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5 novembre 2006

LES ORIGINES PREHISTORIQUES DES TOUAREGS


LES ORIGINES PREHISTORIQUES ET PALEOBERBERES DES TOUAREGS A TRAVERS L'ART
RUPESTRE SAHARIEN

par Malika Hachid, Préhistorienne

Pour remonter aux origines préhistoriques et paléoberbères du peuple
touareg, les spécialistes font appel à deux grandes catégories de sources :
celle de l'archéologie et celle de l'histoire de l'Antiquité. Les sources
archéologiques sont la paléo-anthropologie (l'étude des restes osseux), les
monuments funéraires et l'art rupestre. Les sources historiques disposent de
l'iconographie égyptienne et des témoignages des auteurs gréco-latins.
Les architectures funéraires sahariennes se comptent par milliers, mais
malgré l'excellente étude réalisée sur celles du Sahara méridional
(Niger)(F.Paris) et secondairement celles du Tassili des Ajjer, celles-ci
n'ont pas encore livré tout leur potentiel de connaissances, notamment sur
le type antropologique physique des anciens Berbères qui y ont été inhumés.
Les sources paléo-anthropologiques ne sont certes pas négligeables dans la
région du Maghreb où des nécropoles ont livré quelques centaines de
squelettes entiers de Mechtoïdes (Hommes des sites éponymes de
Mechta-Afalou, en Algérie) et de Proméditerranéens Capsiens (Hommes du site
éponyme de Gafsa, en Tunisie). Mais, au Sahara où les collections sont plus
réduites, éparses ou en attente d'analyses, il est encore difficile d'avoir
une vision claire des ancêtres possibles des Berbères quoique que nous
sachions déjà que, là aussi, le peuplement des temps préhistoriques se
partageait entre Mechtoïdes et Protoméditerranéens.
Au Sahara central, dans les régions où le peuplement touareg s'établira
(Adrar des Ifoghas, Ahaggar, Tassili des Ajjer, Tadrart Acacus et Tadrart
méridionale, Aïr), la reconstitution de ce long cheminement historique et
l'approche des lointains ancêtres des Touaregs doivent presque tout à
l'archéologie, notamment l'art rupestre. Sans cet art, nous ne saurions que
peu de choses sur les Premiers Berbères, sur leur apparence physique et leur
vie quotidienne, leurs sociétés ou leur culture matérielle.
Avec l'Antiquité, les témoignages écrits des auteurs gréco-latins (Hérodote,
Strabon, Pline, Procope, Corippe…), ainsi que des éléments historiques
émanant du Proche-Orient, du monde égéen, des empires carthaginois et
romains, mais aussi de l'iconographie de l'Egypte prédynastique et
pharaonique vont apporter, à leur tour, une somme de connaissances ;
celles-ci, souvent, recoupent les données archéologiques.
Au Sahara central, les premiers Berbères apparaissent dès le Néolithique, la
dernière et la plus brillante des civilisations du Sahara. On les appelle "
les Protoberbères bovidiens " et leurs premières traces se manifestent vers
7 000 ans environ. Ils vont évoluer en populations que l'on désigne sous le
nom de " Paléoberbères ", ces Libyens et Garamantes de l'Antiquité. Ils
correspondent, dans le temp,s au début de l'Antiquité. D'autres vagues de
migrations berbères se succèderont durant la période médiévale et moderne,
notamment les grandes tribus chamelières Sanhadja qui fuient les conquêtes
musulmanes pour s'établir au Sahara. Elles vont se sédimenter à la souche
préhistorique et antique pour constituer la trame du monde touareg tel que
nous le connaissons aujourd'hui. Ce cheminement historique millénaire
résistera à toutes les adversités dont la plus éprouvante fut celle de
survivre à l'âpreté du désert où le choix de rester libre guida ces nomades
irréductibles.
C'est dans un Sahara encore vert, un foyer innovateur de la pensée et des
techniques, que les Protoberbères bovidiens apparaissent, bénéficiant des
derniers millénaires humides qui verdissent encore cette vaste région. Les
plus anciens témoignages de la Berbérité sont donc des images, des fresques
peintes et gravées datant des derniers millénaires de la préhistoire. La
paléoclimatologie, les sites archéologiques et la faune sauvage reproduite
par les peintures et les gravures montrent que le Sahara des Protoberbères
se partageait entre la savane et la brousse, un paysage sur lequel régnait
un climat de type sub-tropical, qui va, néanmoins, assez vite s'assécher.
L'art rupestre et les ossements animaux découverts en fouille permettent de
reconstituer toute une faune sauvage : éléphants, girafes, autruches,
antilopes oryx et gazelles. Si le fleuve du Tafessasset avait gardé ses
eaux, le désert n'aurait pas investi le Sahara : il serait devenu le Nil des
Protoberbères dont le destin aurait été différent de celui d'avoir à lutter
sans relâche pour la survie. Ils sont les riches héritiers de ce prodigieux
progrès humain que fut la civilisation néolithique du Sahara, une des plus
anciennes du monde, aussi ancienne et innovatrice que celle du fameux
croissant fertile au Moyen-Orient. Quand, il y a 7 000 ans, les aristocrates
protoberbères habillés de leurs beaux atours occupaient le Sahara, le nord
de l'Europe découvrait à peine la poterie et l'Egypte n'était ni le
territoire unifié, ni le pôle fondateur qu'elle deviendra deux milles ans
plus tard. Comparés aux autres grandes ethnies de ce Sahara préhistorique,
les Protoberbères dénotent, car ils ne donnent pas l'impression de simples
communautés de pasteurs-chasseurs, mais d'une véritable société construite
autour d'usages, de conventions et de valeurs visiblement élaborés. Dans
leur art, les signes extérieurs de l'abondance ne peuvent tromper. C'est un
peuple civilisé comme le manifeste le soin apporté à la coiffure, au
vêtement et à la parure, l'élégance de la pose et du geste, la qualité des
relations humaines dominées par un haut niveau de convivialité où les scènes
de palabres prennent l'allure de cérémonies de cour. On peut considérer
leurs peintures comme l'un des points culminants de l'art rupestre saharien.
Enfin, ces images préfigurent le statut privilégié de la femme touarègue.
La société protoberbère était déjà constituée de plusieurs groupes se
différenciant par la manière de se coiffer, de s'habiller et se peindre le
corps et peut-être même de parler le berbère avec chacun ses
particularismes. Elle se différenciait également par des traditions
funéraires diversifiées, chaque groupe ayant son type de sépulture et de
monument cultuel.
L'art préhistorique de cette Berbérité naissante révèle déjà une des
caractéristiques de cette ethnie : une inclination à la valeur guerrière et
à la noblesse, étroitement liées au prestige social. On peut imaginer sans
beaucoup se tromper que ce peuple était déjà porté par une valeur
fondamentale : le code de l'honneur. C'est avec les Protoberbères que va se
mettre en place l'appareil social et idéologique qui génèrera la
civilisation paléoberbère puis la civilisation touarègue comme en témoignent
les thèmes privilégiés de leurs fresques et le gigantisme de leurs monuments
funéraires.

Les Protoberbères bovidiens sont des essentiellement des pasteurs qui
élèvent des bœufs (d'où leur nom), des chèvres et des moutons. Ils
excellaient à la chasse. Semi-nomades, leurs habitats étaient diversifiés :
courtes haltes quotidiennes autour d'un foyer, vastes abris-sous-roche
réoccupés à chaque saison, campements de plein air avec des cases pour un
plus long séjour. Ils confectionnaient des nattes qu'ils utilisaient comme
velum de leurs cases de forme circulaire. Des peintures rupestres
représentent des femmes protoberbères mettant en place ces cases exactement
avec les mêmes matériaux et les mêmes gestes que les femmes touarègues
d'aujourd'hui.
La cueillette était un important appoint dans leur alimentation, notamment
celles des graminées sauvages dont ils faisaient une abondante consommation.

Disposant de vastes champs de graminées faciles à cueillir, ces hommes
bien que connaissant l'agriculture, ne semblent guère y avoir eu recours,
car les traces de ces activités sont très ténues dans les fouilles
archéologiques (pollens, graines). Le quotidien de ces Protoberbères n'était
pas fait que de corvées : ils avaient leurs loisirs, leurs jeux ; il
pratiquaient des cérémonies et des
rituels que l'on retrouve, pour certain d'entre eux et de manière identique,
dans les traditions touarègues.
Les Protoberbères ont un art très dynamique et libre : l'agitation des
campements, les compositions très animées de rencontres et de palabres, de
chasses très mouvementées, de divertissements, danses et jeux acrobatiques,
les scènes d'échange de plumes -un geste d'hospitalité et de courtoisi, ou
une sorte de reconnaissance de statut-, les réunions animées de palabres et
de discussions, le défilé des troupeaux sous la houlette du berger…tout est
toujours et partout en mouvement.
Les femmes protoberbères ont des formes opulentes et sont très élégantes. On
les voit installer le campement, recevoir les hôtes d'importance et leur
proposer de désaltérer ; elles ont la responsabilité du troupeau et de la
traite et elles participent à la chasse. Elles sont le plus souvent vêtues
d'une robe, avec, parfois, dessous, un pantalon ; sur cette robe, elles
portent une peau de bête nouée autour de la taille. Cette peau prendra une
importance majeure avec les Paléoberbères de l'Antiquité. Hérodote,
historien grec qui écrit au Ve siècle avant J.-C., nous apprend que les
Grecs ont emprunté aux femmes libyennes la peau de chèvre, sans poils et
teinte en rouge, et qu'ils en ont fait l'égide de la déesse Athéna. Cette
égide annonce un autre vêtement, ce pan de tissu que les femmes de certains
groupes berbères nouent, aujourd'hui encore, autour de la taille et que l'on
appelle " fotta " chez les kabyles (Algérie). La linguistique confirme que
la racine berbère RYD " chevreau " est peut-être à l'origine du mot grec "
égide " (aigis, aigidos), " peau de chèvre ", attribut de la déesse Athéna
(S.Chaker).
Les hommes protoberbères sont fins et élancés. Ils vont souvent torse nu,
une jupe pagne touchant aux genoux, parfois fendue sur le devant. Ils
portent aussi une peau de bête autour des reins, ou attachée plus haut, au
niveau des épaules, comme une cape. Ces capes manteaux ont parfois un
capuchon et on pense, immédiatement, au " burnous " de nos Berbères
montagnards. C'est exactement ce vêtement, confectionné dans du cuir, que
portaient, il n'y a pas longtemps encore, les Touaregs de l'Aïr. Il existe
des habits bien plus riches et élaborés, avec foison de volants, festons,
effilochures, passementeries, d'accessoires divers accrochés ça et là, une
richesse vestimentaire qui est celle des tenues d'apparat. Les hommes et les
femmes portaient des toques garnies de plumes quand celles-ci n'étaient pas
fixées dans les cheveux.
C'est avec les Protoberbères qu'apparaît pour la première fois un trait
culturel fondamental que nous n'hésitons pas à considérer comme le plus
ancien témoignage de l'identité ethno-culturelle berbère au Sahara, un trait
que les Touaregs ont conservé. Il s'agit du port du double baudrier : il
s'agit de deux cordons croisés sur la poitrine puis attachés autour de la
taille. Chez les Touaregs, on les nomme les elmejdûden (en tamâhaq) : le
baudrier croisé symbolise l'action et la valeur guerrière et étaient appelés
" cordons de noblesse " par les explorateurs et militaires européens du XIXe
siècle.

C'est avec les descendants des Protoberbères bovidiens, les paléoberbères
Libyens que le baudrier prend toute sa signification guerrière. Sa
figuration dans les peintures égyptiennes tend à montrer qu'il pouvait avoir
une signification encore plus importante : porté par les hommes, les femmes
et même les enfants, il pouvait être considéré comme une sorte de " nous "
collectif exprimant une véritable identité ethnique. Chez les Protoberbères,
ce baudrier entre dans la composition de scènes reproduisant un rituel lié
au combat et à la chasse. Avec les Touaregs, le baudrier croisé entre
également dans l'initiation des adolescents au combat comme le révèle la
fête de la Sebiba de Djanet (Algérie). Ce sceau identitaire de la Berbérité,
comme l'égide d'Athéna empruntée par les Grecs, auront donc traversé près de
7000 ans !
Les peintures protoberbères représentent généralement une classe sociale au
statut social privilégié ; les caractéristiques de ce statut sont aisément
identifiables : il s'agit des peintures et des tatouages corporels, des
plumes dans les cheveux, du baudrier croisé, du bandeau frontal, du bâton de
jet que les personnages tiennent à la main, arme de la bravoure et l'emblème
de l'autorité. Ces individus sont représentés systématiquement associés à un
mouton dans des scènes où les qualités physiques, compétitives et guerrières
sont mises en relief ; on y voit d'autres armes comme le javelot, l'arc et
plus rarement un petit bouclier. Tous ces éléments culturels constituent des
instruments de valorisation participant à la reproduction des élites
sociales.
La pratique du tatouage et de la peinture corporelle chez les Paléoberbères
de l'Antiquité représentait le signe extérieur de l'autorité et de la
noblesse. Elle était déjà largement en usage chez les Protoberbères dont le
corps est fastueusement peint, jusqu'au visage. On voit apparaître dans
cette parure corporelle, ainsi que le décor des vêtements, de nombreux
motifs géométriques : ils annoncent les signes et symboles caractéristiques
de l'art berbère.
Dès l'extrême fin du VIIe millénaire BP. et le VIe millénaire BP., les
souverains et dignitaires protoberbères se font enterrer dans de
prestigieuses sépultures. Il s'agit d'une architecture de tombes et de
sanctuaires monumentaux construits en pierres sèches. Au Sahara méridional
(Niger) où des fouilles systématiques ont été entreprises, si on a découvert
de nombreux squelettes, le mobilier funéraire reste rare, les poteries
exceptées. Dans l'état actuel de nos connaissances, l'art rupestre reste
donc l'unique document qui se prête à la reconstitution de la culture
matérielle des Protoberbères bovidiens (ainsi que des Paléoberbères
d'ailleurs).Ces sépultures monumentales sont l'expression d'une idéologie du
pouvoir et le reflet d'une hiérarchie sociale au sommet de laquelle
régnaient les membres de lignages dominants. La grande variété typologique
des architectures funéraires et leur régionalisation reflètent la structure
du
peuplement protoberbère puis paléoberbère, chaque groupe faisant usage d'un
type de tombe précis, parfois pour marquer son territoire. Cette
régionalisation révèle donc l'existence de véritables tribus et
confédérations, dont les particularismes n'effaçaient pas les traditions
communes. C'est ainsi que seront organisées, plus tard, les sociétés
touarègues. L'orientation systématique de ces monuments funéraires vers
l'Est correspond à un culte des astres sur lequel nous reviendrons.
Aux Protoberbères bovidiens de la préhistoire et du Néolithique succèdent
les Paléoberbères de l'Antiquité ; on les appelle Libyens. Ils possèdent des
chevaux et des chars, des armes et autres objets en métal et inventeront une
écriture. Ils sont révélés par l'art rupestre saharien et l'iconographie
égyptienne vers la fin du IVe millénaire avant J.-C.
Au cours de l'Antiquité, les Grecs faisaient la distinction, en Afrique,
entre les peuples indigènes, les Libyens et les Ethiopiens, et les peuples
étrangers, c'est-à-dire les Phéniciens et eux-mêmes. Etre Libyen signifiait
dont être africain et blanc, mais non égyptien. Les Libyens orientaux, qui
vivaient dans les régions situées depuis le Delta du Nil jusqu'à la
Marmarique et dans tout le Désert Libyque, étaient organisés en tribus et en
grandes confédérations, chacune ayant un nom. Parmi les plus importantes se
trouvait celle des Rebou ou Lebou, qui est très tôt mentionnée par les
chroniques égyptiennes par les consonnes " R B W ". Le terme est repris par
les Grecs qui en firent usage pour désigner le continent africain (comme le
monde le connaissait à l'époque) ; le premier ethnonyme des Berbères, "
Libyens " fut donc celui de l'Afrique, " Libye ".

Les Paléoberbères du Sahara que nous appelons donc les " Libyens sahariens "
sont les cousins et voisins des Libyens orientaux ; ils sont contemporains
des premières civilisations historiques de la Méditerranée comme l'Egypte,
Mycènes, Crète, Carthage, Grèce et Rome, Byzance pour ne citer que les plus
proches. Ces Libyens ont le plus souvent été présentés comme des peuples
passifs hors du champ de l'histoire, sauvés de l'oubli par les témoignages
écrits des autres, alors qu'ils ont contribué à écrire celle-ci en
Méditerranée.
Dès la préhistoire, les Libyens orientaux et les Egyptiens furent en contact
à travers le fracas des armes et des batailles (Prédynastique, fin du IVe
millénaire avant J.-C.). Ces audacieux voisins des pharaons comptaient
quatre grands groupes : les Temehou, dans le désert, le long de la rive
occidentale du Nil, les Rebou ou Lebou, les Tehenou et les Meshwesh, sur les
côtes de la Méditerranée, depuis le Delta du Nil jusqu'à la Marmarique, la
Tripolitaine et la Cyrénaïque. On sait que des groupes libyens vivaient dans
le Delta, le long du Nil et dans les oasis du Désert Libyque ; ils
contribuèrent ainsi au peuplement de l'ancienne Egypte. Les grandes tribus
et confédérations libyennes, seules ou alliées aux Peuples de la Mer,
s'attaquèrent plus d'une fois aux pharaons, constituant un danger permanent
sur la frontière occidentale de cet empire.

C'est au Nouvel Empire (notamment de 1307 à 1070 avant J.-C.), que la menace
des Libyens orientaux fut la plus grande : alliés aux Peuples de la Mer
venus de Lycie, d'Etrurie, de Sicile, de Sardaigne, d'Asie Mineure (sous la
poussée d'invasions indo-européennes dans les Balkans qui les fait aboutir
aux côtes africaines et débarquer en Marmarique, en transitant par la
Crète), ils vont faire trembler la puissante Egypte des pharaons. Au cours
du règne de Mineptah (1224-1214 avant J.-C.), l'Egypte doit faire face à une
formidable coalition des Peuples de la Mer et des Libyens orientaux avec les
tribus des Lebou, des Temehou, des Meshwesh et des Kehaka. C'est un chef
libyen, Meghiey, fils de Ded, roi des Lebou, qui commande les coalisés dont
le nombre s'élève à 20 ou 25 000 guerriers. Que ce soit Meghiey qui fut
choisi pour diriger cette impressionnante coalition prouve la puissance de
ces Libyens, leur capacité à s'organiser et à s'attaquer à l'un, sinon le
plus grand empire de la Méditerranée antique. Le fait que les attaquants
libyens soient de véritables immigrants, des tribus entières d'hommes, de
femmes et d'enfants, transportant avec eux tous leurs biens, montre qu'ils
fuyaient l'aridité de leur pays pour l'abondance de la vallée du Nil.
L'iconographie égyptienne a abondamment représenté les Libyens orientaux,
notamment leurs rois. Ces souverains sont vêtus de la tunique royale nouée
sur l'une des deux épaules. La cape des Libyens représentés sur les rochers
du Sahara (Tassili des Ajjer, Ahaggar, Tadrart Acacus et méridionale) est
identique à la tunique des Libyens orientaux des fresques égyptiennes. Comme
eux, d'ailleurs, ils portent le baudrier croisé et les plumes dans les
cheveux. Libyens sahariens et Libyens orientaux faisaient partie de la même
grande famille des Libyens de l'Est (occupant les territoires de la Libye,
la Tunisie et la région occidentale de l'Egypte actuelles), eux-mêmes
cousins des Libyens occidentaux (habitant les régions de l'Algérie et du
Maroc actuels).
Le contexte socioculturel des Paléoberbères offre de nombreuses similitudes
avec les Touaregs d'aujourd'hui, à tel point que nous ne pouvons qu'admettre
que leurs lointains ancêtres -les Protoberbères bovidiens du Néolithique,
puis les Libyens sahariens des débuts de l'Antiquité- constituent assurément
la souche la plus ancienne du peuplement touareg.Les souverains des Libyens
orientaux portent sur la tempe la " tresse berbère ", une coiffure
caractéristique que les explorateurs européens, abordant le pays touareg au
XIXe siècle, ne manqueront pas de signaler (par exemple Heinrich Barth en
1851 chez les Touaregs de l'Aïr, au Niger). D'autres fois, ils portent sur
la poitrine le fameux baudrier croisé ainsi qu'un collier à pendeloque.
Comme les Protoberbères, leur corps est orné de nombreux tatouages. Ces
tatouages et les capes décorées des Libyens orientaux reproduisent les
motifs caractéristiques de l'art géométrique berbère, comme le triangle, le
losange, la ligne brisée ou la croix. Parmi ces tatouages, on identifie le
symbole de la déesse Nit ou Neith. Tatouages et plumes sont réservés aux
représentants de l'échelle sociale la plus
élevée, comme le chef de la tribu des Rebou qui, figuré avec ses guerriers,
est le seul de son groupe à être tatoué et à porter deux plumes, symbole du
plus haut niveau de chefferie. Ces souverains ont le front ceint d'un
bandeau frontal comme, plus tard les rois numides figurés sur les monnaies.
Ils portent des bracelets aux avant-bras à l'instar de leurs descendants
touaregs. Dans l'art égyptien, les souverains libyens ont les yeux foncés ou
bleus, une courte barbe et portent des anneaux aux oreilles. Le chef de la
tribu avait un pouvoir héréditaire. Chez les Alitemnii, on choisissait comme
chef le plus rapide, et, pour l'assister, le plus juste. On alliait ainsi
force et jeunesse à l'expérience et la sagesse. Celui-ci était assisté d'un
conseil. La société semble avoir été structurée selon des
valeurs aristocratiques où le roi, qui deviendra un ancêtre héroïsé,
constitue la valeur suprême.
La période paléoberbère de l'art rupestre saharien qui correspond à
l'Antiquité est constituée de deux phases. La première, la plus courte est
celle des Libyens sahariens ; la seconde n'est qu'un simple continuum des
caractéristiques socioculturelles de la première, avec toutefois des
éléments nouveaux d'une importance capitale : l'apparition des métaux et des
premiers signes d'écriture. Parmi les peuples paléoberbères, l'entité
saharienne la plus puissante, avec celle des Gétules, sur laquelle nous
avons le plus de renseignements historiques, est celle des Garamantes.
Tacite (historien latin, Ier-IIe siècles de notre ère) disait de ce peuple
qu'il constituait " une nation indomptée ". Seul état organisé de l'Afrique
intérieure au sud des possessions carthaginoises et romaines, les Garamantes
représentaient une entité régionale considérée comme un véritable royaume
dans la littérature gréco-romaine, un centre de pouvoir à la fois politique,
économique et religieux. Nous avons donc choisi ce nom, en guise de terme
générique, pour désigner les hommes et les femmes de la seconde phase de la
période paléoberbère de l'art rupestre saharien, descendants directs des
Libyens sahariens.
Dans l'art rupestre, les personnages garamantiques portent une tunique en
cuir, tombant à mi-cuisse et serrée à la taille qui leur donne une allure de
diabolo; c'est la raison pour laquelle les spécialistes les ont aussi
appelés " les bitriangulaires ". Comme le baudrier croisé, cette tunique en
cuir a eu une longévité historique remarquable : ce vêtement en cuir souple
s'est conservé jusque chez les Touaregs, chez les Isseqqamaren de l'Ahaggar
par exemple, et l'on peut en voir un bel exemplaire exposé au musée du Bardo
à Alger.
Hérodote nous présente le Sahara comme un désert infernal inhabité et si on
devait s'en tenir à l'histoire, sans les peintures et les gravures rupestres
d'une part, et les monuments funéraires d'autre part, les Libyens sahariens
n'auraient jamais existé. Ces sahariens, comme leurs prédécesseurs, se
présentent comme une aristocratie guerrière. Le signe de leur autorité était
le bâton de commandement qui avait valeur de sceptre. Dans les années 1930,
les chefs touaregs tenaient encore cet emblème à la main, appelé " talak "
en " tamâhaq.
Un des thèmes les plus caractéristiques de l'art paléoberbère est celui que
nous avons individualisé comme " la danse des bâtons " : deux ou plusieurs
hommes se font face et croisent leurs bâtons comme s'ils sautaient ou
dansaient. Ce genre de scène évoque une danse bien connue des Libyens
orientaux, plus exactement les Temehou chez lesquels il s'agissait d'une
danse guerrière (peut-être même des préparatifs de guerre) ; les Temehou
dansaient en entrechoquant leurs bâtons de jet ! Encore une fois, la danse
des bâtons est encore pratiquée par les Touaregs.
Les Touaregs portent un poignard attaché à l'avant-bras : le type de
fixation de cette arme est déjà représenté chez les Libyens sahariens, il y
a près de 1 500 ans avant J.-C. Pourtant, cette façon d'attacher son
poignard n'est signalée qu'au VIe siècle de notre ère par Corripe. Les
Libyens sahariens portaient, attachés en bandoulière, des poignards
similaires aux dagues métalliques de leurs cousins, les Libyens orientaux.
Ce port est identique à celui qui avait cours chez les peuples de la
Méditerranée orientale : c'est ainsi que les fantassins grecs de l'armée de
Pharaon ou les guerriers Poulastii, un groupe des Peuples de la Mer
portaient la grande épée, dite " mycénienne ". Parfois, les Libyens
sahariens ont de véritables casques évoquant aussi le casque mycénien. Ces
éléments montrent que les Libyens au centre du Sahara ne vivaient pas isolés
et qu'ils avaient connaissance des peuples et des cultures de la
Méditerranée orientale. Les Libyens sahariens n'ont ni l'allure de chasseurs
ni celles de pasteurs, mais celle de personnages princiers. Ils sont d'une
élégance et d'un raffinement de cour royale. Les listes de butins
soigneusement consignées par les scribes égyptiens laissent deviner un luxe
et un train de vie surprenants. Ce n'était pas de frustres nomades : hommes
et femmes appréciaient les belles toilettes, buvaient et mangeaient dans de
la vaisselle de bronze.
La femme libyenne a une position sociale et politique semblable à celle de
l'homme. Elle porte le baudrier croisé et fixe des plumes dans ses cheveux ;
elle tient le bâton de commandement à la main et peut être armée d'un
javelot et d'un bouclier. Les auteurs grecs et latins ont écrit qu'elle
dirigeait des chevaux et des chars et qu'elle combattait aux côtés des
hommes : c'est ce que confirment les peintures rupestres. Son rôle guerrier
n'est donc plus à démontrer. Si on devait s'en tenir à nos traditions, le
statut de nos ancêtres femmes rend injuste celui qui nous est aujourd'hui
imposé.Le statut guerrier de ces personnages est également mis en valeur par
l'apparition du cheval et du char. En effet, les Paléoberbères vont faire
une acquisition de taille : celle du char et du cheval, deux éléments qui
vont devenir l'instrument idéal de leur suprématie. Les Paléoberbères
étaient les plus redoutables cavaliers et conducteurs de chars que
l'Antiquité ait connus. Ils montaient à cru, une monte unique en
Méditerranée qui faisait l'étonnement de tous les auteurs gréco-latins qui
n'ont pas manqué de souligner leurs talents équestres. Ils étaient
sollicités sur les champs de bataille de la Méditerranée où, souvent, c'est
grâce à leur adresse et leur bravoure que des victoires étaient remportées
par les Carthaginois, les Perses ou les Romains. Le char était un véhicule
pour la chasse, la course, et surtout la guerre ; il était aussi un objet de
parade et de prestige, prérogative des chefs, des
guerriers et des dignitaires. Le système d'attelage du char à une barre de
traction, placée sous le cou du, ou, des chevaux a été inventé par les
Libyens sahariens. Ce n'était pas un mode de traction mais un procédé de
dressage. On considère que les Paléoberbères ont mis au point le plus vieux
" manuel de dressage et de menage " (J.Spruytte). Hérodote écrit que ce sont
les Libyens qui ont appris aux Grecs à atteler à quatre chevaux. Ils ont
également inventé une roue inconnue de l'Antiquité, une roue qui pouvait se
monter et se démonter sans aucun outillage ; le nombre élevé de rais, huit
par exemple, avait un effet ralentisseur sur un côté du char, ceci dans le
dessein de contenir un cheval trop rapide lors du dressage.

En inventant l'attelage par barre de traction et une roue d'une minutieuse
industrie, les Paléoberbères du Sahara ont non seulement démontré leurs
capacités technologiques, mais ils ont aussi apporté leur contribution à
l'évolution technologique de la civilisation méditerranéenne en mettant au
point " une méthode de dressage absolument originale et jusqu'ici
insoupçonnée " (J.Spruytte). Associée à l'usage de timons multiples, cette
méthode permettait de dresser des chevaux à l'attelage en huit jours comme
l'a montré l'expérimentation archéologique réalisée par l'équipe de Jean
Spruytte, spécialiste du cheval dont les travaux sur la tradition équestre
nord-africaine ont précieusement éclairé les archéologues. Les Libyens
orientaux et sahariens, loin de vivre en marge des grands évènements
historiques de l'Antiquité ont incontestablement participé au grand
mouvement de la charrerie méditerranéenne.
Si, dès le milieu du IIIe millénaire avant J.-C., les Libyens sahariens
possédaient des poignards et des dagues importés de la façade
méditerranéenne (auprès des Egyptiens, des Mycéniens ou des Asiatiques),
leurs successeurs, les personnages garamantiques fabriqueront eux-mêmes
leurs armes métalliques à partir de minerais et d'un savoir métallurgiste
locaux. La métallurgie du cuivre (et dès lors du bronze) au Sahara
méridional remonte au IXe siècle (Niger) et VIIIe siècle (Mauritanie) avant
J.-C. Puis, les Paléoberbères du Sahara inventent la métallurgie du fer en
même temps que l'Egypte ou la Mésopotamie, il y a environ 3000 ans (massif
du Termit, Niger). Il a donc existé au Sahara un véritable foyer autochtone
africain d'invention métallurgique. Un habitat paléoberbère, le site
d'Iwelen (Aïr, Niger), a livré des pointes de lance en cuivre. Il a été daté
entre 830 plus ou moins 40 BC et 195 plus ou moins 50 BC en âge 14C calibré.
Les précieuses datations du site d'Iwelen permettent d'établir une
chronologie de la période paléoberbère. Les pointes métalliques d'Iwelen
sont identiques à celles qui ont été gravées sur des
rochers du même site et qui sont associées à des gravures de chars
schématiques. Sachant que les chars peints au galop volant remontent à
environ 1500 avant J.-C. et que ceux du site d'Iwelen sont des chars
schématiques qui leur sont postérieurs, sachant que ces derniers sont
associés à un habitat daté du 1er millénaire avant J.-C., c'est donc après 1
500 avant et avant 1 000 avant que les Paléoberbères sahariens ont découvert
les métaux ; c'est alors que les Libyens sahariens deviennent dans l'art
rupestre les personnages garamantiques bitrangulaires brandissant des
javelots à armature métallique (M.Hachid).
On sait que les Touaregs sont le seul groupe berbère à avoir conservé
l'usage de l'écriture. Leurs ancêtres, les Paléoberbères nous ont légué des
milliers d'inscriptions sur les rochers du Sahara, des inscriptions de
l'écriture libyque qui donnera le tifinagh (pluriel de " tafinek ") allant
de l'Antiquité jusqu'aux temps présents. Le libyque appartient à la grande
famille de langue dite " afro-asiatique ou afrasienne " (anciennement
chamito-sémitique) à laquelle se rattachent des langues comme l'égyptien
ancien ou le sémitique. Il recouvrait différents alphabets ayant des
caractéristiques communes, mais dont l'expansion dans l'espace et le temps,
a abouti à la diversification d'une partie des signes et de leur valeur. Les
alphabets en usage dans les régions sahariennes, territoires des Gétules et
des Garamantes, sont malheureusement les plus mal connus et les plus mal
situés dans la chronologie. On savait néanmoins, par l'inscription gravée
d'Azzib n'Ikkis (Yagour, Haut Atlas, Maroc) que cette écriture datait
au moins des VIIe-Ve siècles avant notre ère et par le mausolée funéraire
dit de " Tin Hinan " (Ahaggar, Algérie) que les tifinagh récents peuvent
remonter au Ve siècle de notre ère.
C'est chez les Paléoberbères sahariens que l'on trouve les plus anciennes
inscriptions libyques (M.Hachid); elles apparaissent plus précisément dans
la seconde séquence de l'art paléoberbère saharien, celle des personnages
garamantiques, dans un contexte caballin. Comme les Garamantes
bitriangulaires, elles sont donc apparues après 1500 ans avant J.-C. et
avant 1000 ans avant J.-C., c'est-à-dire dans la seconde moitié du second
millénaire avant J.-C. L'alphabet phénicien a vu le jour entre 1300 et 1200
avant J.- C. : c'est exactement la période à laquelle le libyque apparaît
sur les rocher du Sahara; par conséquent, la contemporanéité de ces deux
écritures ne permet pas d'envisager que le libyque soit issu du phénicien et
encore moins du punique. Toutefois, des échanges ne sont pas impossibles.
D'autres éléments d'ordre archéologiques et historiques montrent que
l'écriture libyque pourrait avoir une origine autochtone et une genèse
locale. C'est ce qu'indique le fait que les plus anciennes inscriptions se
localisent au Sahara central, bien loin des domaines phénicien et
carthaginois et des zones d'influence punique. Un autre indice est celui de
l'art géométrique berbère sur lequel nous allons revenir plus amplement. Les
tifinagh anciens apparaissent avant l'arrivée du dromadaire au Sahara, mais
on ne sait pas avec exactitude quand cet animal a atteint le désert.
Toutefois, le dromadaire est tout à fait repérable, par les témoignages
historiques, dans le dernier siècle avant notre ère avant d'abonder dans la
partie orientale de l'Afrique romaine dès les premiers siècles de notre ère.
Les tifinagh anciens ne peuvent donc qu'être apparus au cours du dernier
millénaire avant J.-C., avant le dernier siècle (au moins). Ainsi, les
tifinagh anciens ont au moins six siècles d'âge et les écritures libyques
ont pu durer plus de 1 000 ans.
Nous avons déjà évoqué l'apparition de signes géométriques d'une grande
diversité qui a pu donner naissance à une graphie locale. Les plus anciennes
manifestations de ces motifs apparaissent avec les Capsiens du Maghreb(décor
des objets utilitaires, art rupestre et mobilier), il y a environ 10000 ans.
On les retrouve chez les Protoberbères bovidiens du Sahara central, il y a
7000 ans (peintures corporelles et tatouages, décor des vêtements). Ils se
multiplient avec les Libyens orientaux et sahariens, il y a 3500 ans. Dans
tous ces groupes humains, constituant les premières étapes du peuplement
berbère, du Maghreb au Sahara, on retrouve ce vieux stock de signes divers :
c'est dans ce creuset iconographique, datant de la plus lointaine
préhistoire, que des éléments ont pu se prêter progressivement à la mise en
place d'un langage idéographique primaire (M. Hachid). Ce n'est qu'avec les
Paléoberbères Garamantes que ce système s'est orienté vers une forme
scripturaire pour donner les premiers caractères d'écriture, dans la
seconde moitié du second millénaire avant J.-C. Les Paléoberbères, et
peut-être déjà les Protoberbères bovidiens du Sahara et les
protoméditerranéens du Maghreb ont donc possédé des symboles ayant valeur de
véritables idéogrammes, une graphie naissante porteuse de sens et issue de
leur art géométrique. Assurément, ils ont dû l'améliorer au contact d'autres
systèmes d'écriture et alphabets de la Méditerranée orientale. L'art
géométrique berbère, qui pourrait avoir inspiré la genèse de la graphie
libyque, se conservera jusqu'à nos jours dans les arts populaires (tissage,
tatouage, peintures murales, sculpture sur bois, décor de bijoux, poterie…).
L'ascension de l'élite protoberbère se continue avec l'élite aristocrate
paléoberbère et se traduit dans les mentalités par une sorte d'exaltation de
l'aristocratie et de la noblesse guerrière. Cette société était une société
de chevalerie, de courtoisie où la musique et l'importance des sentiments
décrivent une civilisation de raffinement. Certaines scènes de rapprochement
sentimental entre couple préfigurent une tradition socioculturelle propre au
monde touareg, celle de l'ahal, une soirée de divertissement qui se tenait
au campement et rassemblait les adolescents. Ces jeunes gens y faisaient de
la poésie, de l'esprit, de la musique et se choisissaient. Comme chez les
Protoberbères, la société était mixte et la femme omniprésente. La femme
touarègue héritera d'une grande partie de droits de ces prestigieuses
ancêtres, droits qu'ils lui sont progressivement ôtés par d'autres
législations.
Les Paléoberbères élevaient des bœufs, des ânes, des chèvres et des moutons
; ils chassaient une faune relictuelle de girafes, rhinocéros, éléphant, une
faune qui montre que le désert n'a pas encore complètement eu raison du
Sahara, mais qu'il gagne à grands pas. Sur les parois leurs artistes ont
presque exclusivement représenté la classe dominante de leurs sociétés, des
sociétés qu'on devine bien hiérarchisées, avec maîtres et sujets, et
peut-être déjà des esclaves noirs, bien que les Mélanodermes de la
Préhistoire, ces " Ethiopiens " de l'Antiquité et " Harratines " d'hier,
soient de moins en moins représentés dans l'art paléoberbère. Comme les
Protoberbères, les souverains paléoberbères se faisaient enterrer dans de
grandes sépultures associées à des sanctuaires datés du IVe millénaire BP.
Les vestiges que les fouilles y ont révélés montrent qu'ils étaient très
proches des Touaregs actuels. Ces recherches ont montré que le
tumulus à cratère peut être mis en relation avec des traditions augurant de
la culture touarègue : au Sahara nigérien, la fouille de l'un d'eux a mis au
jour une femme d'une cinquantaine d'années dont les vêtements et leur décor,
ainsi que les motifs des bijoux, étaient de culture touarègue. Cette
sépulture est datée entre le VIIIe et Xe siècle ; elle remonte donc au début
de l'islamisation, mais ni cette femme ni sa tombe n'étaient musulmanes.
Dans un autre type de sépulture, la bazina, on a découvert des poteries
décorées, la réplique exacte des récipients en bois des Touaregs.
Comme leurs ancêtres protoberbères, les Paléoberbères pratiquaient le culte
des astres, essentiellement celui du soleil et de la lune, et s'adonnaient à
quelques pratiques de divination. Ces croyances sont révélées par
l'orientation systématique vers l'Est de leurs monuments funéraires mais
aussi par les témoignages historiques. Hérodote nous apprend que tous les
Libyens sacrifiaient à la lune et au soleil et à nul autre dieu (à
l'exception d'un groupe qui révérait aussi la déesse Athéna). Ibn Khaldoun,
au XVe siècle, témoigne des mêmes croyances quand il écrit que l'Islam
trouva en Afrique du Nord des tribus berbères qui confessaient la religion
juive, d'autres qui étaient chrétiennes et d'autres encore païennes, adorant
la lune, le soleil et les idoles. Le recours à l'incubation, c'est-à-dire à
la divination par les songes sur les tombes des ancêtres morts, se
pratiquait il n'y a pas longtemps encore chez les Touaregs. Nous y avons
nous-mêmes eu recours avec l'aide d'une amie targuia. Les serments se
faisaient aussi sur la tombe des ancêtres. L'existence de bétyles et
d'images rupestres représentant de grands personnages, inhabituels dans cet
art, tendent à indiquer un culte des ancêtres et de leurs mânes, ancêtres
qui seraient devenus des héros mythiques. On a d'ailleurs conservé chez les
Touaregs le souvenir de plusieurs saints antérieurs à l'Islam. Les rois des
Libyens orientaux portaient des tatouages représentant le symbole de la
déesse Nit ou Neith. Le dieu Ash était considéré par les Egyptiens comme "
le Seigneur des Libyens ". On sait aussi que les Grecs ont emprunté des
Dieux aux Libyens, notamment ceux qu'ils appelleront Poséidon et Athéna.
Quant au dieu Ammon, que l'on vénérait dans l'oasis de Siwa (Egypte), et qui
rendait des oracles, il était célèbre dans toute la Méditerranée. Pour se
donner une ascendance divine, Alexandre le Grand n'hésita pas à traverser le
Désert Libyque pour aller le consulter. Enfin, on sait que si plusieurs
groupes berbères ont adopté le judaïsme puis le christianisme, leur toute
première conversion à la religion musulmane fut celle d'un kharidjisme
irrédentiste, répondant à la conquête arabe.
Sur le plan climatique, le Sahara est entré dans une phase de sécheresse qui
dure jusqu'à nos jours. Mais la paléoclimatologie a établi qu'une pulsation
humide est intervenue au cours du 1er millénaire avant J.-C. ; elle a
certainement contribué à l'énorme progrès civilisationnel que les
Paléoberbères sahariens ont alors accompli. Mais, une fois cette rémission
achevée, l'aridité reprendra ses droits et aux alentours de l'ère
chrétienne, elle fait basculer le Maghreb vers la Méditerranée, le séparant
de l'Afrique noire. Alors, seul le dromadaire et la datte ont épargné au
Sahara de se transformer en un désert total, un désert d'eau et d'hommes. La
vie se réfugiera dans les oasis qui deviennent des pôles de sédentarité,
mais aussi de pouvoir. Quand le dromadaire se répand au Sahara, il s'intègre
sans bouleversement dans ce monde paléoberbère qui demeure, à quelques
nouveautés près, le même dans sa culture et son atmosphère. Même si on
ignore son origine exacte, le dromadaire fait très tôt partie du paysage
nord-africain. Les témoignages écrits sont très peu nombreux au Ier siècle
de notre ère, mais l'animal est de plus en plus mentionné aux IIIe, IVe et
Ve siècles, pour devenir omniprésent au VIe. Au IIIe et IVe millénaire de
notre ère, de puissantes tribus berbères en font un usage domestique, mais
aussi guerrier et militaire. Au VIe siècle, Corripe et Procope relatent de
véritables batailles entre ces tribus et les armées byzantine et vandale.
Ces tribus chamelières sont en majorité signalées par les auteurs latins
dans les régions orientales de l'Afrique romaine puis byzantine, à l'ouest
du Nil, depuis la Cyrénaïque jusqu'à la Tripolitaine. Pour certains,
l'origine du
dromadaire ne peut être qu'orientale et les invasions assyriennes de
l'Egypte, aux VIIIe et VIIe siècles avant J.-C., en seraient le premier
relais vers l'Est et le Maghreb. Le roi Assarhadon traverse le désert de
Sinaï grâce aux chameaux prêtés par ses alliées arabes qui servent à
transporter eau, vivres et autre matériel. Puis le dromadaire est mentionné
en 525 avant J.-C., lorsque Cambyse atteint la Cyrénaïque. En 324 avant
J.-C., pour se rendre à Siwa, Alexandre le Grand fait transporter ses outres
d'eau par des chameaux. Dans la partie orientale de l'Afrique du Nord, les
invasions des uns et des autres ont fait usage du dromadaire, et ce jusqu'en
plein pays libyen. Une autre hypothèse fait venir le dromadaire directement
de l'Ethiopie, laquelle l'aurait reçu de l'Arabie par le détroit de Bab
el-Mandeb.Les Paléoberbères de la fin de l'Antiquité qui adoptent le
dromadaire
évoluent dans un désert avec un environnement animalier très pauvre. La
faune sauvage se réduit aux lions, à la gazelle, mouflon, antilopes,
quelques girafes, félins et chacals. On se demande ce que serait devenu le
Sahara sans le dromadaire. Non seulement, cet animal permit aux hommes de
s'y maintenir, mais il renforça leur rôle économique, permettant par
l'intermédiaire de la caravane de transporter toutes sortes de marchandises
du Soudan vers la Méditerranée, et par là de mettre les sahariens en contact
avec d'autres hommes, d'autres cultures. C'est grâce au dromadaire que les
explorateurs iront plus loin vers le Soudan, et sans les compagnies
méharistes, les militaires français auraient mis deux fois plus de temps à
faire la conquête de ce désert impitoyable.
L'art rupestre camelin est quasi identique au monde touareg actuel. On y
voit des méharistes chevauchant sans selle, armés du javelot et du bouclier
rond, du poignard-pendant de bras, de l'épée droite à pommeau et double
tranchant, de la cravache de chameau en cuir souple ; ce dernier objet
apparaît comme un signe de noblesse et de pouvoir que l'on pourrait mettre
en relation avec la qualité de méhariste, sachant que, comme pour le cheval,
seuls les nobles et les puissants avaient les moyens d'acquérir ces précieux
animaux. Ces méharistes se représentent la plupart du temps dans des scènes
de chasse et surtout de bataille où des caravanes sont interceptées et font
l'objet d'une véritable razzia. Souvent, face aux parois rupestres, nous
nous sommes demandé s'il était possible de détecter à quel moment les
chameliers Sanhadja-Huwwâra, l'étape la plus récente du peuplement berbère
au Sahara, celle dont les Touaregs sont les plus directement issus, fait son
apparition. Comment les populations qui ont précédé l'arrivée des tribus
Huwwaâra, venant du nord dans leur fuite des conquêtes musulmanes, ont-elles
accueilli ces nouveaux venus ? Certes, elles parlaient la même langue qu'eux
et possédaient la même culture, mais c'étaient aussi des étrangers avec
lesquels il fallait partager des territoires et des pâturages déjà bien
maigres.
Protoméditerranéens de la Préhistoire, Libyens et Garamantes de l'Antiquité,
Berbères du Moyen Age, enfin, Imazighen actuels : telle est l'extraordinaire
permanence de l'histoire du peuple berbère. Parmi eux, les Touaregs sont
certainement ceux qui illustrent le mieux cette exceptionnelle longévité
puisqu'on peut établir, sans doute aucun, des liens directs avec un
peuplement préhistorique remontant au VIIe millénaire dont ils ont conservé
de très nombreux traits socioculturels comme nous espérons l'avoir démontré
dans nos ouvrages. Peu de peuples sur cette terre peuvent se prévaloir d'une
ancienneté aussi importante.
L'historiographie continue d'appréhender les sociétés en termes de manque ou
de retard et ceci dans tous les domaines : qu'il s'agisse d'économie, de
culture, d'administration, ou le l'insertion des hommes dans une histoire
non pas passive mais transformatrice. Le Proche orient, l'Occident antique
et moderne restent les références à partir desquelles sont déterminés les
écarts. L'Egypte, la Grèce ou Rome sont désignées comme les seules cultures,
les seules lumières du monde, les autres régions ne reflétant que de façon
affaiblie les lueurs qu'elles en reçoivent. Hélas, il semble que l'histoire
ancienne des Berbères, que la Protohistoire de l'Afrique du Nord aient été
écrites sur ce seul critère discriminant. Sans compter le fait qu'elles
furent souvent tributaires de modèles souvent induits de l'Europe.
Il est nécessaire aujourd'hui de faire une appréciation civilisationnelle
objective des Paléoberbères sahariens, parents pauvres de la Méditerranée
antique, victimes d'un dialogue nord-sud de l'écriture de l'histoire, de les
considérer pour eux-mêmes et non pas systématiquement par rapport à des
pouvoirs dominants et des civilisations plus brillantes. Certaines
conceptions ainsi qu'une terminologie anciennes, et, surtout orientées, ne
peuvent plus avoir cours, car elles sous-tendent une approche subjective de
l'histoire des peuples des rives sud de la Méditerranée trop souvent
sous-évaluée par rapport à celle des rives nord. La diffusion
civilisationnelle et civilisatrice systématiquement orientée du nord vers le
sud, cette écriture victime d'un dialogue nord-sud historique et
européo-centrique ne peuvent plus être admises. Le changement ne peut que
s'inscrire dans une terminologie nouvelle, plus précise et plus juste, dans
une réécriture exprimant les connaissances à travers des critères et des
conceptions objectifs.

Extrait du n°14 (juillet-août 2002) de L'ESSENTIEL.


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