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Zighcult
23 septembre 2005

l'oasis de Siwa, une légende à l'autre bout de Tamazgha ?

Source: http://www.awalinoo.net/modules/infos/article-101-mythe-realite-oasis-siwa-legende-autre-bout-tamazgha-.html


Lorsque l'on parle de Tamazgha, on dit souvent que son territoire s'étend de Siwa (Égypte) jusqu'aux Îles Canaries. Mais Siwa a toujours été pour moi un mythe, un mystère car si lointaine et si difficile d'accès. De plus, il n'y a pratiquement aucune littérature sur Siwa si ce n'est quelques articles sur son système linguistique et son histoire ancienne. Et puis, je n'avais jamais rencontré quelqu'un qui l'ait visitée et qui puisse en parler vraiment. J'ai fini par me dire que Siwa ne doit être qu'un mirage qui vient alimenter ce rêve de grandeur qu'ont les Amazighs en particulier, mais qui caractérise tous les peuples minorisés. Pour en avoir le coeur net, la seule solution était d'aller vérifier sur place.
Je suis parti avec un ami, Saïd, sans aucune information, une aventure vers un inconnu qui est censé nous être si proche. D'emblée nous avons remarqué que même en Égypte (Le Caire, Alexandrie), les gens ne connaissent pratiquement rien de Siwa. Les uns nous ont dit que c'était une oasis comme une autre, d'autres nous ont conseillé que si l'on voulait faire du tourisme, il y avait en Égypte de bien plus belles oasis. Quant à la particularité linguistique de Siwa, il s'agit pour les uns d'un dialecte dérivé de l'arabe et pour d'autres, de l'arabe égyptien prononcé avec un accent particulier.

Le voyage fût long (environ 900 km de désert) mais beaucoup moins pénible que nous le craignions. À moins que ce ne soit la hâte de découvrir enfin la légende qui nous ait fait tout oublier. Le car, le moyen de transport le plus pratique, s'arrête très souvent pour des contrôles militaires très fréquents à cause de l'activisme islamiste, paraît-il.

De loin, dès que commence à apparaître cet îlot de verdure au milieu de l'océan saharien, on est parcouru par ce sentiment de soulagement et de joie intense. L'oasis nous parait si petite, plantée en plein milieu de l'immense désert libyque. D'où que l'on vienne, il faut avaler des centaines de kilomètres de désert tantôt rocailleux, tantôt sablonneux formant des dunes qui ondulent à l'infini. De plus près, Siwa s'avère être une grande oasis qui s'étend sur environ 30 km de long et 20 km de large, entourée de deux grands lagons qui lui donnent un air féerique.
À l'arrivée du car, il y a toujours un petit attroupement de gens qui attendent, qui le courrier, qui les journaux, qui les médicaments, qui les touristes, etc.

À notre descente du car, un adolescent s'approche et s'adresse à nous en anglais pour nous proposer son aide pour transporter nos bagages jusqu'à l'hôtel. Mon ami lui répond spontanément en amazigh. Le jeune homme ouvre de grands yeux, recule et hurle à l'adresse des autres : Ssawalen tasiwit ! ssawalen tasiwit! (Ils parlent le siwi!), comme s'il venait de faire la découverte de sa vie!
Nous avons été adoptés dés cet instant- là par tous les habitants de Siwa, extrêmement heureux (nous et eux) de voir, montrer, discuter, toucher, comme pour vérifier que ces moments étaient bien réels. Nous avons rencontré un nombre incalculable de gens de tous les âges, de l'enfant de 5 ans au vieillard sans âge et de toutes les conditions sociales (disons tout de suite que les différences sociales ne sont guère visibles à Siwa). Partout la même joie d'échanger, de raconter leur histoire telle qu'ils la connaissent, de leur quotidien et surtout de poser des questions, infiniment de questions sur la réalité des autres régions amazighes, sur le mode de vie, sur l'histoire des Amazighs, sur la langue, sur l'écriture... Leur accueil a été tel que nous ne sommes pas restés suffisamment longtemps pour pouvoir répondre à toutes les invitations.

Les Siwis ont tous une immense soif de savoir ; car ce qu'ils savent n'est pas écrit et avec le temps, la mémoire de Siwa s'est progressivement effacée. Il faut également rappeler que Siwa était totalement fermée aux étrangers jusqu'au début des années 90, et que l'électricité n'y a fait son apparition qu'en 1985. Par ailleurs, les moyens de communication égyptiens ne sont pas spécialement tournés vers le reste de l'Afrique du Nord et les Siwis se sont trouvées ainsi privées d'information, vivant pratiquement en vase clos.

Tous les Siwis (environ 20.000) parlent tasiwit (l'amazigh de Siwa) qu'ils utilisent quotidiennement dans la vie courante. Ils n'utilisent l'arabe ou l'anglais qu'avec les étrangers.

Partant de mes propres jugements d'Amazigh kabyle connaissant assez bien les autres composantes amazighes, le tasiwit me parait avoir plus des ressemblances avec le tachelhit ou le tachawit. Environ 40% des mots utilisés sont des emprunts au dialecte égyptien.

Cela étant dit, au bout d'une semaine, un amazighophone de n'importe quelle région pourra communiquer très facilement en siwi. Les Siwis ne connaissent pas le système d'écriture tifinagh, ni l'usage des caractères latins. Des dizaines de fois, nous avons dû écrire aux gens qui nous le demandaient l'alphabet tifinagh qui les a particulièrement intéressés.

Les Siwis vivent presque en autarcie de la culture du palmier dattier, de l'olivier et du maraîchage. Il ne pleut pas beaucoup mais, paradoxalement, l'eau est très abondante. Il y a beaucoup de puits, de sources et de fontaines d'eau chaude, utilisée pour tout usage éventuellement après son refroidissement à l'air libre. Siwa produit et commercialise dans toute l'Égypte une eau minérale naturelle en bouteille qui porte son nom.

Les Siwis sont tous musulmans pratiquants et la densité de mosquées par habitant y est extrêmement élevée. Les coutumes sont très rigides, notamment en ce qui concerne les femmes. Celles-ci sont très rares dans les rues et dans les champs, toujours entièrement voilées de noir. Lorsqu'on les croise, elles se détournent et passent furtivement. Dans les lieux publics, y compris les boutiques et les cafés, il n'y a jamais de musique. En revanche, les prêches islamistes hurlantes sont diffusées à longueur de journée par des radiocassettes taïwanaises.
À l'évidence, l'influence des Frères musulmans est extrêmement présente et pesante sur la société siwie.

Pourtant, il existe à Siwa quelques exemples d'espaces de libre expression pour les hommes (je ne sais pas s'il en existe de similaires pour les femmes).
Comme dans toutes les oasis, on produit librement à Siwa cet alcool de palmier appelé lagbi ou lagmi consommé (avec modération) dans les fêtes ou entre amis. Autre curiosité, les Siwis ne vont jamais dans les cafés, qui sont réservés aux étrangers de passage. Ils se retrouvent entre eux, par groupes d'âge ou par affinités, dans des espèces de saloons' installés dans chaque quartier, pour discuter, écouter de la musique, chanter, danser ou regarder la télévision.

Pour le touriste, Siwa est truffée de curiosités et de sites historiques : les beaux vestiges de deux anciens villages typiques de Siwa, Shali au nord de l'oasis et Aghurmi au sud, le temple d'Amon (d'après les Siwis, c'est de là que vient le mot aman, eau'), Adrar n lmuta ?la montagne des morts', une montagne dans laquelle on a creusé des tombes et qui date de l'an 664 avant J.-C., sans oublier la Maison de Siwa qui est en fait le musée dans lequel on peut retrouver quelques traces de la longue histoire de Siwa.

Trop longtemps enfermés, n'ayant pas connu d'autres environnements que le désert et la télévision égyptienne (un autre désert!), les Siwis, jeunes et moins jeunes, aspirent très fortement à échanger avec le monde extérieur et en particulier avec leurs frères des autres contrées de Tamazgha.

Il y a encore beaucoup de choses à raconter sur Siwa mais l'anecdote suivante vous donnera peut-être une idée sur l'état d'esprit des Siwis. Youssef est un jeune artiste à qui la municipalité de Siwa a commandé une stèle qu'elle souhaite bâtir sur la place centrale de Siwa. Il m'a montré son projet dessiné, représentant quelques symboles de Siwa (sources, Shali).

Il m'a dit que depuis notre rencontre, il a décidé de le modifier en lui ajoutant le Z amazigh (z). Voici quelques exemples de mots en tasiwit : aman (eau), aksum (viande), agben (maison), akubbi (garçon), tletca (fille), talti (femme), teltawin (femmes), neta (lui), azemmur (olives), tini (dattes), maci (oui), oula (non), betin (qui ou quoi), cek (toi), tanta lhalnnek ? (comment vas-tu ?), siwel didi (parle avec moi), melmi (quand), melmig azragh cek ? (quand te verrais-je ?), zewelas (salue-le, n'est-ce pas de là que vient le mot «azul» ?).

Belkacem Lounès 


pdf: idée de voyage oasis de Siwa

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