?
Que serait l’amour sans l’assistance de la rhétorique? et «combien de gens seraient amoureux s’ils n’avaient pas entendu parler d’amour?» (Baldine saint Girons).

Du reste, n’est ce pas que nous savons de ce terme/sentiment à partir des dires et écrits beaucoup plus que de nos expériences plus ou moins utiles?
Où débute l’amour et où s’achève s’il avait des frontières palpables?

Enfin, Freud écrivait, «l’on doit se mettre à aimer pour ne pas tomber malade, et l’on doit tomber malade lorsqu’on ne peut aimer.»

Le but de cette modeste étude et d’essayer de m’approcher de la vision de l’amedyaz amazigh à ce mystère de Tayri, un vocable polysémique en amazigh autant que dans n’importe quelle langue! Mon champ de travail sera la littérature amazighe et spécifiquement l’idylle classique qui est déjà assez vaste et diversifiée. Une poésie qui déborde d’amour profond; loin encore, pour un poète amazigh: celui qui ne sait parler tamazight est incapable d’exprimer son amour! (iniyas i wenna ur issin tamazight, awal n tayri ur-ten tessinm).
Ce sentiment est présenté par «imdyazen imazighen» sous diverses facette et qualificatifs; tantôt il est tel un venin qui rend la vie insupportable, au bien un impitoyable sentiment qui laisse la personne affectée à jamais, tantôt il se manifeste comme le seul remède, à l’effet d’une baguette magique sur l’amoureux, ou bien, il se présente comme une fatalité inévitable, une condamnation pour la personne qui le ressente…

A signaler que la poésie amazighe classique, orale qu’elle soit, est une poésie lyrique. Et c’est ça à notre avais qui l’a épargnée de la disparition totale face à «l’absence» de scribes. Le fait qu’elle soit chantée ne veut pas dire qu’elle perde de son rayonnement, de sa poéticité ou de sa profondeur.

«La poésie, c’est le chant intérieur» disait de Lamartine, c’est ainsi vue aussi par les aèdes amazighs. Cette caractéristique ne nous permet aussi de la qualifier d’une simple romance de facture simple à l’instar des chansons avec d’autres langues.

Elle est variée et se distingue par une forte présence de l’image et analogie; avec un style lyrique plein de rhétorique et métaphore. C’est pour cela qu’on va procéder à la sémantique pour saisir le sens et la relation significative souvent tacite entre les élément, parfois éloignés, formant ce qu’on appel l’image poétique.
Cette idylle classique se compose souvent d’un refrain et des vers «izlan», leur nombre se varie d’un poème à l’autre. Chaque «izli» comprend deux hémistiches dont le deuxième apporte la suite ou une réponse au premier, ils sont très liés sémantiquement qu’on ne peut les séparer ou remplacer l’un des deux.

Il se peut aussi que ces izlan ne se joignent pas au sens annoncé par le refrain, ettraitent en revanche des sujets disparates; par exemple, donner des enseignements, images et adages divers à partir des situations données. Cependant, on trouve aussi souvent des poèmes classiques où les vers s’unissent autour d’un seul thème, où chaque izli retrace un sentiment, une situation vécue, ou bien il donne une image de l’état dans lequel se trouve le poète.

Une autre caractéristique, celui de l’anonymat des poètes amazigh qui ont laissé ce legs considérable qui reste à présent sans auteurs. Pour cette problématique, le professeur M.Chafik donne une explication; la poésie chez imazighen est considérée comme un bien partagé et publique, ajoutons à cela leur humilité et leur réserve à toute prétention et allégation.

Tout d’abord, il y a un phénomène curieux qui nous interpelle depuis un certain temps dans cette poésie et qui mérite d’être médité. Ce fait est la présence du mot «foie» (organe volumineux connu), sa signification dépasse la fonction digestive et métabolique pour s’étendre et recouvrir le sentimental, avec ou sans le cœur, ce dernier comme tout le monde sait se présente comme le siège imaginaire des désirs, des sentiments et des pensées secrètes dans la culture de beaucoup de civilisations, jusqu’à ce qu’il devienne même le symbole de l’amour, chez imazighen aussi.
Mais à cela s’ajoute le foie, et parfois c’est au sein de lui que l’amoureux/le poète amazigh sente le bonheur ou, surtout, la douleur de Tayri, Amaryg, Taghufi, Tawda…etc. une simple comparaison avec d’autre littératures, en l’occurrence Arabe et française, révèle qu’il s’agit là d’un trait caractéristique singulier de la culture amazighe. Donner des raisons à cela me dépasse, c’est à l’anthropologie d’en porter les réponses convaincantes. En tout cas, l’emploi du «foie» dans cette culture comme concept à connotation sentimentale est très abondant.

Voila à présent quelques exemples qui montrent cette confusion faite chez imazighen entre le foie et le cœur concernant les sentiments:
-Tamawayt: Awa ad allegh ayenna yulla ugyujil xef mays yuâer ucewwadv n tasa nebdva d usmun inu.
-Tamawayt: Ata niwey ayuggu nnagy n taddart ira usmun tawada lla tewabbay tasa inew.
-Tamawayt: Iwa yac a yema ur da tsalt digyi ur ac icewwidv umaryg inew tasa, ur digi theyyirvt.
-Izli: Itvfar wul agheddar, awa mghar agh zrin, tasa new tsul trat.
-Izli: A yayed ibbin tasa yagelttent g ca g-tsufa, a yahyudv nna itvffurn unna ur-ten irin.
-Izli: Ur i nfiâ ughrib a yemma mghar da trugh, tasa tezrid irzvan i yezvri inew qqa’d iâmun.

En fait, les démonstrations sont nombreuses, il suffit d’être un peu attentif en écoutant les chants classiques, surtout, ici au Maroc ou bien en Algérie pour que vous en entendiez abondamment.
Les marocains et algériens, qui ont perdu l’usage littéral de leur première langue, dits «arabophones» emploient «lkebda» aussi dans leur Darija pour exprimer la même chose, précitée, en amazighe dans leur chant comme dans leur vie sociale.
Ce qui prouve, et les exemples ne manquent point, que si même l’on arrive à substituer les mots d’une langue par ceux d’une autre, on arrivera jamais à décharger ces mots de leur charge émotionnelle et culturelle première. Une langue quelconque est une œuvre humaine, elle restera à jamais marquée par son initiateur et son milieu. On signale, enfin, que ces idylles, que nous analyserons, sont recueillies et transcrites par nous même à partir des enregistrements audio.


Voici à présent une partie d’un poème pour débuter notre analyse:

Awa max a yul-inew ad tetvfurt unna ur-c irin
Iwa a tittv-inew cemm ayd issaghen digyi lâafit
Cemm ayd-as iteggan abrid i ssem ad ikcem s-ul.

Le poète reproche à son cœur d’insister sur un amour inutile de quelqu’un qui le rejette, un amour qualifié de lâafit (feu) et puis de ssem (venin), pour lui, c’est son œil qu’en est le responsable, ce sont ses yeux qui permettent l’infection de son cœur brûlé et cautérisé.
En fait, le choix de ssem et lâafit pour designer son amour non réciproque devenu tout simplement une souffrance insupportable n’est pas stochastique. Pour le poète nul ne peut décrire sa peine à part ces deux termes, et si on les examine on va comprendre bien ce que dont il souffre:-Ssem: substance, toxique, mortelle, dommageable pour la santé, perturbant…- Lâafit: combustion, destructrice, flamboyante, dommageable, douloureuse…

L’on dit souvent que l’œil est la porte par laquelle l’amour entre au cœur, ce dernier une fois occupé ne peut distinguer entre un amour réciproque etce qui ne l’est pas. Le poète éprouve un amour non réciproque donc douloureux, impossible, mort de naissance, épuisant et nocif qui portepréjudice à son porteur, tel un poison pris par quelqu’un ou bien comme le feu qui enfante des brûlures et douleurs intenses et insupportables que ressent un être cautérisé. Il s’agit là en fait d’une métaphore à travers laquelle le poète espère exprimer sa peine à l’auditoire. Dans un autre lieu le poète devient très vulnérable, une proie face à l’amour ou plutôt à «Amaryg» de son bien aimé absent.

À signaler d’abord que «amaryg, pl: imurayg» (imuriyg aussi) signifie deux sens au moins; imazighen de Souss l’emploient pour désigner le chant/ la chanson. Et la deuxième qui nous intéresse ici est la nostalgie ressentie envers quelqu’un loin/absent, qu’on aime beaucoup, (chawq, pluriel achwaq en arabe). Même la nostalgie comme traduction de amaryg ne semble pas exacte de fait que l’emploi de ce mot et lié souvent au quelque chose du passé en français, et ce n’est pas le cas en amazigh.
1-Yac ighezzif wass ghifi, hat ighezzif yidv ghifi Iwa teddut a’yma tezrit imurayg nnec ar-i neqqan ul
2-Awa ayd ac-ican imurayg inew akk-i semraran righ ad taremt a wa ynhubba-new aya ur tannit
3-A yatbir mghar ac ighuda lhal iherra yac Iggulla lbaz kkat-nec a dday-c annin gher acal.
Les souffrances et les douleurs rendent le temps plus lent, au contraire des joies.
C’est le cas de notre poète ici qui se plaint de la longueur inhabituelle de ses jours et surtout les nuits.
La raison est bien «imurayg» de son «imiri»(aimé), qui est parti, apparemment indifférent, en laissant son partenaire seul tourmenté par l’amour et beaucoup d’imurayg.
C’est pourquoi le malheureux poète souhaite et aime bien le voir à sa place pour qu’il déguste un peu de sa peine.
Cependant ce poète a touché l’apogée et le charme de la poésie au dernier ver quand il a réussi à personnifier son état en procédant à l’analogie à travers l’image poétique, avec le pigeon et le faucon (amedda en amazigh).

Expliquons: d’un coté il y a le poète et amaryg, de l’autre, en parallèle, se présentent le petit pigeon et le faucon:
-Le poète: être animé, Homme, adulte, amoureux, délaissé, vulnérable, victime…
-Amaryg: sentiment, omniprésent, tristesse, irrésistible, inévitable…
-Le pigeon: être animé, oiseau, pacifique, vulnérable, proie…
-Le faucon: être animé, oiseau, rapace, redoutable, dévorant, impitoyable…
Si on procède maintenant à l’analogie, on pourra constater facilement que le poète est incarné par le pigeon, et imurayg par le faucon!

Cet amoureux qui est le poète est sûr d’une chose:
- même s’il oublie un jour ses douleurs et même s’il faisait mine de bien être
- à savoir sa vulnérabilité face à sa nostalgie et son amour devenu une fatalité à vivre avec.
Pareillement au pigeon qui se reconnaît éternellement comme une proie de l’épervier. Le poète condamné d’aimer à jamais, a bien réussi à personnifier l’abstrait, en le sortant de ce qui est sentimental relevant de l’inaperçu, au monde de sensualisme en le matérialisant sous forme d’un élément de son environnement sauvage.
Le but en était en premier plan d’émouvoir son aimé qui, semblablement, n’imagine pas la délicatesse de la situation (righ ad taremt aya ur tannit). Lequel élément choisi avec précision est bel et bien le faucon avec tout ce qu’il symbolise; à savoir la force, la cœrcition, la hauteur et le pouvoir, qui survole au ciel en épiant ces proies au sursol, face à un être terrestre, faible, paisible et liant ce qui est le pigeon représentant le poète.
La loi inchangeable de la nature a fait que ce dernier reste un point de mire préférée pour le premier. De ce fait, ce pigeon n’a qu’un seul choix; à savoir réadapter sa vie avec cet état de chose imposé à lui.
Alors, le poète n’a aussi que de vivre et s’habituer, à vie, avec l’amour qu’il porte à un quelqu’un qui l’a abandonné.

Rousseau disait que «La seule punition de s’être aimé est l’obligation de s’aimer à jamais», c’est vrai, en moins, pour l’un des deux.
Ce qui est frappant de plus, dans ce choix d’épervier est le fait que ce dernier, selon ce que l’on dit s’attaque en premier lieu au cœur de sa proie comme le fait exactement le sentiment d’amour ou d’amaryg qui fait mal au cœur d’un amant (tezrit imurayg nnec ar-i neqqan ul).

À mon avis, le poète, par ce ver, atteint le paroxysme de l’éloquence et la métaphore.
1 Hawel i-weghrib a wa-nn yallan,Awa tessecktit-id unna ira wul.
2 Iwa gyigh tin ughanim ur digyi adif,A yazwu ur digyi may tessergyigit.
3 Bu ttaksi d-iddan as’in wa-enhubba,Urack samhegh is-i tgyit d-awujil.
4 A yasmun ur id is-ik yurew baba,Ul-inew ac iran ul-inew ac ihubban.

Le poète ici (dans le premier ver qui constitue le refrain) implore celui qui sanglote prés de lui comme une madeleine, de s’arrêter, car ça lui rappelle son aimé qu’il l’avait abandonné dans un état déplorable dessiné dans le deuxième ver avec un joli style lyrique sublime.
Il est tel un roseau impuissant sans (moelle) face au vent. Voyons d’abord les éléments employés dans cette image:
-Le roseau: une plante à haute taille qui pousse sur les rivages des rivières, des rigoles ou tout simplement au bord de l’eau stagnante ou courante, parce que cette plante a besoin toujours de l’eau.
Il arrive parfois avec la sécheresse que cette plante s’endormit comme si elle est morte, mais une fois la pluie tombe, et l’eau s’écoule de nouveau, elle renaissait et s’épanouissait. Cependant la chose qui caractérise beaucoup le roseau est sa nature creuse dedans, il n’a pas de moelle. De se fait il vacille par le moindre courant d’air, à fortiori un vent, ou plus encore, avec une tempête. Et si il peu tenir les coup c’est grasse à l’eau dont il puise l’énergie minimum afin de résister. Malgré cela il ne peu pas rester debout droit.
-La moelle:une substance très riche, précieuse pour son rôle vital, car elle assure l’immunité des être en tant qu’appareil producteur de globules pour le système immunitaire du corps. De ce constat, adif (aduf) reste indispensable pour la survie des êtres; un corps sans immunité devient une proie faciles pour les maladies de toutes sortes jusqu’au son anéantissement totale, au contraire, bien sur, des corps qui jouissent de leur immunité car leur moelle n’est pas affectée.
-Le vent: courant d’air en mouvement horizontal souvent violent et ravageur, qui emporte ou bouleverse tous ce qu’il trouve sur son chemin. C’est une force naturelle que l’on ne peut pas contrarier. Mais qu’on peut éviter on se mettant à l’abri. Ça veut dire pour le roseau être immunisé, et pour l’être, il faut avoir de la moelle!

Question: qu'est ce que tous ça peut avoir avec notre poète?
Voilà la combinaison: Le poète compare explicitement son état à celui du roseau (gigh tin ughanim). Ce roseau est dépourvu d’immunité et ne peut pas se tenir debout en constance devant les vents par manque de moelle.
Alors, le poète également est fragile dans une état critique puisque son aimé l’a laissé (vers 1 et 3). Donc, sa "moelle" est bel et bien son amour et la compagnie de son aimé. Sans lui, il devient incapable, il est seul et faible face à son chagrin, et impuissant face à l’abandon, pire encore, face aux souvenirs etnostalgie qui le tourmentent tel ce que fait le vent au roseau.
C’est pourquoi dans le deuxième hémistiche, du même ver, il implore le vent en s’incarnant le roseau de s’arrêter. Déjà angoissé par les souvenirs, il ne supportera, de plus, que «Taghufi» et «amaryg» le malmènent.

(source illustration)

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