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Zighcult
20 novembre 2007

L'écrivain et le sacrifice (Yasmina Khadra)

Il y a tout juste une semaine, Yasmina Khadra est entré dans ses nouvelles fonctions: directeur du Centre culturel algérien, à Paris. Coup de théâtre! L'écrivain algérien le plus reconnu du moment, auteur de L'Attentat et des Sirènes de Bagdad, résident amoureux d'Aix-en-Provence, prend ses valises et s'installe dans la capitale, suprenant tout son monde.
Dans un article du Soir d'Algérie daté du 15 novembre dernier, il s'explique sur cette décision, lourde de conséquences. Engagé par le chef de l'Etat lui-même, il souligne que "c'est la première fois (...) que l’on confie quelque chose à un écrivain qui n’est pas du sérail." Sûr de la confiance que lui accorde le président, l'écrivain a pris sa décision en pensant sincèrement pouvoir faire quelque chose de grand et de neuf en faveur du rayonnement de la culture algérienne en France, même si cette nouvelle tournure professionnelle ne sera pas sans répercussions sur son statut d'écrivain, considéré jusque-là comme éléctron libre de la profession. Il en est conscient et affirme: "Ça me coûte beaucoup d’être dans ce centre: ma liberté de ton, je ne peux plus dire ce que je disais avant, je ne peux plus bouger comme avant, mais être là, c’est pour le besoin de voir cette culture renaître. (...) J’ai toujours dit que la solution algérienne, c’est la culture, tant que l’on n’a pas un peuple cultivé, tant que le livre n’est pas considéré chez nous, tant que la culture n’est pas aux premières loges, je pense que l’on ne pourra pas avancer.»

Le maître-mot de Yasmina Khadra est là: CULTURE, unique moyen pour le pays de sortir de l'inertie mais totalement négligé par la nomenklatura algérienne. Un exemple? L'écrivain rappelle sa propre expérience malheureuse au CCA, puisque après ses passages en 2001 et 2002, il a été persona non grata dans ce lieu pendant cinq ans! (Rappelons qu'en 2003, c'était l'Année de l'Agérie en France.) Il croit sincèrement pouvoir faire bouger les choses, être un exemple, porteur d'espoirs pour la culture et les intellectuels algériens, se faire «la preuve vivante que le talent algérien peut s’imposer qu’il soit exclu, qu’il soit marginalisé, qu’il soit diabolisé mais quand il est dans la sincérité, il n’y a aucune force capable de le faire plier». On sent bien que l'ancien officier, Mohamed Moulessehoul, et l'écrivain portant le prénom de sa femme, ne font plus qu'un dans ce nouveau défi et la rage qui se dégage de ses propos ne peut laisser indifférent: "(Je veux) essayer de prouver à tous ceux qui nous ont classés parmi les barbares et les rétrogrades, leur prouver que nous sommes autre chose que cela." Il l'avait déjà prouvé pour lui-même à travers ses écrits, mais aujourd'hui, ce sont les autres, tous ceux qui n'ont pas voix au chapitre et qui pourtant souhaitent s'exprimer, qui comptent, même si cela signifie pour Yasmina Khadra de se sacrifier: «S'il faut que j’abandonne ma littérature pour me consacrer à mettre en lumière d’autres écrivains algériens, d’autres artistes, il n’y a aucun problème. Mon bonheur est de voir les artistes algériens éclorent dans ce pays de négation.»

La journaliste s'interroge tout comme nous sur la liberté de jeu de l'écrivain dans ce nouveau combat qu'il va mener en faveur de la culture algérienne. Plus généralement, certains de ses amis ont peur que celui-ci soit instrumentalisé au profit de l'oligarchie en place. Un de ses anciens compagnons d'armes, Chafik Mesbah s'en épanche justement dans un nouvel article dans le même journal et la réponse qu'en donne Yasmina Khadra confirme la grande confiance qu'à l'auteur dans la portée de sa mission et de l'influence de la culture sur la visibilité d'un pays à l'échelle nationale. Il raconte que sa décision a été prise en faveur de "TOUS LES ARTISTES ET LES INTELLECTUELS qui ont besoin de (ses) services et (qui sont) indésirables." La première preuve encourageante de l'utilité de son travail au sein du centre en est leur réaction quasi-immédiate; s'adressant à son ami, il écrit: "Tu ne peux pas imaginer ni mesurer le soulagement de cette élite tant marginalisée depuis qu'elle a appris que j'étais à la direction du CCA. Je reçois tous les jours des appels enthousiastes, des projets ressuscités, des espoirs fous." Le sacrifice de cette liberté acquise à travers l'écriture de ses romans ne vaut-elle pas la peine, pour voir éclore toute une intelligentsia ayant soif de partage? C'est vrai que cette nouvelle charge ne sera pas sans risque (et désillusions?) mais qu'est-elle au regard de tous ces grands hommes qui l'ont précédé dans le combat contre l'ignorance et l'inculture? Yasmina Khadra ne manque pas de le rappeler: "C'est un sacré sacrifice pour moi que d'accepter ce poste, sauf qu'il se trouve que d'autres ont donné plus que leur liberté pour nous tous, qu'ils ont donné leur VIE, en nous léguant leurs veuves et leurs orphelins."

Bien que vivant en France, l'auteur de L'Imposture des mots reste fidèle à son pays et espère lui donner une nouvelle voix dans ce centre, assez représentatif jusqu'à présent de l'obscurantisme et du laxisme du pays. Sur ce point, en patriote, Yasmina Khadra ne mâche pas ses mots: "Je n'ai jamais trahi, jamais triché, jamais renié les miens, et j'ai toujours eu le courage de mes convictions. Ce n'est pas le Centre culturel algérien qui rehausse le prestige d'un écrivain comme moi, c'est moi qui lui donne une allure, une vocation, une crédibilité en le ravissant aux prédateurs de tout poil et aux fonctionnaires encroûtés, aussi enclavés culturellement que les enclos à bestiaux."  Il ne cache pas que sa mission a plus qu'une tonalité politique et est persuadé que sa nomination est en elle-même une "révolution historique", révélatrice d'"ouverture". Il est persuadé que quelque chose est entrain de changer au niveau étatique et les représentants de la culture algérienne doivent saisir cette opportunité, et non y voir un nouveau piège: "Peut-être le pouvoir se rend-il enfin compte que l'élite est là pour l'éclairer et non pour le vilipender, qu'il est temps de la mobiliser autour d'un idéal commun au lieu de la marginaliser avant de la livrer poings et pieds liés à la manipulation étrangère comme c'est le cas d'un important contingent de nos intellectuels en France, dépités d'être ignorés et traités en parias par ceux-là mêmes qui devraient les porter aux nues?"

Ce qui est beau chez Yasmina Khadra, comme chez tous les grands auteurs algériens de l'histoire, c'est cette forme d'idéalisme et de fierté qui l'anime toujours et qui pour moi, est porteuse d'espoir: "Je suis aussi libre que le vent, aussi intègre que mes serments. Je ne suis ni à vendre ni à louer. Je suis tellement sûr de mon honnêteté que je ne crains ni les pièges ni les récupérations. Je vais là où mon cœur me dit d'aller, désintéressé parce aucunement dans le besoin, entier parce que j'aime mon pays. Je sais, c'est une rengaine vieille comme le plus vieux métier du monde, mais il se trouve que je suis aussi vieux que la naïveté, aussi vieux que la pureté aussi." Que rajouter à cela? Je vous regrette déjà dans notre belle ville provençale, où vous nous racontiez de belles histoires, mais je vous suis avec le coeur. Vive l'Algérie!

source: Le marchand de sel

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